Fadila Laanan propose de réformer la promotion de la santé. Un projet qui provoque des inquiétudes sur le terrain. Où en est-on aujourd’hui ?
Petit retour en arrière. La déclaration de politique communautaire prévoyait une évaluation du décret du 14 juillet 1997 portant organisation de la promotion dela santé en Communauté française. Depuis 2009, le Conseil supérieur de la promotion de la santé1 est aussi chargé de remettre au gouvernement uneévaluation de chaque programme quinquennal. La ministre de la Santé Fadila Laanan2 a décidé de coupler les deux évaluations et les a confiées auxcabinets de consultance « Perspective Consulting » et « Efficiences »3. Mai 2011 : Fadila Laanan présente publiquement sa propresynthèse de l’évaluation et son projet de réforme du secteur. S’en suit une période de remous dans un secteur inquiet pour son avenir.
Les grandes lignes de l’évaluation
« Evaluation des dispositifs santé ». Le rapport de 130 pages balaye l’ensemble des éléments constitutifs du dispositif de la promotion de lasanté en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) : programmes communautaires, services agréés et cadre législatif. « L’idée n’étaitpas ici d’évaluer les effets d’une politique, précise d’emblée Cecilia Dedecker, de Perspective Consulting, mais bien de passer au crible les questions d’organisation et destructuration du dispositif. »
Parmi les grandes conclusions, épinglons-en quatre :
• La nécessité de simplifier le cadre légal de la promotion de la santé, actuellement régie par quelque 120 normes.
• La nécessité d’une plus grande transversalité en matière de santé entre les diverses compétences de FWB. « Alors que beaucoup de choses sefont sur le terrain en termes de travail en réseau et en partenariat, souligne Cécilia Dedecker, très peu de choses se font au niveau communautaire. Avant tout, la FWB devraitagir sur les déterminants de santé dans ses propres compétences (enseignement, la culture…) »
• Le secteur serait caractérisé par un manque de pilotage : pas d’acteur responsable de la planification de la politique, de son suivi, de l’évaluation de ses effets.D’où l’idée d’un organisme de pilotage, qui pourrait aussi agir sur la santé dans les autres compétences de la FWB et conclure des protocoles d’accords avec d’autresniveaux de pouvoirs. Il pourrait prendre la forme d’un organisme d’intérêt public (OIP) et aurait des tâches de pilotage, d’observation, de coordination et d’animation etd’évaluation.
• L’évaluation met aussi en lumière les difficultés de répartition entre acteurs et la nécessité d’éliminer les doublons.
La ministre propose de rassembler l’ensemble des textes en un décret, le code de la santé de la FWB. Il devrait voir le jour cette année. « Il y a un grandnettoyage à faire, explique Gilles Doutrelepont, directeur de cabinet de Fadila Laanan. Des textes sont à abroger, d’autres à modifier. Le cœur de la réforme :simplifier et améliorer la promotion de la santé au bénéfice du citoyen. » Cela en précisant les concepts, mais aussi en apportant plus de transparencedans l’octroi des subsides.
Le texte doit prévoir la création d’un organisme de pilotage : « L’idée est de rassembler les énergies et les expertises, disséminées dansles services communautaires de promotion de la santé, dans les observatoires, etc., dans un seul organe, explique Gilles Doutrelepont. Un organe carrefour entre les différents niveauxde pouvoir et l’information qui remonte du terrain. »
– Le CSPS : le conseil supérieur de promotion de la santé, un organe d’avis sur la promotion de la santé au niveau communautaire.
– Les SCPS : les quatre services communautaires de promotion de la santé ont pour mission d’apporter au secteur un soutien en matière de formation, de documentation, decommunication, de recherche et d’évaluation.
– Les CLPS : les dix centres locaux de promotion de la santé couvrent l’ensemble du territoire. Leur mission : coordonner sur le plan local la mise en œuvre du programmecommunautaire de promotion de la santé. Ils apportent une aide méthodologique et des ressources aux organismes de terrain, initient des dynamiques locales de partenariats,d’intersectorialité et de participation et travaillent à la définition des politiques locales de santé.
La concertation en question
Si le secteur ne rejette pas la nécessité d’une réforme, ni l’ensemble des conclusions de l’évaluation, ce sont la méthode et le manque de concertation autour decette évaluation qui sont mis en question. « Il y a eu quelques malaises dans le secteur en rapport avec le nombre d’interviews et de consultations sur lequel repose lerapport », rapporte Chantal Vandoorne, directrice de l’APES-ULg4 (un SCPS). L’échantillon des acteurs consultés n’est pas jugé comme assezreprésentatif pour entamer une réforme. De même, il n’y a pas eu de consultation des acteurs non subsidiés par la promotion de la santé, un des publics des CLPS.
