Le 9 décembre, l’asbl Trempoline1 organisait à Gilly une journée d’études sur le thème : « La personne toxicomane et ses enfants :agir au cœur de la relation ». Trempoline est cette communauté thérapeutique pour personnes toxicomanes, située à Châtelet, au sein de laquelles’est développé Kangourou, un service qui vient en aide aux mamans toxicomanes accompagnées de leurs enfants. L’invitation à échanger les points de vue,à croiser les regards des secteurs liés à l’enfance et à l’aide aux toxicomanes marquait les cinq ans d’existence du projet Kangourou. Les débatsdépasseront largement le cadre de la prise en charge des usagers de drogues, s’avançant sur un terrain plus large de discussions autour de la collaboration entre intervenants, descompétences parentales, etc. Le compte-rendu de la journée fait, aujourd’hui, l’objet d’une publication sous la forme d’un cahier électronique dans lacollection Labiso (Laboratoire des innovations sociales)2.
Enfance et aide aux toxicomanes
L’équipe de Trempoline a envisagé la journée comme un temps de rencontres et d’échanges. « Il n’y a pas de réponses simples et claires, dirad’entrée Georges Van der Straten directeur général de l’association. Nous ne sommes pas là pour donner des leçons. » Et d’appeler de sesvœux une journée d’études, moment de renforcement des compétences, de travail en réseau.
Quelque deux cents personnes étaient présentes, issues à la fois de secteurs liés à l’enfance et à l’aide aux toxicomanes. Réunis lematin autour d’intervenants étrangers et d’une juge de la jeunesse, puis en ateliers l’après-midi, les participants ont été directement plongésdans le sujet par l’entremise de deux témoignages filmés. Un papa, une maman, à cœurs ouverts, découvrant une part de leurs intimités, retraçantleurs histoires, histoires de sevrage, histoires de parents. Place ensuite aux exposés de professionnels.
Les parents résidants à Trempoline
L’asbl Trempoline a développé une partie de ses activités à destination des mères. Ainsi le projet Kangourou propose à des mamans toxicomanes unprogramme thérapeutique résidentiel tout en gardant leur(s) enfant(s) auprès d’elles. Un constat à l’origine du projet : l’hésitation desmères à se soigner parce qu’elles se voyaient contraintes de placer leurs enfants pendant ce temps de cure. Kangourou permet à certaines d’entre elles dedéposer leurs deux valises, la leur et celle de leurs enfants.
Parallèlement, Trempoline a institué des groupes de discussions ouverts tant aux mamans de Kangourou qu’aux résidants de Trempoline, père ou mère. Une chambreest aussi mise à disposition pour permettre à certains papas d’assurer la garde de leurs enfants le week-end.
Échanges d’expériences interpellantes
Lors de la journée d’étude, Claire Chanal, sage femme à Montpellier, exposera le projet qu’elle et d’autres ont initié à l’hôpitalArnaud de Villeneuve, pour la prise en charge de futures mères toxicomanes. Tandis que Pia Biancon, responsable d’une maison d’accueil pour mamans toxicomanes et leurs enfants,décrira également son expérience, proche du projet Kangourou, sur le terrain milanais. A leurs suites, retour sur le terrain belge, carolo même. Catherine Gougnard, juge dela jeunesse à Charleroi propose quelques réflexions à l’assemblée, se fait interpellante. En comparaison avec l’alcoolisme des parents, la toxicomanie, luisemble-t-il à partir de sa pratique, engendre plus de dramatisation, plus de rapidité de mobilisation des travailleurs sociaux. Et si elle fait état d’unelégère évolution, elle constate tout de même l’ouverture beaucoup plus systématique de dossiers protectionnels. Elle évoque également un manquede confiance en la justice, tant dans le chef des parents toxicomanes que dans celui des professionnels. Les premiers ont du mal à reconnaître leurs problèmes de toxicomanie faceà un juge, les seconds ne franchissent que très rarement les portes de son bureau. A cet égard, elle en appelle à plus de collaborations. Elle rappelle ainsi son cadre detravail, celui de la justice, à l’aide de trois symboles qui la représentent (la balance, le glaive et le bandeau). Le bandeau, souvent oublié, remarque-t-elle, signifiel’écartement de preuves non recueillies de manière légale ou non pertinentes. Ce sera le cas notamment si les règles du secret professionnel ne sont pasrespectées. Elle invite alors les travailleurs sociaux à continuer à réfléchir à propos du secret professionnel, à dépasser ladéfinition pour entrer dans l’examen des situations où il semble adéquat de s’en délier, où il semble nécessaire d’apporter deséléments à la justice.
