«10 textes législatifs et des années de négociations.» Mi-mai, quand les 27 États membres de l’Union européenne (UE) ont formellement adopté la réforme des règles de l’asile et de la migration en Europe, la présidence belge du Conseil de l’UE n’a pas caché son soulagement. Applaudies par certains, décriées par d’autres, ces nouvelles règles façonnent l’avenir de la politique migratoire européenne pour les prochaines années.
Ce «Pacte sur la migration et l’asile» vise en effet à durcir les contrôles des arrivées aux frontières de l’UE et à mettre en place un système de «solidarité» entre États membres permettant à certains d’entre eux de contribuer au budget au lieu d’accueillir des réfugiés… Une première tentative de revoir les règles encadrant l’asile et la migration avait été lancée après la crise migratoire de 2015 et 2016, sans résultat. La Commission européenne sortante, présidée par l’Allemande Ursula von der Leyen, avait ensuite remis sur la table cette nouvelle refonte des règles en septembre 2020.
Et c’est, en quelque sorte, la présidence belge du Conseil de l’UE qui en cueille les lauriers. Car au Conseil de l’UE, l’institution qui rassemble les 27 pays de l’UE, la présidence change tous les six mois. Les rênes de la maison étaient entre les mains de Bruxelles de début janvier à fin juin. Au 1er juillet, la Hongrie les a récupérées.
Le premier épisode de cette série (Alter Échos 515) expliquait en quoi consiste ce rôle si particulier de «présidence du Conseil de l’UE». En quelques mots, il s’agit d’endosser, pour quelques mois, le rôle de chef d’orchestre des négociations au plus haut niveau, en tentant de mettre de côté ses propres priorités afin de favoriser l’intérêt européen tout entier. Le deuxième épisode (Alter Échos 516) cherchait à étudier l’influence de la présidence belge sur l’approfondissement de l’Europe sociale (verdict: il y a eu beaucoup de promesses, mais peu d’actions). Ce troisième – et dernier – volet de la série entend dresser le bilan d’un semestre mouvementé, marqué par la poursuite de la guerre en Ukraine, l’instabilité au Proche-Orient, la menace qui plane d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche outre-Atlantique et une Chine à l’appétit toujours plus féroce.
La Belgique n’a pas à rougir
Chaque présidence, avant de passer le flambeau à la suivante, ne peut s’empêcher de jeter un œil à son «tableau de chasse». Le but est double: y accrocher autant de prix que possible, mais surtout, que ces trophées soient des plus impressionnants. En clair: un accord sur un dossier aussi sensible, aussi politique et aussi complexe que la réforme des règles de l’asile et de la migration «pèse» beaucoup plus lourd, au moment du bilan, qu’un accord sur un texte plus consensuel – comme la réforme du «ciel unique européen», dont la présidence s’est largement félicitée mi-juin, mais qui a été jugée «décevante» par le secteur du transport aérien. C’est dur, mais la politique européenne est ainsi faite.
La présidence belge n’a pas à rougir de son bilan, car elle a multiplié les coups de maître: les accords définitifs autour de la nouvelle législation sur l’intelligence artificielle (IA) en Europe, qui cherche à en maîtriser les usages sur le Vieux Continent (en interdisant par exemple la notation sociale ou la reconnaissance faciale), ont aussi été enregistrés durant son «règne». Il en va de même pour les treizième et quatorzième paquets de sanctions à l’encontre de la Russie, pour la législation qui interdit l’introduction sur le marché européen de produits issus du travail forcé ou pour la directive sur le «devoir de vigilance» des entreprises, qui obligera ces dernières à surveiller l’impact de leurs activités sur les droits humains et sur l’environnement, notamment en ce qui concerne le travail des enfants, l’esclavage, l’exploitation du travail, la pollution, la déforestation, la consommation excessive d’eau ou les dommages causés aux écosystèmes.
C’est simple: dès la fin du mois de mars, la ministre responsable des Affaires étrangères et européennes Hadja Lahbib se vantait du fait «qu’en dix semaines à peine, 50 accords avaient déjà été trouvés sous présidence belge». La Belgique a aussi chapeauté, en mai, la signature de l’accord interinstitutionnel instaurant un nouveau «comité d’éthique européen», qui rassemble la Commission européenne, le Conseil de l’UE, le Parlement européen, la Cour de justice de l’UE, la Banque centrale européenne, la Cour des comptes européenne, le Comité économique et social européen et le Comité des régions européen. Ce n’est pas rien. Mais il faut garder à l’esprit que cette présidence est intervenue à un moment charnière, lui permettant d’exploser les records: une fin de législature.
La présidence belge n’a pas à rougir de son bilan, car elle a multiplié les coups de maître.
