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Regard critique · Justice sociale

Santé

Prévention sida : quelles stratégies pour les publics fragilisés ?

Le virus du sida continue à circuler et à se transmettre. Certaines populations y sont particulièrement vulnérables.

19-06-2010 Alter Échos n° 297

Si depuis 1993 l’épidémie du sida a tendance à se stabiliser, le virus continue à circuler et se transmettre. Certaines populations y sont particulièrementvulnérables. Quelles sont les stratégies de prévention mises en place à l’attention des publics fragilisés ?

« Si on regarde les chiffres, nous fait savoir Anne Liesse, coordinatrice de la cellule santé du cabinet de Fadila Laanan1, on voit qu’il y a trois nouveaux cas par joursqui sont détectés en Belgique. Et malgré tous les efforts fournis, le virus circule et se transmet toujours. » En Communauté française, la préventiondu virus du sida (VIH) s’inscrit dans le cadre de la promotion de la santé. Elle y détient une place non négligeable puisque 2 052 000 euros lui ont étéconsacrés en 2009, sur un – bien maigre – budget global de 6 225 000 euros. « C’est une thématique prioritaire depuis de longues années déjà, nousconfirme Anne Liesse. La politique de la ministre s’inscrit dans cette continuité. » Une manne de quatorze projets ont été subventionnés en 2009. Une partie d’entreeux (le gros paquet du budget) se consacre à des actions qui ciblent des publics spécifiques, plus vulnérables face au virus. « On essaye de multiplier lesstratégies mises en place et les publics cibles visés pour toucher le plus de gens. »

La notion de publics vulnérables

Soulignant la nécessité d’une prévention qui s’adresse à tous, le Plan communautaire opérationnel 2008-2009 (renouvelé jusque 2011) définit aussides publics cibles spécifiques en s’appuyant sur les travaux réalisés par les « Stratégies concertées du secteur de la prévention IST/sida enCommunauté française2 ». Certaines populations cumulent en effet divers facteurs de vulnérabilité. C’est le cas des personnes migrantes, deshomo/bisexuels masculins et des usagers de drogues injectables. D’autres groupes ont aussi été identifiés comme groupes cibles des actions de prévention : les femmesenceintes et les femmes séropositives ayant récemment accouché, les personnes prostituées (de sexe féminin ou masculin), les détenu(e)s, le public festif,les enfants et les jeunes et enfin les femmes qui ont des rapports sexuels avec des femmes. Par ailleurs, souligne aussi le PCO, les actions doivent concerner les personnes séropositives etleurs partenaires, car ils ont un rôle actif à jouer dans la prévention des nouvelles contaminations.

Nombre d’associations mènent sur le terrain des actions de prévention. Parmi elles, certaines s’adressent à des populations ou milieux de vie spécifiques. C’est le casd’Ex Aequo et Magenta (homo et bisexuels), Siréas (migrants), Modus Vivendi (usagers de drogues, milieux festifs), Alias, Icar, Entre 2 et Espace P (prostitution masculine et/ouféminine), Service Éducation pour la Santé (SES) (détenus).

Au-delà de ces catégorisations, c’est bien la fragilité de chacun face au virus dont il est question. « Nous menons des projets pour tous types de publicsvulnérables, explique par exemple Joëlle Defourny, directrice de la nouvelle asbl liégeoise Sida Sol3. Les personnes vulnérables, ce sont les plus touchéesdans l’épidémiologie, mais ce sont aussi les personnes sans domicile fixe, les personnes sans-papiers… 15 à 20 % des publics que nous rencontrons n’ont pas de mutuelle. En plusde l’accès aux soins, je veux aussi travailler sur un accès aux droits. »

Maureen Louhenapessy, de l’asbl Siréas4 abonde dans ce sens : « Nous ne visons pas tous les migrants, mais les personnes les plus vulnérables face au VIH, que cesoit lié à leur parcours migratoire, à leur parcours culturel, à des tabous, à leur langue ou encore à des vulnérabilitéssocio-économiques. Il s’agit de viser les populations qui en ont le plus besoin. Les migrants homosexuels, les femmes, les sans-papiers sont en situation de grande vulnérabilité.» Le cumul de divers facteurs fragilisants ne rend pas la tâche aisée à ces associations. « Est-ce que cela a du sens de donner un accès à l’aidemédicale urgente s’il n’y pas d’accès à une aide sociale ? L’accès au séjour et l’accès aux droits sont fondamentaux pour la santé, en ce compris pourla prévention », proteste-t-elle.

