Centre de l’image animée et interactive, Quai 10 a ouvert ses portes à Charleroi il y a quelques mois. Cinéma et gaming s’y côtoient, avec un sérieux penchant pédagogique visant à rendre ces deux médias accessibles à toutes et à tous. Non sans une pointe d’engagement face au colosse que représentent l’industrie du cinéma et, depuis peu, celle du jeu vidéo.
Ville basse de Charleroi. Au numéro 10 du récemment rebaptisé quai Arthur Rimbaud se dresse fièrement une façade reliftée. C’est là, en bord de Sambre, que le Centre de l’image animée et interactive, dit Quai 10, a installé ses quartiers fin 2016.
Quai 10, c’est un cinéma, soit quatre salles numérisées pour un total de 550 places. Située à quelques rues de là, une cinquième salle, coté Parc, n’est autre que l’ancien cinéma Le Parc aujourd’hui intégré à l’ensemble du projet. À l’affiche se côtoient tant des films estampillés «grand public» que du cinéma d’art et d’essai. Une programmation basée sur le «cinéma indépendant, garant de la diversité et de l’exception culturelle», comme prônée par l’équipe.
La pédagogie occupe ici une place de choix, avec des séances scolaires et extrascolaires (maisons de jeunes, de quartier…), parfois accompagnées d’animations, ainsi que des formations à l’image cinématographique. Ce volet éducatif touche également un public adulte, via des partenariats avec des associations locales d’éducation permanente, autour de thématiques qui ébranlent notre société: immigration, place de la femme, burn-out…
Et pour rendre accessible le 7e art au plus grand nombre, des séances à prix réduits et des projections en plein air gratuites sont parfois organisées, comme ce fut le cas cet été. «La culture véhicule parfois une image très élitiste, explique Lucile Loewer, responsable communication. Notre volonté chez Quai 10 est de se démarquer de cette image et de rendre la culture la plus accessible possible.»
Gaming indépendant
Quai 10, c’est aussi un espace gaming. Entendez: un lieu entièrement consacré au média jeu vidéo en tant qu’outil pédagogique. Depuis la brasserie, une volée d’escaliers mène à une salle lumineuse, dans laquelle se répartissent des bornes aux couleurs vives. Sur ces bornes, 13 en tout, des consoles et écrans. Il y en a pour tous les goûts, de toutes les sortes, pour les néophytes ou les habitués, au graphisme sommaire ou à l’esthétique épatante, sur écran large ou sur tablette, avec une seule manette ou plusieurs, en hauteur pour y jouer debout ou plus bas pour s’allonger dans un pouf moelleux… «On a voulu rendre cet espace le plus accueillant possible, poursuit Lucile Loewer, afin de montrer que le jeu vidéo peut être un média convivial, contrairement à l’idée qu’on en a habituellement, du média qui se joue seul, enfermé dans sa chambre.» Et pour décloisonner davantage encore, Quai 10 se lance le défi de toucher tous les publics. Pari tenu, puisque bien loin du cliché geek, l’espace gaming est visité tant par un public masculin et féminin, par des jeunes que par des personnes âgées, qui viennent d’ailleurs découvrir les jeux vidéo avec leurs petits-enfants.
Ici, il y a toujours un animateur. Cet après-midi, c’est Olivier qui accueille toute personne franchissant le pas de la porte. En partance de la brasserie, un groupe d’adultes fait justement le détour. Moyenne d’âge: 50 ans. Ambiance joviale. C’est la première fois qu’ils mettent les pieds ici. Olivier présente la démarche: «Vous vous trouvez dans un espace d’exposition et de découverte de jeux vidéo. Pour commencer, savez-vous combien de jeux vidéo sortent chaque jour dans le monde?» Étonnement lorsque l’animateur lance le chiffre «1.000». Il embraye ensuite sur une brève présentation des 13 jeux actuellement à l’affiche.
