En matière d’emploi, la priorité de la présidence belge dans sa ”contribution au modèle social européen » se situait sur le terrain de laqualité de l’emploi. Il s’agissait surtout d’introduire plus clairement cette dimension dans les lignes directrices, en y ajoutant notamment des batteries d’indicateurspour faire en sorte que les performances respectives des Quinze dans la Stratégie pour l’emploi ne soient pas définies seulement en termes de taux et de volumes de n’importequels emplois.
« Le modèle social européen ne pouvait se satisfaire d’une course aux taux d’emploi sans prendre en compte la qualité de ce dernier » a martelé laprésidence pendant six mois. Visite guidée d’une nouvelle boîte à outils.
1. Pourquoi la qualité ?
La préoccupation de la qualité d’emploi n’est pas nouvelle au niveau des institutions européennes, mais c’est depuis peu qu’elle apparaît àl’avant-scène. Il y a de plus en plus d’emplois en Europe, explique-t-on à la Commission, mais ils sont de moins en moins bonne qualité. Depuis 1998, les Étatseuropéens s’efforcent de coordonner leurs politiques d’emploi et s’imposent des objectifs ambitieux de création d’emplois. Plusieurs voix se sontélevées pour éviter que, simplement en poursuivant à tout prix ces objectifs quantitatifs, de tels processus ne jouent pas en faveur d’une baisse de laqualité d’emploi. Les chefs d’État européens ont donc demandé à la ministre Onkelinx de préparer une batterie de normes sur la qualitéd’emploi.
Il est intéressant de noter, dans ces différents discours, endossés par la présidence belge, que la qualité d’emploi est comprise comme un facteur de lacroissance économique, “la base de la prospérité dans la société de la connaissance”, se positionnant à contre-courant d’une vision decourt terme, la plus courante dans le monde de la gestion et de la finance, qui voudrait que le poids de la compétitivité des entreprises pèse d’abord sur lesépaules de leurs travailleurs.
Mais le projet est ambitieux, surtout quand on le confronte aux réalités du monde du travail que rapportaient par exemple les participants à la conférence « Pour unemeilleure qualité de l’emploi » organisée sur ce thème à Bruxelles les 20 et 21 septembre. Ainsi, les rapports récents de la Fondation de Dublin(l’organisme européen qui étudie les conditions de travail)1 montrent qu’ “il n’y a plus d’amélioration automatique des conditions de travail enEurope depuis dix ans”. C’est notamment le stress au travail qui est mis en cause.
Les exemples donnés par la Fondation de Dublin semblent parfois anachroniques : “Un travailleur sur trois se plaint de douleurs dorsales liées au travail. Pratiquement lamoitié des travailleurs disent travailler dans des positions douloureuses ou pénibles, et plus de la moitié de la main-d’œuvre affirme être soumise à descadences très élevées et des délais très serrés pendant au moins un quart de son temps de travail.” Pour la Fondation de Dublin, lesaméliorations enregistrées en termes d’autonomie au travail ou de possibilités de formation continue ne compensent pas ce type de reculs.
Dimension supplémentaire du problème : ce retournement de tendance est lié à la tertiarisation de l’économie. Or, c’est dans les services que devrontsurtout être créés les millions d’emplois nécessaires à atteindre les objectifs fixés pour 2010 par le processus de Luxembourg.
2. Quels indicateurs ?
L’emploi durable et de qualité, même s’il n’en existe pas de définition unanimement reconnue, a donc été défendu par la présidencecomme celui qui “assure la santé et le bien-être du travailleur et qui lui permet de combiner les temps de travail et de non-travail de manière flexible etproductive”. La principale tâche a été de cerner cette notion à travers des indicateurs qui permettent de décrire et de comparer les évolutions.
Au prix de négociations bilatérales et multilatérales longues et pointilleuses, le sommet Emploi et Affaires sociales du 3 décembre arrivait ainsi à un accord surhuit « indicateurs clés », précis et obligatoires, et sur vingt-trois « indicateurs de contexte », plus généraux et visant à compléter les huit premiers.
Trajectoires salariales – C’est l’indicateur dont la négociation a rencontré le plus de résistances. Il s’agit in fine d’un indicateur dynamique : tousles ans, chaque pays découpe la répartition des salaires en dix déciles (de la tranche des 10% de travailleurs qui gagnent le moins à celle des 10% des travailleurs quigagnent le plus), et compte les évolutions individuelles entre ces déciles. L’indicateur agrège ces trajectoires ascendantes ou descendantes. Un indicateur contextuelpermet de décliner les données en termes de types de contrat et de satisfaction des travailleurs.