Par ailleurs, la juge de la jeunesse s’inquiète d’une certaine instrumentalisation de la part des travailleurs sociaux. « Laissez-moi des portes de sortie »,dira-t-elle à la salle. « Apportez la situation telle quelle, pas votre diagnostic, faites confiance à la justice, donnez-lui ce sur quoi vous vous fondez ».
Quand la vidéo entre dans la pratique
Quatre ateliers rythmeront l’après-midi. Le premier s’appuie sur la présentation de deux outils d’évaluation de la relation parent/enfant. Tous deux fontusage du média vidéo. L’un a été conçu à partir du centre d’hébergement pour enfants victimes de maltraitance, l’accueil àCharleroi. Le second est gantois. Il s’agit de « l’accompagnement vidéo interactif » proposé au sein du projet Tipi, un projet similaire à celui deKangourou. Si les formes de travail sont différentes, le postulat de base semble à peu près similaire. Visionner des situations où ils sont filmés en relation avecleur(s) enfant(s), mettre de mots et décoder des fonctionnements seraient pour les parents un moyen de modifier leurs comportements en vue d’un mieux.
Rencontre entre secteurs
Le second atelier s’attardera sur l’exemple liégeois d’articulation entre le secteur de la petite enfance et le secteur de la toxicomanie. Depuis 1999, un « atelierparentalité et usager de drogues » regroupe des acteurs issus de ces secteurs. Des rencontres en plénières permettent aux participants d’approfondir une thématiquecomme le syndrome de sevrage, ou la parentalité à temps partiel. Des intervisions en sous-groupes se basent sur l’analyse de situations et de la collaboration menée entreservices avec des mandats différents. Elles ont entre autres donné naissance à une charte de collaboration, forme de canevas pour l’action cohérente desdifférents professionnels, à l’élaboration d’une grille d’évaluation des compétences parentales.
Questions de parenté, de parentalité…
Un autre atelier abordera, par la description d’une expérience carolorégienne, cette question spécifique d’accompagnement des parents. « Mobiliser la‘parenté sociale’ » est un des objectifs de la Maison ouverte, structure d’accueil en journée d’enfants de 0 à 3 ans et de leurs parents. Et lesresponsables de la Maison ouverte de donner quelques définitions comme celle de la parenté sociale justement. « Parenté sociale: les ressources de la communauté poursoutenir les parents dans leurs rôles. On y retrouve par exemple l’entourage familial, les associations de quartier, les crèches ». Tandis que la parentalité socialeest définie comme « les capacités pratiques à prendre soin de l’enfant, à s’en occuper, à l’éduquer, à le protéger». « Mais les familles défaillantes sont très méfiantes par rapport à tous ces services inscrits dans la parenté sociale, expliquent les porteuses duprojet. Alors pour nous, soutenir la parentalité, c’est amener les parents à accepter l’intervention de professionnels afin d’augmenter les chances d’un meilleurdéveloppement de l’enfant, pour autant que le regard vis-à-vis des parents soit bienveillant… ». Un atelier parents a été mis sur pied en ce sens.
Un programme préventif québécois
La présentation d’un programme québécois intitulé « Moi, c’est moi » fera aussi l’objet d’un atelier. « Moi, c’est moi »est à l’origine destiné aux enfants entre 8 et 12 ans. Il est développé au sein du centre Jellinek, un « centre de réadaptation pour personnesalcooliques et toxicomanes, mais aussi dépendantes des médicaments ou du jeu » ; et s’adresse ainsi aux enfants dont les parents font face à ce type deproblématiques. « Les recherches et notre expérience nous montrent qu’à moins d’une intervention ciblée et directe, ces enfants vont subir lesséquelles laissées par leur héritage d’enfant de foyer alcoolique et toxicomane. Ils sont plus susceptibles de développer des problèmes de dépendancesou de choisir un conjoint dépendant. Nous souhaitions contrer ce cycle transgénérationnel de la dépendance », expliquera Nicolas Côte, responsable duprogramme. Il décrira entre autres les outils du projet dont la survie est en point d’interrogation ; d’aucuns considérant que, travail de prévention, le programme neserait pas du ressort d’un centre de réadaptation.
1. Trempoline (unité Kangourou), Grand-Rue 3 à 6200 Châtelet – tél. : 071 40 27 27 – fax: 071 38 78 86 – christophe.thoreau@trempoline.be – hugues.martens@trempoline.be
2. Voir le site labiso.be.