La réforme des primes à l’énergie annoncée le 19 février dernier donne la priorité à l’isolation. La nouvelle politique estrésolument environnementale, bien sûr, mais elle se veut aussi nettement plus sociale. Vraiment sociales, les nouvelles primes ? C’est ce que nous avons voulu savoir.
Quelques jours avant l’ouverture de la grand-messe annuelle du bâtiment Batibouw, et au sortir d’un hiver aussi rigoureux que neigeux, l’annonce de la réforme desprimes énergétiques par le vice-président et ministre du Logement et de l’Énergie Jean-Marc Nollet (Écolo)1 n’est pas passéeinaperçue ! D’autant qu’on attendait avec impatience de savoir ce qui allait remplacer les aides à l’installation de panneaux photovoltaïques, remises en questionen novembre dernier par le ministre.
Nous voilà donc dotés d’une nouvelle politique de primes et d’incitants en faveur des économies d’énergie, placée avec force sous le signe del’isolation, applicable dès le 1er mai prochain. L’objectif est triple, ainsi que le veut le triangle du développement durable : favoriser à la foisl’écologie, le bien-être social et le développement économique dans le cadre de l’Alliance emploi-environnement.
Alliance emploi-environnement
Nous ne nous attarderons pas ici sur les impacts de la réforme sur le marché du travail. On signalera seulement que, selon une évaluation du secteur de la constructioncommuniquée par le cabinet Nollet, ce sont 10 000 emplois qui devraient être générés pendant 15 ans. Des emplois difficilement délocalisables et quiconcernent tous les niveaux de qualification, souligne la communication du ministre, qui a positionné cette réforme des primes à l’énergie comme le premier grandchantier de l’Alliance emploi-environnement.
En ce qui concerne les aspects environnementaux, la réforme est accueillie avec enthousiasme. Accorder la priorité à l’économie d’énergie et àla limitation des émissions de CO2, via l’isolation du bâti wallon, plutôt qu’à l’acquisition de watts supplémentaires au moyen de panneauxsolaires, voilà qui satisfait la plupart des intervenants du secteur et fait effectivement sens d’un point de vue écologique. Selon les chiffres du ministre, trois quarts de lafacture énergétique belge résidentielle sont consacrés au chauffage et une toiture sur deux n’est pas isolée, le tout dans de parc de logements wallonsvétuste, construit pour près de 50 % avant 1945. Autant dire qu’il y a du pain sur la planche !
Surprime verte
Dans ce cadre, la réforme des primes « Énergie » fait place à une autre avancée environnementale : l’encouragement, au moyen decompléments de primes, à recourir aux isolants naturels. La plupart des primes sont revues à la hausse2. Ainsi, la prime de base pour l’isolation de la toiturepasse, dans le cas d’un placement sans entrepreneur, de 4 euros par mètre carré à 5 euros minimum par mètre carré, et peut aller jusqu’à 7 eurospour les revenus les plus bas, voire même 10 euros en comptant une surprime en cas d’utilisation de matériaux naturels. Pour le double vitrage, la prime passe de 40 euros parmètre carré à minimum 45 euros par mètre carré, et peut atteindre 60 euros pour les revenus précaires. L’isolation des murs et du solbénéficie elle aussi de primes revues à la hausse.
Vous aurez noté que les primes sont modulées en fonction des revenus. Le principe n’est certes pas neuf – il est utilisé notamment pour les primes à laréhabilitation Réha+ –, mais il n’était pas encore d’application en matière d’isolation. Au cabinet du ministre de l’Énergie, onexplique avoir constaté que ce sont proportionnellement les plus hauts revenus qui bénéficient le plus des primes. C’est ce qu’on appelle l’« effetd’aubaine », qui veut que des propriétaires nantis profitent de l’opportunité de soutiens financiers pour effectuer des travaux.
Effet d’aubaine
Pour évaluer cet effet d’aubaine, des chiffres du SPF Finances nous ont été transmis par le cabinet Nollet. Ils montrent que, si l’on répartit la populationen dix catégories, ou déciles, selon le niveau de revenu, la plus grande proportion de propriétaires qui bénéficient de déductions fiscales, soit 13 %des propriétaires en Belgique, se situe dans le décile de tête, celui des revenus les plus élevés. Par contre, seuls 2 % des propriétaires relevant destrois déciles les plus bas, soit les revenus les plus modestes, ont bénéficié d’abattements fiscaux. Et le montant
moyen de la réduction d’impôt va du simple au double entre le 5e et le 10e décile.
Des données obtenues par ailleurs corroborent ces chiffres. Sur la base de l’exercice d’imposition 2006, on constate que, au niveau fédéral toujours, 3 000personnes déclarant moins de 10 000 euros de revenu font appel aux déductions fiscales contre 15 000 personnes pour les revenus supérieurs à 50 000euros !