Formation continue – L’indicateur adopté approche la formation des travailleurs en termes de fréquentation effective des formations offertes : quelle est la proportion de lapopulation qui suit une formation ? C’est un indicateur de volume d’activité des systèmes de formation. Il se décline en fonction de variables comme le sexe etl’âge, le statut du travail et le secteur.
Inégalités salariales hommes-femmes – Elles sont mesurées en termes de revenu horaire moyen des hommes et des femmes, et déclinées par régime de temps detravail (le même indicateur sans tenir compte des personnes qui prestent moins de 15 heu-res/mois), et tient compte des écarts des taux d’emploi respectifs des hommes et desfemmes.
Accidents de travail – Le nombre d’accidents de travail par 100.000 personnes occupées.
Flexibilité – sécurité – Nombre de temps partiels volontaires et involontaires, et de contrats à durée déterminée volontaires et involontaires.
Inclusion et accès au travail – Cet indicateur agrège les passages du chômage vers le travail et du travail vers le chômage. Des compléments en matière depassage par la formation, par âge et par niveau de diplôme sont apportés par les indicateurs contextuels.
Organisation du travail – On compare le régime de travail de tous ceux qui ont à charge des enfants de moins de six ans, et tous ceux qui n’ont pas d’enfants àcharge. Les indicateurs contextuels sont relativement originaux, puisqu’ils tiennent compte non seulement du sexe, mais aussi du nombre d’enfants qui ont accès à unestructure d’accueil, du nombre de personnes en interruption de carrière.
Productivité au travail – Un rapport entre le taux de croissance du PIB par personne occupée et le taux de croissance du PIB par heure prestée annuellement dans un pays.
Les indicate
urs contextuels donnent aussi des informations sur :
> l’emploi des travailleurs âgés,
> la discrimination des travailleurs d’origine étrangère ou issus de minorités ethniques,
> la participation des personnes handicapées au marché du travail,
> le taux de représentation des travailleurs et leur taux de couverture par des conventions collectives,
> le nombre de jours de grève.
Ces thèmes (« Dialogue social et participation des travailleurs » et « Diversité et non-discrimination ») faisaient au départ partie, avec les huit indicateurs clés retenus,des dix « do-maines de la qualité de l’emploi » que la Commission avait proposés initialement.
On y reviendra plus loin, mais il faut le signaler d’emblée : un set particulier d’indicateurs plus poussés a aussi été imaginé et accepté le 3décembre, qui porte uniquement sur les inégalités salariales hommes-femmes.
3. Quelle utilisation ?
Ces statistiques existent déjà dans des bases de données comme l’Enquête sur les forces de travail ou dans le Panel des ménages publiés annuellement parEurostat, objectera-t-on, en particulier celles reprises par les indicateurs clés. Pas nécessairement, en fait : il est vrai que ces indicateurs ne peuvent êtreopérationnels à court terme qu’en s’appuyant sur des outils statistiques confirmés, mais ce qui importe tout autant – et c’est pour cela qu’on parled’indicateurs –, c’est la manière dont on combine ces statistiques entre elles pour décrire des évolutions. La démarche « qualité del’emploi » ne consiste pas seulement à produire de nouvelles représentations de la réalité socioéconomique, mais aussi à les pousser dans l’agendapolitique.
Ces indicateurs sont donc injectés dans le processus de Luxembourg : dans les Lignes directrices 2002 et les Plans d’action nationaux pour l’emploi qui en découlerontd’ici quelques mois ; dans les critères d’évaluation des résultats de chaque pays ; et dans les recommandations à chacun.
Certains de ces indicateurs de qualité seront aussi repris au rang des huit « indicateurs structurels emploi » du rapport annuel sur la cohésion, l’emploi et la croissance quiintroduit chaque sommet de printemps, et dont la portée est bien plus large que la seule Stratégie pour l’emploi. « Les données en termes d’iné-galitéshommes-femmes et d’accidents du travail, appliquésaussi largement, sont des nouveautés réelles » insiste la ministre Onkelinx.2 C’est que ce rapport doit faire unesynthèse annuelle de l’état d’avancement de l’Union européenne en matière socioéconomique, et que la présidence belge a obtenu que,contrairement à ce qui se passait jusqu’ici, les indicateurs utilisés ne relèvent plus exclusivement des matières économiques et financières, ce dontse ressentaient les conclusions des conseils de printemps. On doit donc en attendre un meilleur équilibre entre les thèmes sociaux et les thèmes économiques.
Il est évidemment important de noter que tous ces indicateurs, s’ils donneront déjà en 2002 une première image de l’Union qui permet de comparer les pays entreeux, ne décriront qu’en 2003 les évolutions en cours. Et ce n’est que plus tard qu’ils pourront donner des indications sur l’impact de la coordination despolitiques de l’emploi. Ils pourront aussi être précisés, modifiés ou complétés par le Conseil.
