En mars 2016, la SLRB lançait un appel d’offres inédit pour la construction de 500 logements moyens à Bruxelles. Mais cette fois il est demandé aux partenaires privés d’apporter les terrains où seront réalisés les projets. Une nouvelle formule de partenariat public-privé pour tenter de résorber le retard en matière de logement public.
Article issu de notre dossier « Tout est bon dans la privatisation? » Alter Échos n°427, 15 juillet 2016.
L’appel d’offres s’est clôturé le 16 juin, mais c’est le silence radio du côté de la SLRB, la Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB). L’heure est à l’examen des hors-serie. Et rien ne filtre. «Notre avocat nous a conseillé de ne rien communiquer à ce stade de la procédure», explique Salma Lasri, responsable de la direction «Développement» de la SLRB. Impossible de savoir combien de projets ont été introduits, pour quel nombre de logements ou quelles sont les communes concernées.
C’est pourtant l’enjeu de cet appel d’offres de près de 200 millions d’euros lancé par la Région bruxelloise en mars 2016 pour la construction de 500 logements moyens. Avec une nouveauté par rapport aux précédents: c’est au partenaire privé que revient cette fois la charge d’apporter le terrain en plus du projet qui l’accompagne. Une «nouvelle formule» qui, d’après la ministre bruxelloise du Logement, Céline Fremault, «permettra de répondre en partie au manque criant de terrains publics. La qualité du foncier apporté sera d’ailleurs un critère de sélection déterminant du partenaire privé».
Pour construire des logements, il faut des terrains. Une évidence devenue un vrai casse-tête à Bruxelles quand il est question de logement public. Soit parce que les réserves foncières sont à sec dans certaines communes. Soit parce que celles-ci rechignent à mettre de nouveaux terrains à disposition pour la construction de logements sociaux ou moyens. Pour le député bruxellois Alain Maron, les partenariats public-privé (PPP) sont un «pis-aller». «Le vrai problème, ce sont les communes qui ne veulent pas de logements sociaux sur leur territoire. Pareils logements amènent une proportion plus faible d’impôts et un coût plus important en termes d’allocations sociales à charge des CPAS et des communes. Sans compter l’opposition des riverains.»
Manque d’anticipation
Un chiffre résume à lui seul l’urgence dans le logement public à Bruxelles. «Près de 43.000 demandes sont en attente, soit 20.000 de plus qu’il y a 10 ans», souligne le directeur général de la SLRB, Yves Lemmens. Pour la ministre bruxelloise du Logement, Céline Fremault, les défis que Bruxelles doit relever en matière de logement public sont immenses. «Les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de s’y atteler seuls. Il n’y a pas une réponse unique, mais des réponses multiples et complémentaires. Ils auront besoin de l’expertise et de la collaboration des partenaires privés.»
Faire appel au privé? L’idée n’est pas neuve puisque déjà en 2004-2005, le gouvernement bruxellois reconnaissait dans son Plan régional de développement durable que «la production publique stricto sensu de logements ne pourra répondre à elle seule à toutes les demandes. C’est pourquoi [la Région] envisage de recourir à de nouveaux partenariats avec le privé». L’ambition d’alors était de produire 5.000 logements publics locatifs en cinq ans, dont 3.500 logements sociaux et 1.500 logements moyens. Le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH) parle «d’un manque d’anticipation interpellant». «Les objectifs chiffrés sont lancés sans savoir précisément où ces logements seront érigés. Au final, peu de logements seront construits.»
En 2013, le gouvernement Vervoort fixe de nouveaux objectifs dans le cadre de l’Alliance Habitat, un plan pluriannuel d’investissement de 953 millions d’euros pour la construction de plus de 6.700 logements sociaux ou moyens. Parmi les opérateurs, on retrouve la SLRB (4.000 logements locatifs), Citydev (1.000 logements) et le Fonds du logement (1.000). «Les moyens financiers pour construire les logements annoncés sont dégagés, mais le nombre de logements à créer est fixé sans certitude quant aux potentialités foncières qui pourront être développées», constate à nouveau le RBDH.
Rapide, mais coûteux
Pour beaucoup de responsables bruxellois, l’extension du parc de logements en gestion publique reste prioritaire. Mais le sentiment que le «public» ne pourra relever ces défis semble aujourd’hui s’imposer. «L’innovation et l’expertise du secteur privé constituent un atout majeur, un moyen complémentaire pour atteindre les objectifs les plus importants de manière plus rapide[1]», souligne Caroline Désir (PS) en commission Logement du parlement bruxellois. Avec les PPP, les délais de réalisation sont réduits notamment parce qu’une fois l’appel d’offres global attribué, le promoteur privé n’est plus tenu par certaines règles de marché public. Sans compter la capacité des opérateurs privés à pouvoir réaliser des projets immobiliers en un temps défiant toute concurrence.
Une rapidité qui a un coût pour les pouvoirs publics. «Globalement, les PPP coûtent plus cher que si le public gérait l’ensemble du processus», analyse le député bruxellois Alain Maron. «En fait tout dépend des projets, explique Virginie Dor, spécialiste des partenariats public-privé et des marchés publics pour le cabinet d’avocats CMS De Backer. Pour des chantiers classiques où tout se déroule comme prévu, les PPP auront tendance à coûter plus cher aux pouvoirs publics. Mais l’inverse est aussi vrai si le promoteur doit faire face à des imprévus sur son chantier, par exemple la dépollution d’un site. Alors les pouvoirs publics y gagnent.»
