En octobre dernier, lors d’un colloque sur la précarité des femmes1, Nicolas Bernard, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis, avaitexpliqué les liens entre les femmes, la précarité et le mal-logement. Retour sur son intervention.
« À première vue, les problèmes de logement qui sévissent actuellement dans notre pays (et dans d’autres) n’ont que peu à voir avec la questiondu genre ou du sexe », expliquait d’entrée de jeu Nicolas Bernard. Pourtant, dans les faits, les femmes sont davantage victimes de la crise du logement. « Pourquoi ? Toutsimplement parce qu’elles sont davantage exposées à la précarité matérielle que les hommes », déclare le spécialiste du logement.
Des revenus moindres
En effet, les données statistiques démontrent largement que les revenus d’un homme sont supérieurs à ceux d’une femme : « Cet écart salarialculmine à 30 % quand il s’agit d’employé(e)s par exemple (contre 21 % pour les ouvriers et 5 % pour les fonctionnaires). » On peut ajouter à cela que davantagede femmes travaillent à temps partiel, qu’au sein d’un couple, elles doivent prendre en charge l’éducation des enfants, etc. Dès lors, il y a peu de chancespour elles de pouvoir bénéficier de promotions, de progresser dans leur carrière et donc d’être mieux rémunérées.
Par ailleurs, observe Nicolas Bernard, le « risque de pauvreté » pour les femmes est 15 % plus important que pour les hommes. Ce taux passe à 36 % pour la tranched’âge de 50 à 64 ans. Faut-il préciser que leur pension est plus faible du fait qu’elles ont peu cotisé à cause de leur niveau derémunération moindre ? Les familles monoparentales sont également en pleine expansion et « la présence d’un enfant fragilise financièrement lamère seule ». Il y a donc un net déséquilibre dans l’accès aux richesses pour les femmes, or les charges qu’elles ont à supporter sont plusimportantes que celles des hommes.
L’impact sur le logement
Après avoir établi le lien entre femme et pauvreté, l’intervenant constate que « cet enchaînement trouve également à s’appliquer dans ledomaine de l’habitat, la précarité des femmes se répercutant fatalement sur leur situation de logement ». À titre d’exemple, il renvoie à uneétude démontrant que les familles monoparentales investissent moins dans leur logement pour le rénover.
Sur l’accès à la propriété, les acquéreurs sont majoritairement des couples. Et d’ajouter : « Quant à la charge du remboursementhypothécaire, près de la moitié des femmes monoparentales la considèrent comme ‘lourde’, contre une mère en couple sur cinq. En sens inverse, deuxà trois fois plus de femmes en couple que de mères seules la tiennent pour négligeable. »
Même son de cloche pour le marché locatif privé, où « deux fois plus de femmes monoparentales que de mères en couple qualifient leur charge de logement de‘lourde’. Et si pour un tiers de ces dernières, « ce n’est pas une charge », elles ne sont qu’une sur quatorze à partager cette opinion au sein des mèresisolées. »
Pour ce qui est du secteur du logement social, on notera que l’ensemble de la population est de plus en plus précarisée. Le nombre de ménages monoparentaux y augmenteégalement et les femmes constituent désormais la majorité de la population dans le logement social en Wallonie (61%). En Région bruxelloise, la situation ne vautguère mieux.
Par ailleurs, Nicolas Bernard pointe un effet pervers du système du logement social. En effet, le loyer est calculé en fonction de la hauteur des revenus de toutes les personnesvivant dans le logement et non pas en fonction de ceux du seul signataire du bail. La femme est donc condamnée au célibat ou à entretenir des relations amoureuses clandestines.Dans le cas contraire, son loyer sera revu à la hausse. « Au-delà de la relation sentimentale, c’est la solidarité même (entre personnesprécarisées) qui est ainsi sanctionnée », pointe le professeur.
Encore une louche de discrimination ?
Pour conclure, Nicolas Bernard remarque aussi que la femme est également discriminée dans l’accès au logement tout simplement parce qu’elle est une femme. Nous nereprendrons qu’un cas de figure, celui du logement locatif privé. L’intervenant observe que nombre de bailleurs « véhiculent encore certains stéréotypesmentaux selon lesquels une femme manifesterait moins d’aptitude à gérer « techniquement » l’habitat ».
1. Le 16 octobre 2007, le Conseil wallon de l’égalité entre hommes et femmes (CWEHF) a organisé à Liège un colloque sur le thème « Laprécarité des femmes annonce-t-elle la précarité des hommes ? »