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Regard critique · Justice sociale

Financement

Profession: subsidiologue

Subsidiologue… Depuis quelque temps, ce titre de fonction énigmatique fleurit un peu partout. S’agit-il d’un énième témoignage de la novlangue débridée en usage dans le non-marchand? Ou bien ce terme décrit-il une véritable fonction? Alter Échos a voulu en avoir le cœur net. Et a fini par dénicher une vraie subsidiologue. Son nom: Mélanie Rasquin. Elle travaille pour la commune de Schaerbeek. Et se confie: elle ne serait pas pour rien dans l’émergence de ce métier presque à la mode…

Subsidiologue… Depuis quelque temps, ce titre de fonction énigmatique fleurit un peu partout. S’agit-il d’un énième témoignage de la novlangue débridée en usage dans le non-marchand? Ou bien ce terme décrit-il une nouvelle compétence? Alter Échos a voulu en avoir le cœur net. Et a fini par dénicher une vraie subsidiologue. Son nom: Mélanie Rasquin. Elle travaille pour la commune de Schaerbeek. Et se confie: elle ne serait pas pour rien dans l’émergence de ce métier presque à la mode…

Alter Échos: Ne tournons pas autour du pot: un subsidiologue, c’est quoi?

Mélanie Rasquin: Il faut tout d’abord dire que je travaille pour le Département du développement stratégique et durable, pour la gestion des projets transversaux. Je suis en poste depuis janvier 2011, mais ce département a été créé en 2003 avec, en son sein, un service subventions et partenariats. À cette époque, la commune se trouvait dans une situation financière assez compliquée. Le service s’attache donc depuis à promouvoir et à mettre en œuvre une politique active de recherche de subventions. Il aide aussi au montage et à la coordination des projets subsidiés. Enfin, il veille aussi à la bonne utilisation des subventions obtenues par rapport aux objectifs désignés par les pouvoirs publics.

AÉ: Vous servez donc en quelque sorte de point de contact?

MR: C’est ça. Nous ne nous occupons pas de contenu. Nous sommes là pour appuyer les porteurs de projet. Nous sommes une sorte de «contact point» transversal entre le ou les pouvoirs subsidiants et le service communal gestionnaire de projets. Nous avons une fonction d’appui et de support. Quand un appel à projets sort, nous contactons le service qui pourrait être concerné et nous mettons tout le monde autour de la table: le service, l’échevin(e)…

Du point de vue de la charge de travail, une bonne partie des projets que nous cherchons à faire financer sont déjà en gestation au moment où nous venons trouver les services.

AÉ: Vous êtes toujours bien reçu? Parce que, mine de rien, quand vous venez trouver un service, c’est pour lui donner du boulot en plus.

MR: Les anciens m’ont dit qu’au début le service a parfois été vu comme l’œil de Moscou, qui venait mettre son nez dans les affaires de tout le monde. Mais maintenant tout se passe très bien. Dès qu’une enveloppe arrive à la commune avec la mention «subventions», elle finit chez nous. Du point de vue de la charge de travail, une bonne partie des projets que nous cherchons à faire financer sont déjà en gestation au moment où nous venons trouver les services. Il ne s’agit donc pas souvent de mettre un projet sur pied spécifiquement pour répondre à un appel à projets. Mais bien de voir comment on peut faire entrer des projets en développement dans les appels à projets. Nous faisons alors des réunions stratégiques avec les services, les politiques responsables des services, le service finance… Je ne pense pas me souvenir qu’on m’ait claqué la porte au nez une seule fois.

AÉ: Lorsque l’on parle de subsidiologie, vous avez l’impression que ce terme recouvre quelque chose de nouveau? Ou bien s’agit-il juste d’un nouveau mot pour désigner une réalité qui existait déjà avant?

MR: Avant, la norme c’était: un chargé de projet, une subvention. C’étaient les gestionnaires du projet qui en faisaient le suivi. Et on peut dire que, parfois, une fois les subventions obtenues, il y avait un certain relâchement. Or s’il n’y a pas de suivi structurel de la subvention, si on zappe certaines étapes dans la justification des subventions, la commune peut perdre le financement. Cela arrivait régulièrement…

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la majorité des communes employant des subsidiologues sont des communes du croissant pauvre comme Saint-Josse, Molenbeek, Anderlecht, Saint-Gilles.

AÉ: C’est donc quelque chose de nouveau. Est-ce que cela a aussi un rapport avec la raréfaction des moyens?