L’épidémiologie du VIH en quelques chiffres5

Après une augmentation importante observée entre 1997 et 2003 (+ 51 %), l’incidence annuelle des infections VIH diagnostiquées a tendance à se stabiliser depuis 2003.L’incidence la plus élevée a cependant été enregistrée en 2009 avec 1115 nouvelles infections diagnostiquées. Au 30 décembre 2009 et depuis ledébut de l’épidémie, entre 22 234 et 23 378 personnes ont été reconnues infectées par le VIH6. Parmi eux, 6664 Belges et 9778 « non Belges » (lesautres sont de nationalité inconnue). À la même date, 4025 diagnostics de sida maladie avaient été notifiés.

Parmi les hommes belges, 69,6 % ont rapporté des contacts sexuels avec d’autres hommes, et 3,3 % l’injection de drogue par voie intraveineuse. La transmission hétérosexuelleserait responsable de 24,2 % des infections. Parmi les femmes de nationalité belge, 80,9 % des cas d’infection par transmission hétérosexuelle. Chez les patients d’autresnationalités, la transmission hétérosexuelle est prépondérante et cela pour les deux sexes : 60,2 % des cas pour les hommes et 88,9 % des cas pour les femmes.

Focus sur la prévention sida auprès des migrants

« La majeure partie des personnes d’origine étrangère contaminées sont subsahariennes, explique Vladimir Martens, de l’Observatoire du sida et des sexualités(cité par Colette Barbier)7. Il est probable qu’elles étaient porteuses du virus au moment de leur arrivée en Belgique. Dans ce groupe, un travail de préventiondoit être fait et l’accès au dépistage et aux soins doit être encouragé ». Depuis vingt-cinq ans, l’asbl Siréas se consacre à la préventiondu VIH/sida et des autres IST en tenant compte des spécificités des personnes migrantes.

« Dans un service d’aide sociale pour les étrangers, pourquoi s’est-on intéressé à la prévention du sida ? C’était au départ liéà la question des droits. Quand on a commencé à parler du sida, il était question du droit à une information adaptée et compréhensible, seremémore Maureen Louhenapessy. Très vite, les communautés migrantes ont été stigmatisées par le VIH. Il s’agissait donc aussi de
défendre lesétrangers, de lutter contre les discriminations et la stigmatisation qu’ils subissaient. C’était un travail d’activiste. » Autre élément, dès lesannées 1980, les hôpitaux belges reçoivent des patients d’origine d’Afrique subsaharienne porteurs du VIH. Se pose alors la question de leur accompagnement. Le Siréas sepositionne dès lors comme un relais entre le migrant, l’hôpital et les services sociaux. « À ce moment, la loi sur l’aide médicale urgente n’existait pas, ajouteMaureen Louhenapessy, le contexte d’accueil des migrants n’était pas du tout favorable. Parallèlement à cela, poursuit-elle, on a aussi très vite fait le constat d’un grosproblème de rejet, de peur et d’incompréhension dans les communautés. Beaucoup de rumeurs étaient véhiculées. Il y avait tout un travail de sensibilisationà faire dans ces communautés, comme dans le reste de la population d’ailleurs. »

Un ensemble de stratégies est alors mis en place par l’asbl. Le Siréas réalise un travail de sensibilisation et de formation auprès des intervenants sociaux et desanté qui travaillent avec des migrants (CPAS, planning familial, AMO, centres d’accueil pour réfugiés…) et développe des outils de sensibilisation adaptés.L’asbl s’attache également à former des relais de prévention dans les communautés elles-mêmes. « Tous types de profils de personnes y ont participé,nous raconte Maureen Louhenapessy, des animateurs sportifs bénévoles, un imam guinéen, des sociologues, des mères de famille, des artistes plasticiens africains…»

Un accompagnement collectif de personnes séropositives principalement (mais pas exclusivement) migrantes est également proposé. « Il s’agit d’un espace deconvivialité et de secret partagé, avec l’idée de se centrer sur la vulnérabilité liée à la séropositivité ». Un espace quidevient peu à peu un véritable lieu de solidarité.

Les actions de terrain qui sont menées permettent à l’asbl d’alimenter son expertise et les diagnostics qu’elle pose. Le Siréas a, par exemple, lancé un diagnostic surla communauté guinéenne. « L’objectif serait à terme d’installer un forum communautaire des communautés guinéennes sur la thématique du VIH, avec uneformation de leaders et l’autonomisation du projet. Mais c’est très difficile à mettre en place. Les obstacles à la mobilisation sont nombreux : la question du droit deséjour et des régularisations, les problèmes politiques dans les pays d’origine… » Les résultats de ce travail devraient être disponibles à l’automneprochain.

