Accueillir chaque patient quel que soient son profil ou sa situation administrative et assurer une continuité des soins à sa sortie de l’hôpital. Telles sont les missions des institutions hospitalières d’un côté, de la première ligne de soins de l’autre. Mais nombreuses sont les raisons qui font barrage à leur concrétisation. Ce vendredi 28 novembre, Médecins du monde et l’Agence Alter ont organisé leur premier débat «santé – précarité» autour du rôle de l’hôpital face à à la précarité grandissante. Bref compte-rendu des discussions.
11% des personnes hospitalisées en 2012 dans le réseau des hôpitaux publics bruxellois (Iris) n’étaient pas en ordre de mutuelle. C’est aussi la situation de 10% de personnes qui arrivent aux urgences de la clinique Saint-Jean, structure privée située entre Rogier et Botanique, dans le centre de Bruxelles. Également au cœur de la capitale, dans le quartier populaire et de plus en plus trendy des Marolles, l’Hôpital Saint-Pierre. En 2013, on y a mené 13.000 enquêtes sociales (enquêtes administratives ayant pour but l’octroi de l’aide médicale urgente aux personnes sans droit de séjour) et 2.500 interventions sociales concernant des sans-abri ont été réalisées. Quelques chiffres parmi d’autres qui en disent long sur les situations de précarité dans lesquelles se trouvent certains patients qui viennent se soigner dans les hôpitaux.
Des urgences utilisées comme première ligne
Sans-abri, sans-papiers… les patients précaires ont des profils divers et cumulent les problématiques (problèmes de logement, de santé mentale, d’alcoolisme…). Pour beaucoup, la salle d’urgence est la seule porte d’entrée au système de soins. Un constat bien connu, que Sébastien Spencer vit au quotidien. Le responsable du service d’urgence de la clinique Saint-Jean explique: certains patients arrivent souvent en dernier recours, en ambulance, dans un état «pré-comateux». «Ils n’arrivent pas de leur plein gré. Quand ils se réveillent, ils ne souhaitent pas rester…» Comment créer un lien thérapeutique avec des personnes qui ne sont pas en demande? s’interroge, préoccupé, ce professionnel de la santé.
Autre cas de figure, les patients sans papiers. Cela va de soi, ces personnes ne passent pas leur temps chez un médecin de famille ni dans les services sociaux. Des passages saccadés dans les services d’urgence ne suffisent pas toujours pour établir un diagnostic. Certains d’entre eux passent entre les mailles du filet. D’autres sont parfois sauvés in extermis par un médecin bienveillant.
«Nous sommes un mauvais outil de prise en charge de ces patients. Il n’y a pas de suivi à leur sortie… Ces patients viennent, puis ils reviennent, et leur état ne s’améliore pas, voire se dégrade», conclut Sébastien Spencer. Les urgences, quand elles se substituent à la première ligne de soins, sont un outil de prise en charge peu efficace et qui, in fine, se révèle coûteux.
Des hôpitaux sous pression
Ces soins sont-ils justifiés? Justifient-ils une présence sur le territoire? «Nous vivons dans un climat de suspicion généralisée», dénonce Christophe Barbu, médecin à la maison médicale Enseignement et aux urgences de la clinique Saint-Pierre d’Ottignies.
«La précarité augmente et les marges d’actions des acteurs sociaux diminue. La situation est inextricable», se désole Begoña Cainas, responsable du service social de Saint-Pierre, qui s’insurge aussi contre un contrôle de plus en plus strict et arbitraire du SPP Intégration sociale dans le remboursement des soins dispensés dans le cadre de l’aide médicale urgente (Lire notre article «Des hôpitaux sous pression face à la précarité», dans l’Alter Échos n°392 du 10 novembre 2014, dans lequel André Cocle, coordinateur social du réseau Iris, explique que, pour tous les dossiers dossiers considérés comme «incomplets», l’État exige des CPAS de lui restituer les paiements. Le CPAS de Bruxelles devrait ainsi restituer plus de 200.000 euros chaque année. Conséquence, ces institutions publiques deviennent frileuses quand il s’agit d’accorder le remboursement de ces soins. La perte pour les hôpitaux Iris à Bruxelles serait estimée entre 350.000 et 550.000 euros par an).
