La lutte contre les logements inoccupés a connu une avancée à Bruxelles et un recul en Wallonie. Explications.
La lutte contre les logements inoccupés a connu une victoire en Région de Bruxelles-Capitale avec le vote, ce 12 mars, de trois amendements à un texte de 2003 instituant ledroit de gestion publique d’immeubles insalubres ou inoccupés. En revanche, en Wallonie, cette même lutte a subi un échec, à Charleroi, à travers les taxes surles logements inoccupés. Retour sur cette procession d’Echternach.
Trois pas en avant…
Prévu par le Code du logement bruxellois de 2003, le droit de gestion publique – forme de réquisition douce – permet aux opérateurs immobiliers publics de prendreen gestion un immeuble insalubre ou inoccupé. À ce jour, il n’a jamais été appliqué, rappelle-t-on au Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat(RBDH)1. Le texte amendé et voté ce 12 mars prévoit un allongement de la durée de prise en gestion publique, revendication portée de longue date par lesintervenants du secteur. Les modifications prévoient aussi une visite préalable, par les agents communaux, des immeubles concernés. Elles donnent enfin la possibilité auxassociations défendant le droit au logement d’interpeller les communes sur des immeubles manifestement vides.
Le RBDH, qui a diffusé récemment une étude sur le droit de gestion publique et a formulé des revendications à ce sujet, se dit satisfait de ces amendements, quivont dans le bon sens. « L’allongement de la durée de prise en gestion est une très bonne chose », souligne Ilham Bensaïd, chargée decommunication du RBDH, « et le troisième amendement, qui permet aux associations d’interpeller les communes, est aussi une vraie avancée. Ces modifications donnentplus de chance au droit de gestion publique d’être enfin applicable », explique-t-elle.
Mais sera-ce suffisant ? En effet, il manque toujours une définition claire des immeubles qui peuvent faire l’objet d’une gestion publique, d’une part, et,d’autre part, les immeubles de bureaux n’entrent toujours pas dans la catégorie des biens immobiliers qui pourraient tomber sous le coup de la gestion publique, selon le RBDH.« Nous espérons que le dossier sera repris par le secrétaire d’État au logement dans un avenir proche de manière à le faire avancer », expliqueIlham Bensaïd.
Une demande qui pourrait être entendue puisque le secrétaire d’État au Logement Christos Doulkeridis2 a indiqué « sa volonté de procéder aucours de cette législature à une évaluation plus générale du droit de gestion publique en s’inspirant des avis de diverses instances (l’Association de la Ville etdes communes de la Région de Bruxelles-Capitale, le Conseil consultatif du logement…) et de l’expérience d’autres entités en la matière », selon uncommuniqué de son cabinet. Une évaluation qui pourrait mener à l’extension des dispositions du droit de gestion publique aux immeubles de bureau.
Précisions
L’objectif de ce texte est d’amener les communes à bouger. Depuis 2003, la Région a tenté d’améliorer le dispositif en créant un « fonds de gestionpublique » pour aider depuis 2006 au financement des travaux, puis en autorisant la prise en gestion par les agences immobilières sociales (AIS) en 2007. Las. Des blocagesopérationnels subsistaient.
L’allongement de la durée de la prise en gestion devrait favoriser le fonctionnement du dispositif. En effet, cette ordonnance permettra aux opérateurs immobiliers publics de prendreen gestion le bien au-delà de la période de neuf ans, si cela est nécessaire pour se rembourser des travaux de mise en conformité effectués.
On s’en doute, ce texte ne rencontre pas les intérêts des propriétaires. Le Syndicat national des propriétaires (SNP) l’a fait savoir via l’un de ses piliers, Olivier deClippele, également député MR au parlement bruxellois. « Nous sommes contre l’allongement du délai, d’autant plus que le loyer est calculé sur les mêmescritères que ceux du logement social – soit les revenus du locataire, précise à son tour Béatrice Laloux, directrice au SNP3. Le propriétaire neperçoit qu’un loyer de misère tout le temps du remboursement. » Alain Maron, député Écolo4, précise que la période de remboursement aété calquée sur celle prévue par le Wooncode : « Et celle-ci n’a pas été remise en cause. »
Pour Alain Maron, l’échec du droit de gestion publique est dû, en partie, à la concurrence des taxes sur les logements inoccupés. « Souvent les communes sonttentées d’activer ces taxes, explique-t-il. C’est une solution de facilité. Mais alors ces logements ne sont pas réinjectés sur le marché locatif et on passeà côté de l’objectif poursuivi. »
… deux pas en arrière
Ainsi, la Ville de Charleroi escomptait-elle, au budget 2009, 600 000 euros de rentrées via les taxes sur les logements inoccupés. C’est ce que nous apprennent nosconfrères du Soir, dans leur édition du 25 février. Cette information est apparue à la suite d’un jugement rendu le 10 février dernier par la chambre fiscaledu tribunal de première instance de Mons : elle a déclaré illégal le règlement communal carolo instaurant une taxe sur les immeubles inoccupés.