MR: Oui, nous sommes en fait le symptôme d’une raréfaction des moyens. La commune de Schaerbeek est sous tutelle régionale. Ce qu’on nous autorise à dépenser ne couvre pas l’ensemble des besoins de l’entité. Nous sommes en plus une commune assez pauvre, les moyens que l’on peut collecter par le biais des impôts sont donc aussi assez faibles. Il faut trouver des moyens ailleurs, s’organiser. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la majorité des communes employant des subsidiologues sont des communes du croissant pauvre comme Saint-Josse, Molenbeek, Anderlecht, Saint-Gilles. Même si des communes comme Ixelles ou Woluwe-Saint-Lambert sont aussi très actives…

AÉ: Combien de projets gérez-vous actuellement?

MR: Une soixantaine, mais tous n’ont pas la même complexité. Cela dit, il faut être capable d’avoir une carte mentale en trois dimensions de tout ce qu’il y a à gérer.

AÉ: Pas évident?

MR: Non. On fait des bourdes, on apprend sur le tas. Il y a souvent du stress. Les projets deviennent de plus en plus compliqués, l’appétit vient en mangeant. Le service se structure, les projets se complexifient. Et puis, je l’ai dit, les réalités des communes changent: leurs besoins augmentent alors que les moyens se raréfient.

AÉ: Quelles sont les qualités à avoir pour être une bonne subsidiologue?

MR: On apprend beaucoup sur le terrain. Mais il faut avoir des compétences en gestion de projet, en budget communal, de la rigueur, une bonne organisation, être orienté résultat, savoir s’adapter, être autonome. Il faut avoir une bonne résistance au stress. Cela peut paraître beaucoup, mais on finit par avoir un profil très spécialisé dans ce boulot. Si je devais me reconvertir, ce serait compliqué (rires).

Dans le cadre d’un projet de collaboration intercommunale, nous avons notamment créé un groupe de travail «subventions» en compagnie d’autres communes.

AÉ: J’imagine qu’il faut aussi de bonnes compétences relationnelles?

MR: Oui, il faut avoir une aisance relationnelle, savoir conduire une réunion. On se retrouve souvent leader de projet… En cela, il faut aussi être capable de se rendre compte de la réalité de l’autre. Chaque subsidiologue défend en quelque sorte les intérêts de sa propre institution… Il faut être capable d’être à l’écoute, de créer de la confiance mutuelle. Le rapport de confiance avec les partenaires est important. On travaille avec ces gens tous les jours, il faut un rapport franc et une bonne communication… Il faut aussi parfois être réactif: les courriers en urgence, je suis devenue une spécialiste. J’apporte les dossiers en mains propres, je prends les signataires et je fais le tour de la commune. Il ne faut pas attendre en disant: je vais organiser une réunion la semaine prochaine.

AÉ: Subsidiologue… Vous avez une idée d’où peut bien venir ce terme étrange?

MR: Oui, c’est moi qui l’ai inventé! Enfin, quand je dis moi, c’est plutôt nous. Dans le cadre d’un projet de collaboration intercommunale, nous avons notamment créé un groupe de travail «subventions» en compagnie d’autres communes. C’est au cours des travaux que le terme de subsidiologue est sorti pour la première fois. Et petit à petit, nous avons essayé de promouvoir le métier et le terme, qui essaiment…

AÉ: Aujourd’hui, vous dites à vos amis que vous êtes subsidiologue?

MR: Oui, pour me la péter (rires). Plus sérieusement, j’utilise ce terme de plus en plus souvent pour définir ce que je fais.

AÉ: Les gens doivent vous regarder avec un air ahuri…

MR: Il est clair que c’est moins évident à expliquer que le boulot de médecin. Mais bon, je dis que mon rôle est de gérer les subventions pour appuyer les politiques communales, là ça passe mieux…

AÉ: On vous aurait dit il y a dix ans que vous deviendriez «subsidiologue», quelle aurait été votre réaction?

MR: Je vous aurais regardé et je vous aurais ri au nez! Pourtant c’est un chouette métier, très stimulant, où je peux me rendre utile, ce qui est très important pour moi. On réalise des choses concrètes, cela ne part pas dans les limbes. On parle d’ailleurs de plus en plus de cette fonction et de ce type d’organisation centralisée comme nous l’avons à Schaerbeek. Des structures comme les scouts ou la commune de Forest sont venues voir comment nous fonctionnions. On en est au point ou l’ERAP (l’École régionale d’administration publique) organise périodiquement des cours de subsidiologie pour les agents des pouvoirs locaux. Nous y sommes d’ailleurs impliqués puisqu’on nous a notamment demandé d’intervenir pour exposer nos trucs et astuces dans ce domaine.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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