Augmenter l’accès au dépistage

En matière de dépistage également, il convient d’atteindre les publics les moins touchés. Le dépistage VIH, qui relève de la prévention secondaire,est financé par le fédéral. En 2008, près de 624 139 tests ont été pratiqués et remboursés par l’Inami (en dehors des testsréalisés sur les dons de sang). Il s’agit là d’un des taux de dépistage les plus élevés en Europe. Une minorité de ces tests se fait via desinterventions ciblées. Dans le Hainaut, l’asbl Sida-IST Charleroi Mons organise depuis plusieurs années un dépistage délocalisé dans des comptoirs d’échangede seringues. Depuis peu, un bus circule aussi dans certains endroits stratégiques, un parking d’autoroute fréquenté par un public échangiste et de prostituées parexemple.

« À chaque public, ses spécificités et ses lieux de vie, ses lieux de passage, explique Joëlle Defourny, de l’asbl liégeoise Sida Sol. D’où desactions très ciblées et en coordination avec des acteurs qui travaillent avec ces publics. » Cette association héritière de SIDAction a étécréée fin 2009 par l’Université et le CHU de Liège, en collaboration avec la Croix-Rouge. Parmi ses activités, un gros programme de dépistagedélocalisé anonyme et gratuit. « On fonctionne avec des éducateurs de rue, qui vont vers les publics. On fait en quelque sorte du « rabattage », le public peut ensuite venirà l’association où il y a des sexologues, des médecins, etc. C’est très important de les faire venir vers ce lieu. Une fois qu’ils y sont venus, ils y reviendront. »Les dépistages ont lieu le jour, en soirée ou pendant la nuit, l’idée étant de s’adapter aux besoins et aux modes de vie de chacun.

Abris de jours, abris de nuit, parkings d’autoroute, bars, boîtes de nuit… Toute une série de lieux visés par l’action de Sida Sol. « On est très proches deboîtes échangistes et homosexuelles. On va aller voir s’il y a des besoins dans ces boîtes et, éventuellement, ouvrir de nuit le planning familial le plus proche pourréaliser des dépistages. Nous envisageons aussi des tournées de bars, en lien avec l’association Ex Aequo. Cette asbl est implantée à Bruxelles et connaît malle terrain liégeois. On a déjà rencontré certains patrons de bars pour essayer de construire quelque chose d’opportun. »

Stratégies alternatives

Un avis des Stratégies concertées IST-sida et de l’Observatoire du sida et des sexualités, adressé en ce mois de juin à la ministre Fadila Laanan, fait le pointsur les différentes stratégies alternatives de dépistage du VIH en Communauté française. Ces expériences de dépistage délocalisé ou« hors les murs », peut-on y lire, si elles doivent être encouragées et conçues au cas par cas en tenant compte du contexte local et des spécificités despublics, doivent aussi continuer à faire partie d’une stratégie globale. La seule réaction à ce jour, nous indique Valdimir Martens, est un accusé deréception. Le dossier, qui implique des compétences communautaires et fédérales, souffre comme bien d’autres de l’immobilisme politique actuel…

En effet, comme l’a souligné Vladimir Martens lors d’une journée d’étude sur la prévention et sexualité gay ce 20 mai 2010, « les expériences dedépistage délocalisé qui ont un intérêt certain pour les lieux concernés, posent également question à l’échelle d’unepopulation, d’une ville, d’une région ou d’un pays. Si le dispositif permet, de manière très locale, d’offrir à la clientèle de quelquesétablissements un dépistage qui répond à leurs besoins et attentes, quel est le sens de ces interventions si elles sont ponctuelles, qu’elles ne concernent quequelques établissements ? Quel intérêt en termes de couverture, comment assurer l’équité dans le service qui est offert ? »

Article mis à jour le 23 septembre 2010.

1. Cabinet Fadila Laanan :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 801 70 11
– courriel : info.laanan@cfwb.be
2. Depuis 2005, le secteur de la prévention IST/SIDA poursuit un processus participatif de planification et de gestion de la qualité qui réalise des mises à jourrégulières des diagnostics et des plans d’action.
3. Sida Sol asbl :
– adresse : rue de Pitteurs 8 à 4020 Liège
– tél. : 04 366 96 10
– site : www.sidasol.be
4. Siréas/Ist-sida :
– adresse : rue de la pépinière, 6 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 502 36 76
– site : www.sireas.be
5. Ces chiffres sont issus des travaux menés par l’Institut scientifique de santé publique. Plus d’infos sur le site http://iph.fgov.be/epidemio/aids
6. Pour 1 144 d’entre elles, les données sont insuffisantes pour exclure les doubles enregistrements.
7. Colette Barbier, « La prévention du sida et des infections sexuellement transmissibles », in Éducation Santé nº 251, décembre 2009.
8. Observatoire du sida et des sexualités, Stratégies concertées IST-sida, Stratégies alternatives de dépistage du VIH en Communauté française. Aviset recommandations des intervenants, juin 2010.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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