Une chose est sûre, l’atmosphère est à la rigueur. «Les administrations des hôpitaux font pression sur les médecins pour mettre les gens à la porte le plus tôt possible», explique Bernard Hanson, médecin interniste dans un hôpital public bruxellois. Les hôpitaux reçoivent des pénalités financières pour des sorties trop tardives. Ils sont censés respecter des moyennes de durées de séjour par pathologie, sans tenir compte du patient ou de sa situation.
Des liens trop tenus entre l’hôpital et la première ligne
«Nous avons besoin de davantage de liens avec les associations qui travaillent dans la rue, implore presque Sébastien Spencer. Le problème, c’est que pour ces patients, il n’y a pas de première ligne. On ne connaît même pas leur historique médical.» «Il n’y a pas assez de relations entre l’hôpital et la première ligne. Les choses ne changent pas, la communication est extrêmement complexe», déplore de son côté une médecin généraliste présente dans la salle. De part et d’autre, tous l’affirment: les liens entre l’hôpital et la première ligne de soins sont trop faibles. Même constat par rapport aux acteurs sociaux. Des choses sont bien tentées ci et là, des collaborations sont mises en place entre un hôpital et une association. Mais la communication reste peu structurée et repose sur la bonne volonté de chacun. Et surtout, elle s’arrête le vendredi 16 heures. Pour reprendre le lundi matin.
Des pistes de solutions?
Plusieurs pistes ont émergé. Parmi elles:
- Créer des structures de soins intermédiaires. «Certaines personnes nous demandent pour être hospitalisées parce qu’elle sont épuisées, elles ont besoin qu’on prenne soin d’elles, explique Laurence Bourguignon, directrice pédagogique du Samusocial à Bruxelles. Mais est-ce à l’hôpital d’assumer cela?» Dans ce dispositif de prise en charge des personnes sans abri, un tiers des personnes sont hébergées pour des raisons médicales, précise-t-elle encore. Un certain nombre de places leur sont réservées. «On peut y rester quelques jours, le temps d’un traitement antibiotique, d’une convalescence post-opératoire ou pour soigner un trauma physique.» Car se soigner en rue relève de la gageure. «Lits médicalisés», «maisons de continuité de soins post-hospitaliers»… Des structures intermédiaires entre la rue et l’hôpital sont nécessaires. Des lieux qui permettent de se poser le temps d’un soin. Qui permettraient d’éviter des hospitalisations non nécessaires et coûteuses, mais aussi de mettre en place une continuité de soins après une sortie d’hôpital.
- Organiser, structurer l’information entre les généralistes, hôpitaux et travailleurs sociaux via des trajectoires types, voire des conventions de collaboration. Citons à cet égard l’asbl Abrumet, créée en 2005 afin d’améliorer les échanges d’informations médicales des patients entre les différents prestataires de soins. Elle réunit les hôpitaux bruxellois et les associations de médecine générale (la FAMGB, Fédération des associations de médecins généralistes Bruxellois, et le BHAK, Brusselse huisartsen kring). Objectif: organiser une meilleure circulation informatique de l’information autour des dossiers médicaux. Un obstacle demeure… le système ne devrait fonctionner que pour les patients avec des papiers… Dans le même ordre d’idées, une autre demande récurrente: harmoniser les pratiques des différents CPAS. «Obtenir un réquisitoire pour arriver à l’hospitalisation souvent est déjà une victoire» témoigne une infirmière en maison médicale à Anderlecht. La difficulté, souligne Anne Herscovici (Ecolo), consiste à «tirer cette harmonisation vers le haut».
- Généraliser l’expérience des «accompagnateurs sociaux» expérimentée par le Réseau Hépatite C, qui facilite le trajet des usagers entre les services.