En effet, les résultats des dernières élections européennes remontent au dimanche 9 juin. Cela signifie qu’un «nouveau» Parlement européen entre en fonction, avec des équilibres politiques différents d’auparavant (sans pouvoir parler d’un raz-de-marée des extrêmes, l’hémicycle tire toutefois vers la droite, et les centristes comme les écologistes ont perdu des sièges dans la bataille). Ces élections riment aussi avec l’entrée en fonction d’une nouvelle Commission européenne, qui n’est autre que l’institution qui met sur la table des propositions de loi à l’échelon du Vieux Continent. Elle impose avec elle de nouvelles priorités pour l’Union européenne (par exemple, mettre davantage l’accent sur la compétitivité que sur la défense de l’environnement pour les cinq prochaines années…).
Ainsi, traditionnellement, juste avant un changement de cycle institutionnel, la volonté des États de l’UE comme des eurodéputés est de «boucler» autant de dossiers que possible, car la transition d’une législature à la suivante peut parfois se révéler abrupte. C’est de cette réalité-là qu’a bénéficié la Belgique, pouvant ainsi enregistrer des réussites à la pelle. Pour la Hongrie puis pour la Pologne (début 2025), les planètes ne seront certainement pas si bien alignées: il faudra en effet que de nouvelles propositions législatives soient mises sur la table, qu’elles soient négociées en parallèle par le Parlement européen et le Conseil de l’UE, jusqu’à potentiellement trouver un terrain d’entente. Et cela prendra du temps. Résultat: engranger des succès sera plus compliqué.
Restauration de la nature: le pire a été évité
D’autant que, parfois, le fauteuil de la «présidence» peut se révéler fort instable. Voire inconfortable. Le lundi 17 juin, quasiment à la fin du semestre de présidence belge au Conseil de l’UE, les États membres ont finalement réussi à donner leur feu vert définitif au règlement sur la restauration de la nature. Le suspense a été intense, jusqu’au dernier instant.
Et pour cause, le processus législatif à l’échelon européen est tel que pour tout texte négocié entre le Parlement européen et les 27 États membres de l’UE, une validation finale provenant à la fois des députés européens et des capitales nationales est nécessaire. Or pour ce texte sur la restauration de la nature, qui vise à favoriser la biodiversité sur le Vieux Continent, cette dernière étape a été particulièrement mouvementée – aussi «à cause de» la Belgique.
L’accord dit «en trilogue», entre les colégislateurs, remontait à novembre 2023. Mais en mars cette année, déjà sous présidence belge du Conseil de l’UE, donc, ce règlement n’avait pas passé l’étape de la validation formelle par les pays de l’UE. La Hongrie, qui n’était pas initialement défavorable au texte, avait finalement rejoint le camp du «contre», permettant ainsi à ce dernier de former une minorité de blocage. Entre mars et juin, les réunions et les échanges se sont multipliés entre les délégations. Le vendredi 14 juin, à l’issue d’une réunion du «Coreper» (qui rassemble les ambassadeurs nationaux auprès de l’UE), la Belgique s’était rendue à l’évidence: la majorité qualifiée nécessaire n’était pas atteinte.
Pour la Hongrie puis pour la Pologne (début 2025), les planètes ne seront certainement pas si bien alignées: il faudra en effet que de nouvelles propositions législatives soient mises sur la table, qu’elles soient négociées en parallèle par le Parlement européen et le Conseil de l’UE, jusqu’à potentiellement trouver un terrain d’entente.
Trois jours plus tard, au Conseil «Environnement» (depuis Luxembourg, et pas Bruxelles, comme cela est la tradition deux mois par an), les ministres européens avaient quand même procédé à un vote. Et grâce à un ultime revirement de l’Autriche, la majorité qualifiée nécessaire pour faire passer le texte a été trouvée. Six pays ont voté contre le texte: l’Italie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Finlande et la Suède. Mais là où l’affaire devient particulièrement intéressante, c’est lorsque l’on sait que la Belgique s’est abstenue (la faute à la Flandre, qui n’avait pas donné son feu vert au texte, à la différence de la Wallonie et de Bruxelles). Le ministre bruxellois de l’Environnement Alain Maron (Écolo) s’est malgré tout, et comme si de rien n’était, «réjoui de ce vote positif en faveur du règlement sur la restauration de la nature», expliquant y voir «le résultat d’un travail acharné qui a porté ses fruits». «Il n’y a pas de temps à perdre dans la protection de notre environnement», avait-il ajouté.
La difficulté ici, pour la présidence belge du Conseil de l’UE, réside dans l’antagonisme entre sa propre position nationale et la nécessité, en tant que «présidence», de ne pas écoper d’un énorme caillou dans sa chaussure. Un échec sur un texte aussi crucial que celui-ci, qui n’est autre qu’une pièce maîtresse du «Pacte vert» européen (qui entend faire de l’Europe le premier continent neutre d’un point de vue climatique à l’horizon 2050), aurait fait tache sur le bilan de la présidence. À cette idée, cette dernière avait des sueurs froides. Pour elle, le pire a donc été évité de justesse.