Cela fait bientôt un an que le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers)1 a lancé un programme de retour volontaire et deréinsertion socioprofessionnelle en collaboration avec Vluchtelingenwerk Vlaanderen. Conçu sur le modèle des programmes de Caritas International et de l’Organisationinternationale pour les migrations, ce service concerne trois pays : l’Algérie, la RD Congo et l’Équateur. L’objectif : accompagner les demandeurs d’asiledéboutés ou les personnes en situation illégale dans leur projet de retour vers leur pays d’origine. Bilan sur un an d’une mission délicate exigeant respect etdignité.
Juriste de formation et responsable au Ciré de la réinsertion en Équateur, Julie Papazoglou, est chargée de l’accompagnement d’un public spécifique :les Équatoriens. « La particularité des Équatoriens est qu’ils ne demandent pas l’asile en Belgique, car ils savent qu’ils ne l’obtiendront pas enraison de la relativement bonne situation politique de leur pays. Ils rentrent donc dans la catégorie des personnes qui entrent illégalement en Belgique sans passer par la demanded’asile ». Au bout de plusieurs années de galère, d’emplois précaires, quand toute perspective de progrès social s’est évaporée, laquestion du retour se pose parfois comme une option possible pour regagner un peu de dignité.
« C’est un travail d’accompagnement très délicat, remarque Julie Papazoglou, car nous sommes confrontés à des personnes qui ont subi des situationsd’exploitation parfois particulièrement inhumaines. Les Équatoriens vivant en Belgique sont en général assez bien formés. Ce sont des comptables, despuéricultrices, des gens qui avaient une carrière professionnelle en Équateur. Mais chez nous, ils trouvent du travail comme femmes de ménage, gardes d’enfants,maçons. »
Comment le Ciré procède-t-il ? Les personnes intéressées par le retour volontaire et la réinsertion arrivent au Ciré via deux voies : elles sontenvoyées par des services sociaux de première ligne et par les partenaires (Organisation internationale pour les migrations / Return and Emigration of Asylum Seekers ex Belgium) ou viale bouche-à-oreille. « Leur arrivée chez nous est en général une étape supplémentaire dans un long parcours. Ce n’est jamais facile pour unepersonne qui a tenté sa chance dans l’exil, souvent avec une pression non négligeable de la part de sa famille, qui a placé en elle beaucoup d’espoir, d’enarriver à se dire qu’elle a perdu son pari de vie. Les gens que nous rencontrons sont souvent très fragiles et porteurs d’un passé difficile. »
Lors d’un premier entretien, Julie Papazoglou essaie avant tout d’ouvrir un dialogue. Elle tente de mieux cerner les motivations de la présence de la personne en Belgique. Quelétait son rêve ? Comment est-elle arrivée ici ? Où en est son parcours migratoire ? Et puis, surtout, qu’est-ce qui la pousse au retour ?
« Ce premier contact est volontairement non contraignant. Nous ne décidons de rien. Nous n’ouvrons pas de dossier. La personne doit se sentir libre. À tout moment, ellepeut faire marche arrière. Et cela arrive souvent d’ailleurs. L’entretien se passe aussi en espagnol pour mettre les gens à l’aise. L’important estd’apprendre à se connaître », remarque la responsable de l’Équateur.
Ensuite, si la personne est toujours déterminée à rentrer, un second entretien a lieu, au cours duquel les motivations sont explorées. Quelles sont les raisons dudépart ? Les causes sont multiples : l’angoisse de ne pas pouvoir sortir de la clandestinité, la nostalgie et la déception, le ras-le-bol d’êtreexploité, une prise de conscience que l’exil est trop lourd à porter, des raisons familiales au pays qui requièrent la présence de la personne, …
« À ce moment-là, nous pouvons aborder concrètement le programme de retour volontaire et d’accompagnement à la réinsertion, explique JuliePapazoglou. Nous leur expliquons qu’un service de réinsertion sociale et professionnelle les accompagnera dans leur projet de réinsertion. Concrètement, cela peutêtre la création d’une petite entreprise, inscrire les enfants à l’école, chercher un emploi, se loger. L’important est de s’assurer que le projetest viable et qu’il est réaliste. »
Le nerf de la guerre
Le budget n’est pourtant pas très gros puisque le Ciré dispose de 700 euros par personne et de 1 750 euros par famille. Cette somme est mise à la disposition despersonnes via une organisation partenaire locale, sous forme d’aide matérielle. On peut s’interroger sur la petitesse de cette allocation, tout de même destinéeà reconstruire une vie. La demande doit être adressée au Fonds de réintégration géré par Fedasil (Agence fédérale pour l’accueildes demandeurs d’asile en Belgique) sous la forme d’un dossier bien ficelé, avec budget. « Cette procédure assez lourde est destinée à assurer lesérieux de la demande », explique Sylvie De Terschueren, coordinatrice du programme.
Quel premier bilan après presque un an ?
Lancé en juillet 2006 et opérationnel depuis janvier 2007, le programme de retour volontaire et de réinsertion socioprofessionnelle mené par le Cire a porté desfruits. « Nous travaillons à une échelle très humaine. Jusqu’à présent, seuls six Équatoriens, un Congolais et un Algérien sonteffectivement rentrés. C’est dû au fait que nous attachons beaucoup d’importance à la liberté individuelle de la personne. Hors de question de la forcer. Elleest libre de se raviser ou de changer de projet en cours de route », déclare Julie Papazoglou.
Le projet a pris du temps à se mettre en place. Ainsi le Ciré a fait deux séjours en Équateur, un en RDC et deux en Algérie afin d’établir desrelations de qualité avec des partenaires locaux. « Ces partenaires sont financés de manière structurelle. C’est important, fait remarquer Sylvie De Terschueren. Ilfaut au contraire assurer que les partenaires soient dans les meilleures conditions pour accueillir les personnes qui rentrent, sans pressions économiques et en fournissant un service dequalité totalement gratuit. »
Le programme de retour volontaire et de réinsertion du Ciré est lui-même cofinancé par le FER (Fonds européen pour les réfugiés) et Fedasil pour lesdemandeurs d’asile; et Fedasil seul plus spécifiquement pour les Équatoriens qui, on le rappelle, ne sont pas des demandeurs d’asile.
« C’est un travail qui n’est pas toujours évident. Il faut pouvoir prendre le recul n&e
acute;cessaire. Ce n’est pas toujours facile quand des personness’adressent à vous en disant : « aidez-moi. Je veux rentrer parce que demain je suis à la rue ! » », constate Julie Papazoglou. Décoder les tabous, entendre lesnon-dits, faire la part de la liberté personnelle et des pressions, gérer souvent des pathologies mentales qu’elle constate de plus en plus fréquemment dans sa pratique,voilà quelques-uns des problèmes concrets… Sans être dupe, elle reste consciente que ce travail est délicat, difficile, et qu’il faut le faire avec la plus grandedes éthiques. « La migration circulaire existe, explique Julie Papazoglou. Nous savons que des personnes reviendront, simplement parce que le poids de l’opprobre social sera troplourd à porter, mais surtout parce que derrière l’exil, il y a l’espoir d’un mieux-être économique là-bas dans l’eldorado fantasmé del’Europe. Même en sachant que l’immigrant est malheureux, la famille préférera parfois l’espoir d’un mieux-être dont est investi celui-ci…C’est vieux comme le monde. »
1. Ciré, rue du Vivier 82 1050 Bruxelles – contact : Responsable Sylvie De Terschueren – tél. : 02 629 77 03 – courriel : reinsertion@cire.irisnet.be – site : http://www.cire.irisnet.be/actions/retour.htmlB