Mis en place par le fonds d’investissement St’art, le Prêt Culture est destiné au financement des infrastructures culturelles en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce dispositif s’inscrit dans l’«évangélisation» entrepreneuriale du secteur.
En janvier dernier, Festiv@liège – l’asbl à qui on doit le festival «Les Ardentes» – et l’Atelier Théâtre Jean Vilar de Louvain-la-Neuve ont été sélectionnés en tant que premiers bénéficiaires de l’appel à projets «Prêt Culture», pour un montant total de 3,75 millions d’euros. Créé fin 2009 par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région wallonne pour soutenir le développement de l’économie créative, le fonds St’art entend soutenir avec ce nouveau dispositif des «projets ambitieux, d’envergure et économiquement profitables». S’échelonnant sur des périodes allant de 15 à 20 ans, ce prêt s’adresse à tous les opérateurs ou institutions agréés et/ou financés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qu’il s’agisse de soutenir des besoins en infrastructure (rénovation, équipements, sécurité…) ou d’aider à la création de nouveaux profils en ressources humaines. «Il y a beaucoup d’esprit d’entreprendre dans la culture, mais pas toujours les moyens de le faire. L’ambition est de pouvoir donner une impulsion au développement économique, avec une vision à très long terme», explique Antoinette Godin, chargée de projet et analyste chez St’art.
Effet levier
Avec ce dispositif, c’est aussi un message qui est adressé au milieu culturel: celui de la nécessité d’adopter un positionnement plus stratégique et de miser sur la «profitabilité économique» de leurs institutions. «Ce n’est pas un secret: le budget de la culture n’est pas extensible… Plutôt que de se demander à quelle sauce on va être mangé demain, il faut peut-être aussi être entrepreneur et créer ses propres ressources», commente Antoinette Godin, familiarisée à cette dynamique par son expérience dans le marché de l’art londonien. Reconnaissant un travail d’«évangélisation» du milieu, elle juge la métamorphose nécessaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. «Le monde va beaucoup plus vite maintenant, notamment avec la numérisation. Il faut trouver des outils qui permettent de gagner du temps, sinon on est déjà dépassé», explique-t-elle.
«Ce n’est pas un projet de rénovation, mais une véritable reformulation du lieu que nous avons souhaitée.» Cécile Van Snick, directrice de l’Atelier Théâtre Jean Vilar
Rodé à la logique réputée chronophage et court-termiste des subventions, le milieu culturel doit dès lors développer d’autres compétences, davantage tournées vers l’anticipation. «Faire de la modélisation économique, ce n’est pas pareil que de rendre des papiers pour obtenir des subsides», explique Antoinette Godin. St’art a donc aussi pour vocation d’accompagner les institutions dans l’élaboration de leur «business plan». «Le Prêt Culture doit s’inscrire dans un montage financier cohérent. L’idée est qu’il puisse y avoir un effet levier, notamment vis-à-vis des banques, en donnant au projet soutenu une certaine crédibilité. St’art peut aussi aider les lauréats à trouver d’autres sources de financement comme le mécénat et le financement participatif.»
Positionnement stratégique
Pour l’Atelier Théâtre Jean Vilar, confronté depuis de nombreuses années à d’importants problèmes de vétusté et de logistique – les équipes administratives se trouvent à dix minutes de marche des équipes artistiques et techniques –, l’obtention du Prêt Culture est perçue comme une aubaine. «Nous occupons depuis 1976 des lieux qui étaient au départ destinés à accueillir une cafétéria, non un théâtre», rappelle Cécile Van Snick, directrice de l’Atelier Théâtre Jean Vilar. «Ce n’est donc pas un projet de rénovation, mais une véritable reformulation du lieu que nous avons souhaitée, autour d’un projet d’architecture qui consiste à creuser dans la dalle de Louvain-la-Neuve pour créer 400 places à l’italienne et une cafétéria entièrement vitrée, ouverte sur la ville», poursuit la directrice. Avec un budget de 6 millions et demi d’euros, l’ambitieux projet se devait donc de glaner d’autres soutiens que celui de la Province du Brabant wallon, dont l’intervention s’élève à deux millions d’euros. «Le dossier St’art a été long à élaborer, avec des exigences très pointues en termes de chiffres et de projection financière, qui devaient notamment tenir compte des deux saisons de fermeture du théâtre exigées par les travaux. Mais cela nous a aussi obligés à prendre de la distance et à réfléchir à très long terme», explique la directrice qui assure que ses équipes s’en sont trouvées totalement «reboostées».
«L’infrastructure, c’est important. Mais, parfois, on a une Rolls et personne pour la piloter…», Antoinette Godin, chargée de projet et analyste chez St’art
Pour pouvoir s’affirmer comme un projet «économiquement profitable» et honorer son prêt sur 20 ans, l’institution ne pourra cependant pas se contenter de donner des représentations théâtrales, aussi brillantes soient-elles: elle devra soigner son positionnement à l’échelle locale, provinciale et nationale. «Par bonheur, nous sommes dans une ville qui explose et qui devient un pôle attractif au niveau économique, ce qui a compté dans le dossier. Nous avons surtout réfléchi aux liens que nous pouvions établir avec les citoyens et les étudiants en journée, et pas seulement le soir avec les spectateurs», poursuit Cécile Van Snick.
Diversification
Lectures, rencontres, happenings, partenariats avec les libraires: c’est aussi en multipliant les activités que l’Atelier Théâtre Jean Vilar espère attirer un nouveau public, susceptible de revenir pour acheter des livres ou simplement prendre un verre. Certes, comme le montrent de nombreuses études européennes[1], les industries créatives et culturelles sont aujourd’hui le troisième employeur européen. En Belgique, la valeur ajoutée de ces industries est même cinq fois plus élevée que celle de l’industrie pharmaceutique et six fois plus élevée que celle de l’industrie automobile[2]. Mais ce potentiel économique de la culture, qui n’a pas échappé aux responsables politiques, semble aussi passer de manière inévitable par la diversification de son «fonds de commerce», notamment via le tourisme, la restauration et les produits dérivés. «Nous venons d’un milieu où la culture est fortement subsidiée. Quand nous payons un ticket d’entrée 20 euros pour un spectacle, il y a en réalité 30 euros qui ont été subsidiés pour que nous puissions voir ce spectacle. C’est à la fois très bien, car ça donne accès à la culture, mais ça fausse l’idée qu’on se fait du coût de la culture», analyse encore Antoinette Godin.
Pour l’heure, le Fonds vient de lancer (7 mars) un second appel qui soutiendra non plus des projets entre 500.000 et 2.000.000 d’euros, mais à partir de 250.000 d’euros. «Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup d’opérateurs pour lesquels ce seuil serait plus opportun, notamment lorsque le besoin concerne les ressources humaines. Aujourd’hui, il existe un besoin de personnel avec des compétences particulières dans le digital, la finance ou la communication par exemple. L’infrastructure, c’est important. Mais, parfois, on a une Rolls et personne pour la piloter…» Problématique lorsqu’on sait que le pilotage culturel, entre accélérations et virages à 180 degrés, n’a décidément plus rien d’automatique.
[1] Les secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance, EY, décembre 2014.
[2] Le poids économique des Industries culturelles et créatives en Wallonie et à Bruxelles, IWEPS-ULB, décembre 2014.