Une concertation un peu restreinte, aussi, de par l’étroitesse du comité d’accompagnement, composé du cabinet, de l’administration et de Chantal Leva, présidentedu CSPS. Une délégation plus large avait initialement été proposée par le CSPS, mais elle a été refusée.
Pas non plus d’étude des besoins du public. « Pourquoi traquer les doublons alors qu’on n’a pas analysé les besoins ? » s’insurge Eurotox.
Alors que certains épinglent le manque de liberté des évaluateurs et l’instrumentalisation de l’évaluation pour mettre en œuvre la réforme, d’autresse contentent de pointer une certaine précipitation dans la communication qui a été faite au secteur. Car les acteurs, en ce compris le CSPS, ont étéinformés des conclusions via une conférence de presse.
« Bottom-up ou top-down? »
Le projet de création d’un organe de pilotage centralisé sème l’émoi. La grande crainte : la mise sur pied d’une approche « top-down » et laremise en cause du principe de subsidiarité. Les premiers concernés par la création de cet organisme sont les SCPS, qui n’existeraient plus comme tels. Certaines de leursmissions (accompagnement, orientation) seront transférées à l’organe de pilotage, tandis que d’autres (analyse, recherche) seront poursuivies par les universit&eac
ute;s par lebiais de conventions signées avec l’organe en question.
« Les services communautaires ont été maltraités dans l’étude, déplore Chantal Vandoorne. Il n’y a pas eu de tentative de cerner le type de travailqu’ils faisaient, car il y avait le projet politique de les faire disparaître. Tel que cela nous a été dit, le cabinet considère que leurs missions doivent êtreréalisées par les services publics, explique-t-elle. Pourtant, nous sommes mieux acceptés par le secteur car nous pouvons jouer ce rôle d’aller et retour entre le politiqueet le terrain. »
D’autres observatoires et asbl devraient se voir amputés d’une partie de leurs missions : l’Observatoire du sida et des sexualités, la Plate-forme prévention sida,Eurotox, entre autres. « Deviendra-t-on une espèce de bras armé du cabinet ? », se demande Eurotox5, qui s’inquiète de la perteéventuelle de son indépendance scientifique. « Fadila Laanan a une certaine vision de la santé publique, mais comment assurer une continuité lors deschangements ministériels ? » Des appréhensions d’autant plus grandes que ces acteurs travaillent en proximité avec le terrain, sur base de relations de confiancequi se construisent depuis plusieurs années. La crainte d’une dilution thématique au profit de la transversalité se fait aussi sentir.
« Il faudra donc être très attentif à la manière dont cet organisme va être construit, ses missions, son contrat de gestion », conclutChantal Vandoorne, qui pose aussi la question de sa localisation : à un niveau de confort personnel des professionnels des SCPS qui y seraient engagés, mais aussi en termes degouvernance et d’interaction avec les Régions. Le statut de cet organe n’est pas encore défini, nous assure le cabinet. Une étude juridique est cours. Quant au lieu, il n’est pasnon plus déterminé.
Autre motif d’inquiétude, si l’évaluation met en lumière la nécessité de développer la transversalité au niveau de la FWB, cela n’a pasété repris dans les messages de Fadila Laanan. Réponse du cabinet : le décret précisera dans ses grands principes que la promotion de la santé faitappel à d’autres compétences. « Dans le dispositif du décret, il est difficile d’aller plus loin, précise Gilles Doutrelepont. Mais nous envisageons des accordsde collaboration avec les autres niveaux de pouvoirs et la mise sur pied d’une plate-forme de la promotion de la santé, qui réunira l’ensemble des ministrescompétents. » Une plate-forme qui devrait être constituée dans la foulée de l’adoption du décret.
Plaidoyer : « La santé partout et par tous »
Suite à la présentation du projet de réforme, un collectif des acteurs de promotion de la santé6 s’est organisé et a rédigé un plaidoyersigné par une centaine de professionnels. Il rappelle les grands principes de promotion de la santé chers à ces acteurs : une santé prise dans sa globalité(notion de qualité de vie), une proximité avec les citoyens, la médiation entre besoins et aspirations des publics. Le collectif pointe la culture managérialecentralisatrice qui semble apparaître. Il met en garde contre la tendance à la normalisation des pratiques, sous prétexte d’une évaluation à tout prix, etprône la définition collective de critères de qualité. Il souligne enfin la nécessité d’investir davantage en promotion de la santé via uneaugmentation des budgets et, avant cela, via leur indexation.
