Principale innovation du projet de « décret ambulatoire », l’implémentation d’une démarche qualité dans douze secteurs socio-sanitairesbruxellois était au centre de la journée de réflexion du 21 octobre dernier, organisée par la Coordination laïque de l’action sociale et de la santé(Class1). Enjeu : s’approprier une démarche venue du secteur industriel.
« La démarche qualité est un processus d’auto-évaluation permanent dans le but d’améliorer la gestion interne des associations, le travail desprofessionnels et le rapport aux usagers. » C’est la définition que proposait d’entrée de jeu Emir Kir (PS), ministre en charge de l’Action sociale et de laFamille à la Cocof. « Des pratiques intéressantes d’auto-évaluation existent déjà dans les secteurs, confiait de son côté Benoît Cerexhe(CDH), ministre de la Santé à la Cocof, mais elles ne sont pas suffisamment partagées ».
Emir Kir a insisté sur l’esprit d’évaluation réflexive de la démarche et non de contrôle. « Chaque association est auteure de sa propredémarche, a-t-il affirmé. Sur la base d’un cadre commun, chacun construit ses propres outils. L’administration est là en tant qu’accompagnement et pas commepilote. » L’enjeu principal de la démarche réside en la possibilité d’une vision transversale des pratiques. « Elle ne veut pas dire remise en questiondes modèles thérapeutiques ou inégalité de traitement, précisait encore Emir Kir, mais bien outil de travail fédérateur qui s’écarte dumodèle industriel et qui implique l’ensemble des travailleurs. »
Ce dernier rappelait, enfin, que le contenu du projet à élaborer par chaque service serait sans conséquence sur le financement et l’agrément : « Seul unavis circonstancié sera rendu par le conseil consultatif et transmis aux ministres compétents. »
Idées trop belles pour être honnêtes ? À l’entame des débats, des objections ont fusé, inquiètes, méfiantes, parfois virulentes. Desexperts issus de divers secteurs d’activité2 y ont répondu afin d’aider les participants à confronter les expériences, analyser les points forts dela démarche qualité, et repérer les écueils à éviter.
Une démarche issue du monde des entreprises peut-elle s’appliquer au non-marchand ?
Bien qu’apparue dans le secteur des entreprises, une grande partie d’expériences de démarche qualité dans l’associatif s’en démarqueactuellement, notamment dans le secteur des maisons médicales. Elles continuent pourtant à être plombées par le terme « qualité » qui inscritd’emblée le processus dans un contexte de méfiance. La démarche qualité est pourtant loin d’être un modèle figé, elle permet une grandediversité d’applications. De là, l’importance de construire une définition propre à l’associatif afin de s’approprier la démarche.
L’obligation légale : une contrainte créatrice ?
Entamée sur une base volontaire, la démarche qualité va plus loin que sous une injonction extérieure – ici, le législateur. Pourtant, d’autresparamètres sont à prendre en considération.
Tout d’abord, on n’entame pas un processus de démarche qualité sans une incitation de départ. Dès lors, pourquoi ne pas envisager cet intérêtdu politique pour la qualité comme une opportunité à saisir plutôt qu’une contrainte ; comme un outil d’interpellation du politique, un outil dedémocratie et de débat plutôt que de contrôle ?
Ensuite, intégrer cette démarche de manière positive peut se faire en restant vigilant sur sa signification politique.
Enfin, le travail peut d’abord être entamé avec une équipe réduite, motivée par tel ou tel aspect de la démarche, et s’élargirprogressivement à d’autres personnes jusqu’à l’ensemble de l’équipe dans un processus dynamique, collectif et cyclique.
Conflits et interrogations : comment gérer cette production de frustration ?
Touchant au mode de fonctionnement de l’ensemble du personnel, la démarche qualité prend le risque de buter contre de multiples formes de résistance. En invitantà des déplacements de point de vue, à la mise en débat et à la construction de projets sur la base d’une pensée évaluative, elle doit permettrede déboucher sur de nouvelles manières de partager des pouvoirs.
Perte de pouvoir, de sens et de reconnaissance des travailleurs au profit des fédérations et du politique ?