La réforme des primes à l’isolation a pour objectif de contrer cet effet d’aubaine en introduisant la modulation en fonction des niveaux de revenus annuels. Les revenusprécaires (plus petits ou égaux à 12 000 euros pour un isolé ou plus petits ou égaux à 16 400 euros pour un couple) et les revenus modestes (entre12 000,01 euros et 24 000,01 euros pour un isolé et entre 16 400,01 euros et 30 100 euros pour un couple) bénéficient d’incitants financiers plusélevés. Au-delà, les primes sont les mêmes, que les revenus soient moyens ou supérieurs.
Accueil sur le terrain
Si la mesure est unanimement saluée par les intervenants du secteur, ils se demandent pourtant si elle suffira à endiguer l’effet d’aubaine. « Il est frappantde constater que les primes ne sont pas plafonnées vers le haut pour les revenus. Un ménage dont le revenu annuel équivaut à 30 000 euros aura droit aux mêmesprimes qu’un ménage dont le revenu annuel s’établit à 300 000 euros », explique-t-on du côté d’Inter-environnement Wallonie(IEW)3. « Par ailleurs, il est nécessaire de mettre en place un dispositif d’information et d’accompagnement des plus démunis, qui ont le moinsfacilement accès à l’information concernant ces primes », souligne IEW.
Au Syndicat national des propriétaires4, Béatrice Laloux accueille positivement la nouvelle, mais se demande si cette mesure aidera réellement lespropriétaires qui ne disposent pas de moyens financiers. « Il y aura certainement plus de propriétaires peu aisés qui réaliseront des travaux d’isolation,mais cela ne risque-t-il pas de rester marginal ? », s’interroge Béatrice Laloux.
De fait, les montants qui doivent être investis pour l’isolation sont loin d’être négligeables. Prenons l’exemple d’un petit propriétaire quisouhaite remplacer ses châssis par du double vitrage. Un châssis standard en bois de 1 m sur 1,45 m revient à 479 euros, hors placement, nous apprend unesociété de production et d’installation de doubles vitrages. Une fois déduite la prime maximale de 60 euros, il reste tout de même 419 euros à financer. Pourun seul châssis, dans une taille standard.
Une autre entreprise du bâtiment nous indique que l’isolation d’un toit au moyen d’un isolant naturel, la cellulose de papier, peut être largement couverte par laprime « Énergie », qui s’élèvera en l’occurrence à un maximum de 17 euros par mètre carré dans le cas d’unménage à revenus précaires et d’une installation réalisée par un entrepreneur. Certes, mais c’est sans compter les éventuels frais liésà la remise en état de la toiture, dont la charpente et l’étanchéité doivent bien souvent être améliorées. La note s’avèredès lors tout de suite plus salée.
Pré-financement
Afin de remédier à cela, la réforme des primes énergétiques comporte une autre nouveauté : le pré-financement de la prime. Ce dispositif definancement s’ajoute aux éco-prêts et permet, à un taux de 0 % lui aussi, de disposer du montant de la prime dès le début des travaux soit en ajoutant cemontant au prêt, soit en bénéficiant d’un financement plus léger puisque le montant de la prime en aura été déduit.
À nouveau, les questions se posent. Ce dispositif rendra-t-il effectivement plus accessibles les travaux d’isolation aux ménages les moins aisés ?
Chez Solidarités nouvelles5, une asbl qui traite des questions de logement des plus défavorisés, David Praile considère positivement les nouvelles mesuresmais se demande dans la foulée si les correctifs seront suffisants pour inverser la vapeur. En outre, David Praile replace dans son contexte l’annonce de la réforme des primes« Énergie » : logements insalubres, très grande précarité de nombreux locataires, avis d’expulsion sans relogement décent qui semultiplient, etc.
Locataires
Et de fait, que dire des locataires – et l’on n’évoque même pas uniquement ceux en situation de grande précarité – qui n’ont que peu de moyens depression sur leurs propriétaires et supportent des charges énergétiques parfois bien lourdes ? Le problème est complexe en ce qu’il touche aussi à lalégislation sur les baux, qui ne relève pas – ou du moins pas encore – du pouvoir régional.
La nouvelle politique de primes est aussi valable pour les propriétaires bailleurs et pour les locataires. Ces derniers percevront les incitants financiers pour leurs frais en faveur del’isolation du logement qu’ils occupent, et pourront même bénéficier des abattements fiscaux. Mais quel locataire voudra s’engager dans des fraisd’isolation des murs, du sol, ou de remplacement de doubles vitrages ?