«Même si certains jeux créés par les grosses filiales sont qualitatifs, on ne les diffusera pas, car ce n’est pas dans la philosophie de notre projet.»,, Lucile Loewer, responsable communication Q10
«Tous les mois, nous exposons des jeux différents, explique quant à elle Lucile Loewer. On ne propose ni jeux incitant à la violence ni jeux issus de grosses entreprises aux budgets marketing énormes. Notre volonté est de soutenir les créateurs indépendants, si possible belges ou européens. Notre équipe est composée de trois personnes qui repèrent des jeux vidéo sur internet ou lors d’événements, les essayent et négocient leur mise à disposition gratuitement. Pour les créateurs indépendants, mettre leur jeu en exposition chez nous leur permet d’avoir une visibilité. Une personne qui aura découvert un jeu ici pourra le télécharger pour quelques euros une fois de retour chez elle. Même si certains jeux créés par les grosses filiales sont qualitatifs, on ne les diffusera pas, car ce n’est pas dans la philosophie de notre projet.»
Jeu vidéo comme outil d’apprentissage
Tout comme le cinéma, un important volet pédagogique anime l’espace gaming. Piloté par la plateforme Gaming Out, regroupant à la fois Quai 10 et FOr’J (Fédération de maisons de jeunes et organisations de jeunesse), ce volet pédagogique propose tant une éducation «au média» qu’une éducation «par le média». Concrètement, les groupes de jeunes (de 6 ans au minimum) et d’adultes découvrent, via des ateliers et animations, à la fois les caractéristiques propres aux jeux vidéo (interactivité, game design, modèle économique…), mais aussi ce qu’ils permettent de raconter et d’apprendre sur des thèmes bien plus larges et, in fine, des enjeux de société. «L’idée est de proposer des outils aux éducateurs ou aux enseignants pour utiliser ce média dans leurs apprentissages et développer des compétences par le jeu vidéo, poursuit la responsable communication. En faisant de l’éducation par le média, on propose de décrypter les messages véhiculés et de faire émerger des discussions et réflexions, par l’utilisation et la pratique du jeu vidéo.»
«Généralement, le jeu vidéo, tel que joué à la maison ou via un smartphone à l’école, est perçu comme un élément perturbateur, comme un frein aux apprentissages. Ici, on veut s’en servir comme support.», Lucile Loewer, responsable communication Q10
En guise d’exemple, l’une des bornes invite à découvrir le jeu Phone Story. De prime abord, un jeu simple et facile pour suivre le cheminement de la construction d’un smartphone, de l’extraction de coltan au Congo, à la distribution en magasins chez nous. Un jeu qui, en filigrane, dévoile une vraie critique de notre société de consommation. «Pour la petite histoire: deux heures après sa sortie sur iPhone, ce jeu été censuré par Apple», souligne Olivier lorsqu’il présente le jeu au public de passage. Il y a quelques mois, l’espace gaming accueillait aussi le jeu Papers, Please, mettant en scène un agent (le joueur) interpellant des migrants à la frontière. Une thématique, elle aussi, malheureusement très actuelle… De manière autonome ou encadrés par un animateur, les groupes en visite à l’espace gaming se plongent donc dans le jeu, mais aussi dans le débat et la réflexion. «Un espace où le jeu vidéo est utilisé comme outil d’apprentissage, c’est inédit en Belgique, fait remarquer Lucile Loewer. Généralement, le jeu vidéo, tel que joué à la maison ou via un smartphone à l’école, est perçu comme un élément perturbateur, comme un frein aux apprentissages. Ici, on veut s’en servir comme support.»
Détecter les bienfaits pédagogiques du jeu vidéo, une réelle nécessité à l’heure où le poids de l’industrie du gaming dépasse désormais celui du cinéma. «Le cinéma était le média du XXe siècle, le jeu vidéo est le média du XXIe siècle, lance Lucile Loewer. C’est nécessaire et obligatoire de développer une analyse critique autour du jeu vidéo comme on l’a fait pour le cinéma et la télévision.»
En savoir plus
#Medialab : Statut de l’artiste: mort programmée de la culture?, Agence Alter, 16 mars 2015