Début 2015, une partie de la justice était communautarisée. À l’époque, le ministre Rachid Madrane craignait le risque de voir des décisions prises par le fédéral impacter ses nouvelles compétences. Quelques mois plus tard, où en est-on?
Pour Rachid Madrane, la réforme de l’État semble avoir donné plus de cohérence à l’action des maisons de justice en y rassemblant l’aide juridique de première ligne, l’aide aux justiciables, l’aide aux détenus, les espaces-rencontres… «C’est en soi un pas vers plus d’efficacité. Mais pour renforcer encore celle-ci, il est nécessaire de travailler en bonne coopération avec les autres autorités concernées. Car, dans notre matière, on a créé une interdépendance réellement très forte entre fédéral et entités fédérées. La politique des peines décidées par le fédéral est appliquée, hors la détention pénitentiaire, essentiellement par les Communautés.» De quoi poursuivre certaines logiques? Comme on l’a vu dans le passé au fédéral, il semble qu’on reste, en matière de bracelet électronique, dans une politique de chiffre. Il y avait 891 surveillances électroniques en exécution en Fédération Wallonie-Bruxelles au 1er septembre 2015, contre 764 il y a un an, soit une hausse de 17%. «La progression est importante, sans que l’on puisse toutefois parler d’explosion. Cela étant, nous ne sommes pas maîtres de ces flux.» Une augmentation soutenue par la volonté du ministre de la Justice, Koen Geens, et partagée par Rachid Madrane afin de favoriser les alternatives à la détention. «En matière de surveillance électronique, soyons clairs, l’enjeu ne doit pas être de faire du chiffre, mais de se donner les moyens d’un suivi efficace.»
Encadrement politique moins fort
Une efficacité qui interroge la criminologue Marie-Sophie Devresse (UCL), pour qui cette communautarisation n’est hélas pas liée à une nouvelle manière de concevoir la justice. «Ce transfert n’a pas été évalué en fonction des besoins en termes de traitement des justiciables, mais il entrait plutôt dans la balance de négociations. Tant que la Justice sera gérée au niveau fédéral, on va toujours avoir ce hiatus avec une exécution décentralisée: les maisons de justice, en la matière, sont totalement tributaires de cette centralisation, et n’ont aucune marge de manœuvre, elles travaillent avec un public qui lui est envoyé par le pouvoir judiciaire.» Deuxième constat, celui des financements et du suivi, car ce que l’on observe depuis des années, c’est qu’il y a un fonctionnement à deux vitesses pour tout ce qui concerne l’aide sociale aux justiciables.
«Il y a une meilleure structuration au nord du pays que du côté francophone, où certes, il y a toujours eu des services d’aide sociale aux justiciables, mais avec un encadrement politique qui m’a toujours semblé moins fort qu’en Flandre.» De nouveau, cette réforme pose un véritable défi pour la Fédération Wallonie-Bruxelles: a-t-elle les reins suffisamment solides en termes financiers et organisationnels? «On ne peut pas dire que ce soit une administration qui, jusqu’ici, a eu une réelle dynamique pour l’accompagnement des justiciables.» Cela dit, la criminologue admet que le transfert des maisons de justice accompagne en réalité un processus de détachement plus ancien. «Avant même la communautarisation, la prise en charge des justiciables en milieu ouvert s’était déjà détachée par rapport à une politique pénale. Depuis longtemps, il y a un avancement vers cette ‘décarcéralisation’.» De son côté, le ministre Madrane admet que ce chantier est loin d’être terminé. «Il nous faudra plus de recul pour juger des ajustements à opérer pour optimaliser la prise en charge des justiciables. Mais c’est en tout cas l’objectif que nous poursuivons. Nous avons créé 40 emplois supplémentaires en 2015 répartis entre les différentes maisons de justice ou pour renforcer les équipes de la nouvelle administration générale des maisons de justice et le Centre de surveillance électronique.»
Dans ce numéro, lire aussi, « Justice, l’ère du vide », Pierre Jassogne, 30 novembre 2015.
Alter Echos, n°410, «Une université au cœur de la prison de Nivelles», Nastassja Rankovic, 3 octobre 2015