C’est un propriétaire de Charleroi, taxé sur la base de ce règlement, qui est à l’origine du jugement. Celui-ci a en effet contestél’imposition en argumentant d’une discrimination : seuls les propriétaires privés sont susceptibles d’être taxés, les bâtiments appartenant àdes institutions publiques ne sont en effet pas soumis à ce règlement. En outre, le propriétaire carolo a souligné que l’inoccupation de son bâtiment est dueaux retards de l’administration à lui attribuer un permis d’urbanisme…
Contacté par nos soins, Me Stéphane Guchez5, avocat représentant le propriétaire, nous explique que chaque ville et commune possède lapossibilité d’édicter ses propres règles à partir du texte type de l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW). « Nous n’avons jamais émis d’objectionpar rapport au texte de l’UVCW, précise Béatrice Laloux du SNP. Mais nous nous battons depuis longtemps contre la possibilité d’exonérer les bâtiments publics.» La Ville de Charleroi a pourtant inclus cette option dans son règlement de 2004. « Nous avons obtenu gain de cause sur l’aspect discriminatoire de cette règle,précise Me Guchez, le juge n’a pas analysé les autres a
rguments – comme celui relatif au fait que le propriétaire attendait un permis. » Mais pour l’avocat, ce n’estpas le seul problème du règlement communal. En effet, le règlement prévoit que le fait de proposer à la vente ou à la location un immeuble inoccupé nesuffit pas pour être exonéré de la taxe ! À se demander si l’objectif poursuivi par la taxe carolo est vraiment de remettre sur le marché des logementsvides.
Quoi qu’il en soit, la Ville de Charleroi6 a décidé d’interjeter appel. Elle précise dans un communiqué : « Il paraît absurde que la Ville soitinvitée à se taxer elle-même, et le jugement semble plus généralement faire bon marché de la démarche publique. » Soit, mais le règlementde la Ville ne vise pas que les bâtiments communaux, il exonère aussi les bâtiments appartenant à l’État, aux provinces, aux communautés, auxrégions et aux autres établissements publics. Taxer ces derniers ne serait donc pas si absurde.
Du bon usage des taxes
Au vu des deux attitudes adoptées par les autorités publiques, on est en droit de se demander quelle est la méthode la plus efficace. Dans une précédenteédition (Alter Echos n° 270 : « Doucement, l’étau se resserre autour des logements inoccupés« ), nous avons souvent pu constater qu’il ne servait à rien de manier le bâton sans proposer lacarotte. Beaucoup d’acteurs locaux l’ont compris : l’objectif de la lutte contre l’inoccupation de logements n’est pas de sanctionner les propriétaires, mais de remettre les biens sur lemarché. Dès lors, les taxes doivent être utilisées à bon escient.
1. RBDH:
– adresse : quai du Hainaut, 29 à 1080 Molenbeek
– tél. : 02 502 84 63
– site : www.rbdh-bbrow.be
2. Cabinet de Christos Doulkeridis, secrétaire d’État au Logement :
– adresse :bd du Régent, 21-23 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 506 33 11
– courriel : ministre@doulkeridis.irisnet.be
– site : www.doulkeridis.be
3. SNP :
– adresse : rue du Lombard, 76 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 512 31 96
– site : www.snp-aes.be
4. Groupe Écolo au Parlement bruxellois :
– adresse : rue du Chêne, 14-16 à 1005 Bruxelles
– tél. : 02 549 66 56
– site : http://web4.ecolo.be
5. Association d’avocats Nemesis :
– adresse : rue du Parc, 49 à 6000 Charleroi
– adresse : avenue Reine Astrid, 288 à 7180 Seneffe
– tél. : 071 30 00 03
– site : www.avocats-nemesis.be
6. Site : www.charleroi.be