Dans le récent appel d’offres de la SLRB, les observateurs attentifs n’ont pas manqué de relever la question du coût des logements. Pour Mathieu Sonck, chargé de mission à Inter-Environnement Bruxelles (IEB), «198 millions d’euros pour la création de 500 logements, ça fait une moyenne de près de 400.000 euros par logement. C’est très cher! N’est-ce pas là envoyer un mauvais signal aux partenaires privés en leur laissant croire que la Région est prête à construire des logements à pareil prix?» La ministre du Logement, elle, rétorque qu’il faut par rapport à une opération classique décompter de la facture totale les «26 millions pour le coût du foncier apportés par le partenaire privé».
Partenariats à risque?
Ce n’est pas la première fois que la SLRB procède à la construction de logements publics en s’appuyant sur des PPP. Mais jamais à cette échelle. «Depuis 2009, la SLRB a réalisé quatre partenariats public-privé à plus petite échelle qui portent en tout sur la construction d’environ 400 logements», calcule rapidement Salma Lasri. On le voit, avec le récent appel d’offres, la SLRB passe à la vitesse supérieure en matière de PPP. Une orientation qui a nécessité «une réorganisation de nos services pour gérer un appel d’offres de ce type», reconnaît la responsable de la direction «Développement» de la SLRB. Et, de fait, construire 500 logements d’un coup, ce n’est pas rien. «C’est un cahier des charges très lourd», souligne le chargé de mission d’IEB. «Un projet ‘grande échelle’ qui ne concerne finalement qu’une poignée de promoteurs capables de réaliser des chantiers de cette ampleur.»
Mathieu Sonck dénonce le manque de préparation du public face au privé. «Il y a généralement un rapport de force qui se fait au détriment du public. Les contrats sont souvent complexes et comportent des clauses léonines qui consistent à maximaliser les profits de ces entreprises tout en collectivisant les pertes.» Mais pour Virginie Dor, du cabinet CMS De Backer, «c’est moins vrai aujourd’hui dans la mesure où les pouvoirs publics ont appris eux aussi à s’entourer des meilleurs experts dans des opérations de ce type». Salma Lasri insiste elle aussi sur ce point. «Pour cet appel d’offres, la SLRB s’est entourée de différents bureaux d’experts: un bureau d’avocats, Marc Cottyn avocats, un bureau d’experts immobiliers, 2Build Consulting, et d’experts financiers, BDO Corporate Finance.»
Pour les détracteurs des PPP, le problème est que le public n’a pas toutes les clés en main. «Ils entraînent une perte de maîtrise et d’expertise. Les pouvoirs publics délèguent, ce qui entraîne une perte de savoir-faire», dénonce Alain Maron. Mais Céline Fremault tempère et met justement en avant l’implication des opérateurs publics dans le processus: «Une collaboration entre opérateurs publics sera également créée par la même occasion puisque Citydev.brussels sera sollicité quant à l’examen des prescriptions urbanistiques des projets et que le Comité d’acquisition régional sera par ailleurs sollicité pour donner son avis sur les prix des terrains proposés.»
Risques partagés
Alors, risqués les PPP? L’expérience de CityDev.brussels semble plutôt concluante puisque l’ex-SDRB développe depuis 30 ans des partenariats avec le privé pour la construction de logements subventionnés qui seront vendus à prix abordables aux ménages bruxellois. Pour Nicolas Joschko, directeur général à la rénovation urbaine chez Citydev.brussels, le public peut tirer son épingle du jeu dans ce type de partenariat. «Même si certains ont toujours l’image de vilains promoteurs qui ne cherchent qu’à maximaliser leur marge, le fait de travailler dans cette logique de partenariat depuis près de 30 ans nous a permis de bien comprendre les mécanismes financiers avec lesquels les promoteurs fonctionnent et de pouvoir négocier avec eux des prix tout à fait compétitifs sur le marché.»
Pour certains, si risque il y a, c’est surtout pour le privé. «Le partenaire public ne possède pas toujours les compétences nécessaires, explique Ivan Costermans, directeur de Deal Advisory chez le consultant KPMG. Il arrive encore souvent que des projets soient annoncés, puis que rien ne se passe pendant longtemps. Une telle imprévisibilité n’encourage pas les partenaires privés à participer! Plus encore, des projets attribués et en cours, dans lesquels les partenaires privés ont déjà engagé de nombreux frais pour décrocher le marché, sont parfois suspendus durant des années… voire annulés ou réattribués[2].»
[1] Compte rendu parlementaire de la commission Logement du parlement bruxellois, mars 2015.
[2] Journal L’Écho, «Plus qu’un tour de passe-passe budgétaire», 2 juin 2016.
En savoir plus
«Les PPP: réaliser bien plus que du logement social», Alter Échos n°229, mai 2007, Baudouin Massart.
«Biloba: carrefour de cultures pour mieux vieillir», Alter Échos n°423, mai 2016, François Corbiau (Biloba est un projet réalisé en PPP).