Conçue comme le résultat d’un compromis collectif, la démarche qualité permet de rendre non seulement le travailleur, mais également l’ensemble de lastructure, davantage acteurs de leur travail. Il s’agit d’évaluer ses pratiques sous différents éclairages à partir de thématiques communes pour mieuxrevenir avec des actions concrètes et des priorités.
La démarche ne peut se soustraire à un débat démocratique : elle doit éviter d’être technocratique (uniquement accessible à desspécialistes), bureaucratique (rendement sans question), corporatiste (seuls les intervenants sociaux peuvent parler de leur travail) ou encore consumériste (orientée uniquementvers la satisfaction des clients).
Elle doit donc favoriser la transdisciplinarité et ouvrir de vrais espaces de débat et de questionnement : « qu’entend-on par satisfaction de l’usager ? »,« que signifie pour nous la qualité dans notre travail ? », « jusqu’où vont nos missions dans l’éradication de la violence, de la pauvreté ?»,…
Dans ces conditions, la démarche qualité peut jouer un rôle dans la répartition des missions entre les associations (le micro-économique) et les politiques (lemacro-économique).
Standardisation des pratiques et compétitivité des associations ?
Les fondements idéologiques de la démarche qualité font craindre qu’elle serve finalement à identifier quels sont les bons services, les bonnes pratiques.
Si chaque secteur aura à se choisir des objectifs communs, dans un premier temps chaque service s’approprie sa propre démarche en interne. Par la suite, le partage desrésultats vise à s’enrichir des expériences et des réponses à des problématiques identiques dans des contextes particuliers, non à trouver descoupables.
Liée à une obligation de moyens, et non de résultat, la démarche ne peut
être réduite à un système de hiérarchisation des services.Les rapports sectoriels et intersectoriels établis par l’administration et discutés au sein du Conseil consultatif devraient permettre d’identifier les dynamiques communesà plusieurs associations ou secteurs différents, dans le respect de l’anonymat de ceux-ci. Développer et non contrôler, telle serait « l’idéologie» de la démarche qualité à élaborer par les secteurs socio-sanitaires bruxellois.
Donner la parole aux usagers ?
En situation clinique par exemple, l’accès à la parole est loin d’être aisé. Associer des usagers à une réflexion pluridisciplinairenécessite des démarches plus subtiles que de simples enquêtes de satisfaction. On peut envisager le recours à des personnes garantes de la parole des usagers. Mais laréflexion en équipe autour de cette question fait elle-même partie du principe de la démarche : réfléchir continuellement, ensemble, à desmanières d’améliorer la qualité des services.
Parfois, aussi, la parole donnée aux usagers révèle d’autres problématiques que celles auxquelles on s’attendait. À titre d’exemple : ledépistage du diabète en maison médicale. « Seuls des diabétiques sont venus se présenter », raconte M. Prévost. « Cela nous a fait prendreconscience de l’absence d’espaces de parole pour ces personnes. Et de la nécessité de créer de tels lieux d’échange. »
L’usager peut donc contribuer à l’amélioration des services sous des formes diverses et imprévues, et pas seulement à travers une parole construite.
Un sillon à creuser encore et encore
Bien que les effets positifs d’une telle démarche s’esquissent de plus en plus nettement, une série de questions restent en suspens : qu’en est-il du budgetdégagé pour le lancement de la démarche qualité, quel temps de travail supplémentaire cela implique-t-il, quelles garanties de confidentialité sontdonnées,… ?
Le Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS) invite ce 5 décembre 2008 à midi, à la Maison du Livre de Saint Gilles, à discuter des expériencesconcrètes de mise en place de la démarche qualité en « social-santé »3.
D’après Stéphanie Devlésaver (CBCS asbl)
1. Coordination laïque de l’action sociale et de la santé (CLASS)
– adresse : av. de Stalingrad, 18-20 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 289 69 28
– courriel : class@laicite.be
2. Paul Lodewick (Apef), Anne Carlier (CHU Saint-Pierre Bruxelles), Marie-Claire Haelewyck (Université de Mons-Hainaut), Guy Hubert (SISAHM), Marianne Prevost (Espace FormationSanté), Isabelle Robineau (l’Élan retrouvé, Paris), Lucas Ciccia (CNE), Jacques Marique (Fédération laïque des Centres de planning familial), Johan DeBeer (CFIP), Yves-Luc Conreur (L’autre lieu).
3. Cf. la rubrique Télex dans ce n°.