L’isolation de la toiture, par contre, est déjà plus accessible. On peut ainsi imaginer qu’un locataire achète ses rouleaux d’isolant et les placelui-même. Dans ce cas, la prime lui remboursera une bonne partie, voire la totalité, de son investissement. Et les économies d’énergie seront tout à sonavantage. Mais dans ce cas, le propriétaire ne souhaitera-t-il pas revoir à la hausse son loyer ? C’est ici qu’intervient la législation sur les baux, quidevrait protéger d’une hausse substantielle de loyer le locataire qui investit dans son logement.
« Nous veillons à intégrer la dimension locative à notre réflexion énergétique », indique Sébastien Fontaine, conseiller aucabinet Nollet. « Mais il faut être très prudent en cette matière », relève-t-il, soulignant les risques qu’il y aurait à intégrerdes critères de performance énergétique dans les évaluations de salubrité des logements. Le risque serait, par exemple, de devoir considérer comme insalubresdes logements parce qu’ils ne disposent que de simple vitrage alors qu’ils sont plus qualitatifs que de nombreux habitats précaires.
tiers investisseur
Une analyse d’Inter-environnement Wallonie datée de novembre dernier remet en cause les dispositifs de primes et d’incitants financiers : « Des primesspécifiques sont prévues pour les ménages à bas revenus. Ces ménages ont-ils toutefois les moyens d’investir dans des travaux économiseursd’énergie ? Il semblerait que non : en effet, même si la prime couvre une partie financière importante, un nombre conséquent de ménages sontincapables de financer l’investissement. Pour les ménages aux revenus les plus faibles, le système des primes est donc insuffisant. »
Dans une position diffusée en juin de l’année dernière, Inter-environnement Wallonie prônait donc le recours au tiers investisseur. Rapide explication : cedispositif permet à un ménage de réaliser des travaux économiseurs d’énergie en les faisant financer par un tiers – un fonds lié ausystème bancaire – qui pourrait lui-même être financé sur la base des primes régionales économisées (puisqu’il remplacerait au moins enpartie le dispositif de primes) et des économies d’énergie réalisées individuellement par chaque ménage.
Au Syndicat national des propriétaires, Béatrice Laloux considère cette piste avec intérêt. Le système du tiers investisseur permet en outre, selon elle,d’assurer une meilleure répartition des coûts et bénéfices de travaux économiseurs d’énergie entre propriétaire et locataire.« Le loyer pourrait être augmenté de la moitié de l’économie réalisée par le locataire, et le propriétaire pourrait valoriser sestravaux pour une location suivante », explique-t-elle.
Les réponses du ministre
Nous avons interpellé le ministre Jean-Marc Nollet à la fois sur l’effet d’aubaine et sur les dimensions sociales d
u logement. Concernant l’effet d’aubaine,celui-ci renvoie à ses collègues des Finances pour les questions de redistribution fiscale, d’une part, et souligne que les primes sont plafonnées, d’autre part. Defait, en matière d’isolation de toiture par exemple, le soutien financier est limité à un maximum de 100 m2. « En caricaturant, explique Jean-MarcNollet, je dirai qu’on ne va pas financer l’isolation de la toiture d’un château. »
Pour ce qui est des aspects sociaux du logement, le ministre souligne qu’un vaste dispositif est à l’étude. « Nous consacrons 85 millions d’euros auxprimes logement et énergétiques. Mais ce sont 325 millions d’euros qui seront attribués à un dispositif dédié au logement social », souligneJean-Marc Nollet. Ce dispositif intégrera la rénovation et les aspects énergétiques et sera inclus à l’Alliance emploi-environnement.
En conclusion, on saluera les efforts louables du ministre de l’Énergie en faveur d’une vision plus sociale des primes « Énergie », via lamodulation des aides en fonction des revenus et les possibilités de préfinancement. Ces mesures restent toutefois peu innovantes du point de vue social et il n’est pasassuré qu’elles permettront de rééquilibrer entre les différents niveaux de revenus le bénéfice des incitants financiers à l’isolation. Etpour un investissement substantiel dans une politique réellement sociale du logement, il faudra encore attendre quelques mois, le temps que le ministre ait peaufiné son projet.
1. Cabinet de Jean-Marc Nollet :
– adresse : place des Célestines, 1 à 5000 Namur
– tél. : 081 32 17 11
– site : http://nollet.wallonie.be
2. Portail de l’énergie en Région wallonne
– tél. : 078 150 006
– site :http://energie.wallonie.be
3. Inter-environnement Wallonie :
– adresse : bd du Nord, 6 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 52 80
– site : www.iewonline.be
4. Syndicat national des propriétaires et co-propriétaires :
– adresse : rue du Lombard, 76 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 512 62 87
– site : www.aes-snp.be
5. Solidarités nouvelles asbl :
– adresse : rue Léopold, 36a à 6000 Charleroi
– tél. : 071 30 36 77
– site : www.solidaritesnouvelles.be