Du côté des CLPS, il semble qu’on marche sur des œufs dans la communication faite vers l’extérieur. Quatre d’entre eux sont signataires du plaidoyer sus-mentionné.Pour le reste, ce qui est sûr, c’est qu’un travail de positionnement commun a été réalisé. Ce que nous explique Raffaele Bracci (CLPS de Verviers)7,à la présidence de l’inter-CLPS entre novembre 2011 et avril 2012 : une proposition de reformulation des missions des CLPS, un argumentaire sur les valeurs de la promotion de lasanté et le fruit d’une réflexion sur l’articulation entre CLPS et un organe de pilotage ont été remis au cabinet. Il reste un certain nombre d’inconnues, nousdit-il : devra-t-on travailler de manière plus thématique ? Quelles modalités d’agrément et selon quelle temporalité ?
Les CLPS vont être maintenus, mais une insécurité demeure donc au niveau de leurs missions. Autre enjeu de taille : leur travail sera-t-il plus cadré au niveaucommunautaire ou conserveront-ils leur capacité de s’adapter aux spécificités et besoins locaux ?
A l’ordre du jour
Un comité de liaison composé de quatre membres du CSPS et d’un membre de la Commission PSE (promotion de la santé à l’école) accompagne aujourd’huile cabinet dans la rédaction du code de la santé. Deux réunions ont eu lieu jusqu’ici (la dernière en mars dernier). « Un travail d’intégration descommentaires du comité de liaison est en cours », nous dit Gilles Doutrelepont. Le cabinet espère avoir un projet de texte pour juin. Le CSPS aura ensuite l’occasion de seprononcer avant que le texte n’emprunte le trajet habituel d’un décret.
« Ce qui est crucial actuellement, souligne Chantal Leva, c’est que ce code de la santé tienne compte des attentes des professionnels, de la prise en compte des besoins de lapopulation et le fait qu’il participe à la réduction des inégalités sociales de santé. Ce sont aussi les relations qui vont être mises en place entre cetorganisme et les acteurs de terrain. »
Plusieurs acteurs ont approché la ministre afin de discuter de leur destin. « Nous avons l’impression que nous avons été entendus sur un certain nombre de points,nous dit Eurotox. Il faudra voir quelle synthèse va en sortir. » Il reste qu’un climat d’incertitude plane, y compris pour des associations qui font de la promotion de lasanté de manière plus périphérique, comme en témoigne Manu Conde, de l’asbl Comme chez nous(8) : « Mon projet de promotion de la santéauprès d’un public de sans-abri, financé par la FWB, arrive à échéance, explique-t-il. Nous pensons à nous repositionner car se pose la question de lasurvie. »
Au niveau budgétaire, sur les 40 millions d’euros annuels pour la promotion de la santé, la répartition ne devrait pas être considérablement modifiée,assure pourtant Gilles Doutrelepont. Face aux inquiétudes du secteur en termes d’emploi, le cabinet s’est engagé à une stabilité. « Mais la politiquemenée a déjà eu des conséquences, rétorque Chantal Vandoorne. Il y a déjà des collaborateurs qui ont cherché du boulot ailleurs. Ce qui a d
eseffets notamment en termes de perte de la mémoire de certains services. »
1. Conseil supérieur de la promotion de la santé, Direction générale de la santé :
– adresse : boulevard Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– courriel : sabine.pierard@cfwb.be
– site : www.sante.cfwb.be/index.php?id=csps
2. Cabinet de la ministre Fadila Laanan :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02/801 70 11
– courriel : info.laanan@cfwb.be
– site : www.fadilalaanan.net/home.php
3. Perspective Consulting – avenue du Col Vert 5 à 1170 Bruxelles – tél. : 02/423 51 82 – site : http://www.perspective-consulting.eu/ et Effisciences-Expertise Secteur Santé – boulevard de France, 9A à 1420 Braine-l’Alleud– tél. : 02/389 97 18 – courriel : secretariat@effisciences.be – site : www.effisciences.be
4. APES-Ulg, Ecole de santé publique – université de Liège, Sart-Tilman B23 à 4000 Liège – tél. : 04/366 28 97 – courriel :stes.apes@ulg.ac.be – site : www.apes.be
5. Eurotox asbl :
– adresse : rue Jourdan, 151 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02/539 48 29
– courriel : info@eurotox.org
– site : www.eurotox.org/
6. Le Collectif des acteurs de promotion de la santé de la fédération Wallonie-Bruxelles, https://sites.google.com/site/collectifpromosante/
7. CLPS de Verviers, Maison de Promotion de la Santé
– adresse : rue de la Station, 9 à 4800 Verviers
– tél. : 087/35 15 03
– courriel : cvps.verviers@skynet.be – site : www.cvps.be
8. Asbl Comme chez nous – le Rebond
– adresse : rue Léopold, 36 à 6000 Charleroi
– tél. : 071/30 23 69.