Mais si tous ces indicateurs permettront la comparaison, l’évaluation, le contrôle mutuel, etc., leur valeur reste encore surtout incitative. Comme avec la batterie des indicateursadoptés en matière d’inclusion sociale, on n’a pas ici fixé d’objectifs. Ni pour l’Union dans son ensemble, ni a fortiori, comme le demandait laCommission, pour chaque pays en particulier. Les objectifs de la coordination des politiques d’emploi restent inchangés : un taux d’emploi européen de 70% en 2010.
Avantages et inconvénients de la méthode ouverte de coordination ? On ne pouvait pas mettre la charrue avant les bœufs, commente en substance la ministre Onkelinx : « Il estévidemment important d’être ambitieux dans son programme, mais on ne peut avancer qu’avec les autres. Et mettre la barre trop haut en termes d’exigences de départ ne nous auraitpas permis d’atteindre un accord, où on retrouve finalement, dans cette batterie d’indicateurs, tous ceux auxquels la Présidence belge tenait en particulier. Si on avait pris la voielégislative, on ne serait arrivés nulle part. Il faut bien se rendre compte que début juillet encore, nombreux étaient ceux qui nous disaient que nous ne pourrions pasavoir d’indicateur sur les salaires, ni des indicateurs spécifiques sur les inégalités hommes femmes. On revient de loin, en fait, et on se retrouve avec un bon set : pour nous,l’objectif est atteint. ».
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Illustration pour la Belgique : Le MET publie un rapport sur la qualité de l’emploi
La ministre de l’Emploi a commandé cet été à son administration un rapport qui applique à la réalité belge des indicateurs de qualité.Certes il ne s’agit pas nécessairement de tous les indicateurs adoptés à Laeken, mais l’ambition est ici illustrative : montrer comment la mécanique fonctionneet ce que l’on peut en apprendre.
L’équipe de fonctionnaires qui produisait jusqu’à l’an dernier le rapport Jadot, l’évaluation annuelle des politiques d’emploifédérales, s’est donc mise au travail pour produire un document d’une cinquantaine de pages truffé de tableaux commentés.3
– Sur les travailleurs occupés qui étaient en 1997 dans la tranche de revenus la plus basse (1er décile), 31,8% étaient passés dans le 2e décile en 1999,20,1% dans un décile supérieur, et 26,4% étaient devenus chômeurs ou indépendants, ou avaient quitté le marché du travail. Pour les travailleurs desdéciles 4 à 10, 83,1% n’ont pas changé de position, et 8,4% sont tombés dans un décile inférieur. Autrement dit, il y a plus de mouvement (et plus demonde !) au bas de l’échelle des revenus. Il y a aussi plus de femmes que d’hommes qui améliorent leur situation au départ du 1er décile, et l’inversedevient la règle générale dans les déciles supérieurs, quoique avec des écarts moins flagrants.
– En 2000, 19,8% des travailleurs belges sont à temps partiel, et 9,1% sur des contrats à durée déterminée. Les femmes sont évidemment majoritaires dans letemps partiel. 23% des temps partiels déclarent être dans cette situation faute d’avoir trouvé un temps plein. 55% des femmes invoquent des raisons personnelles oufamiliales, la principale étant la volonté d’élever leurs enfants. Pour ce qui est du travail temporaire, il se décompose en 46,4% de contrats à duré
;edéterminée, 16,9% d’intérims, 9,3% d’ALE.
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1 EFIWLC. Un rapport du séminaire est en vente, et un résumé gratuit peut être commandé ou téléchargé sur internet : http://www.eurofound.ie/publications/files/EF0168FR.pdf Voir aussi les deux Communications de la Commission européenne « Politiquessociales et emploi ; un cadre pour investir dans la qualité » (COM (2000) 379 final du 28 juin 2000 et COM (2001) 313 final du 20 juin 2001).
2 Notons que le troisième indicateur structurel amené par la présidence belge a trait à la participation des travailleurs âgés au marché dutravail.
3 Rapport sur la qualité de l’emploi en Belgique, à commander gratuitement au Service publications du ministère fédéral de l’Emploi et du Travail, rueBelliard, 51 à 1040 Bruxelles – tél. : 02 233 42 14, fax : 02 233 42 36, e-mail : publi@meta.fgov.be.
Archives
"Qualité d'emploi : une nouvelle dimension pour la coordination des politiques nationales"
Thomas Lemaigre
24-01-2002
Alter Échos n° 113
Thomas Lemaigre
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