La Fondation Roi Baudouin, en collaboration avec Viva for Life et Cap 48, publie les résultats d’une recherche-action sur les femmes en errance. Les conclusions issues d’une trentaine d’interviews ont donné lieu à l’établissement d’une série de recommandations destinées aux professionnels du social et aux politiques. Elle met notamment l’accent sur l’importance de préserver la cellule familiale et d’une meilleure collaboration entre le secteur du sans-abrisme et de l’aide à la jeunesse.
«La fuite d’une situation de violence devenue insupportable est fréquemment une cause directe de l’errance», constate Patrick Italiano dans une une étude publiée en novembre 2016 par la Fondation Roi Baudouin, en collaboration avec Viva for Life et Cap 481. Le sociologue, sur la base d’une trentaine d’interviews autobiographiques réalisées auprès de femmes en errance dans trois services d’accueil différents (SAMU social, Source asbl et Comme Chez Nous asbl), démontre la place centrale de l’enfant dans le processus du sans-abrisme. La violence domestique, au cœur de chacun de leurs récits, est la cause de l’errance pour nombre d’entre elles. C’est lorsque la menace touche les enfants que les mères prennent conscience de l’importance de quitter le contexte néfaste. «L’enfant est un moteur dans la mesure où il est devenu la ligne rouge à ne pas franchir pour une femme qui est confrontée à la violence», affirme le chercheur en charge de la recherche-action. Et d’ajouter qu’il existe paradoxe dans cette situation ambivalente: si l’enfant est le déclencheur d’un départ lorsque l’inacceptable se produit, il est souvent préalablement utilisé comme prétexte par la mère pour ne pas quitter le domicile conjugal.
Au terme de la recherche, Patrick Italiano a constaté que l’enfant, catalyseur dans la décision de quitter le statu quo d’une situation familiale violente, est également au cœur des démarches effectuées pour retrouver une situation stable. Pour les travailleurs sociaux, l’enfant permet souvent d’établir un premier contact avec les parents. «De nombreux parents arrivent à La Rencontre sans idée précise des démarches à engager. Ce sont les psychomotriciens qui, lorsque les parents viennent chercher les enfants, entreprennent un premier contact et leur proposent un accompagnement psychosocial», indique Floriane Philippe, directrice du restaurant social La Rencontre et de son espace enfants.
Sur les 3.500 places agréées en maison d’accueil, hors dispositifs hivernaux, un tiers sont occupées par des enfants.
S’il est très compliqué d’évaluer la population juvénile en errance, Christine Vanhessen, directrice de l’Association des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA), atteste néanmoins que, sur les 3.500 places agréées en maison d’accueil, hors dispositifs hivernaux, un tiers sont occupées par des enfants. Le recensement de ces jeunes en errance, dépendant exclusivement des places qui leur sont allouées, ne représente donc que la partie visible de l’iceberg.
«Longtemps considéré comme un bagage accompagnant l’adulte, l’enfant occupe aujourd’hui une place centrale dans le travail d’accompagnement des familles», indiquait l’AMA dans le compte rendu d’une recherche-action effectuée en 2012 «Des familles sans chez-soi: quel accompagnement des enfants et des parents en maison d’accueil?»2. En situation d’errance, l’enfant se trouve au cœur de toutes les démarches. Les mères souhaitent quitter au plus vite les infrastructures qui ne sont pas toujours adaptées à l’accueil de leur progéniture. «L’hébergement en maison d’accueil peut compliquer l’exercice de la parentalité pour les parents qui se retrouvent confrontés à certaines normes institutionnelles ainsi qu’à un contexte spatial et éducatif inédit», peut-on lire dans la recherche-action. Ainsi, en plus de la promiscuité et des comportements parfois hostiles des autres bénéficiaires des maisons d’accueil, les professionnels du social doivent s’interroger sur les limites, le rôle et les missions qu’ils exercent dans ce contexte particulier.
Si la plupart des maisons d’accueil hébergeant des enfants proposent des animations et que trois quarts d’entre elles possèdent une salle de jeux, le suivi des plus jeunes par un personnel spécialisé manque encore cruellement. C’est pourquoi Sophie Crapez, coordinatrice à Comme Chez Nous asbl, met un point d’honneur au renforcement des structures dans leur capacité à répondre aux besoins psychosociaux des familles et à assurer un suivi spécialisé pour les enfants. Elle est rejointe par la directrice de l’AMA qui précise que l’objectif n’est plus de créer de nouvelles structures d’accueil, qui seront saturées dès leur ouverture, mais de travailler plus en profondeur pour développer un accompagnement, tant pendant l’errance qu’en situation de post-hébergement.
Une recherche-action et des recommandations
Au terme de la recherche, la Fondation Roi Baudouin établit une série de recommandations «destinées aux décideurs politiques responsables de certains aspects de ce problème, aux acteurs de terrain qui le prennent en charge et au public appelé à soutenir les actions d’aide».
Pour restaurer un cadre sécurisant pour l’enfant, il est nécessaire de développer un accompagnement adapté à chaque âge. Le personnel du secteur souhaite accentuer le suivi psychologique des enfants afin de leur donner un lieu où s’exprimer et faire part de leur ressenti par rapport aux violences subies, tout en leur assurant un point d’ancrage et des repères, souvent absents dans leur quotidien. «Nous sommes demandeurs qu’il y ait un accompagnement plus renforcé pour les enfants. Ils sont les citoyens de demain et, si on ne veut pas régénérer la pauvreté, c’est avec eux qu’il faut travailler», déclare d’ailleurs Christine Vanhessen.
«Nous venons avec des propositions très concrètes, et souhaitons des choix politiques en conséquence.» Sophie Crapez, Comme Chez Nous asbl
La recherche a également conclu que la préservation de la cellule familiale et des liens parents-enfants est primordiale dans une situation de crise et de traumatisme que provoque la violence domestique. L’accueil de tous les membres d’une même famille dans un centre d’accueil est donc indispensable à la reconstruction d’une situation familiale stable. «Il existe des maisons maternelles hébergeant exclusivement des mères et leurs enfants, mais cette offre ne répond pas nécessairement aux besoins. Il arrive souvent que les mères ne profitent pas de ces places d’accueil car elles ne souhaitent pas être séparées de leur compagnon», explique la coordinatrice de Comme Chez Nous.
Afin d’effectuer tous ces ajustements, les associations recommandent en outre une meilleure collaboration entre le secteur du sans-abrisme et celui de l’aide à la jeunesse. Le partage des expertises de chacun des secteurs est, selon eux, la voie prioritaire pour une amélioration des services d’accompagnement et le suivi des enfants. «L’Aide à la jeunesse, dépendante de la Fédération Wallonie-Bruxelles, est sous-financée par rapport aux besoins. Lorsqu’on les sollicite, on a du mal à faire entendre l’urgence des situations que l’on rencontre car ils sont déjà débordés dans leur secteur. C’est la raison pour laquelle on a la volonté de simplifier un certain nombre de procédures et d’encourager l’interréseau», indique Sophie Crapez.
Les divers membres du comité d’accompagnement de la recherche-action souhaitent organiser des rencontres constructives avec les politiques pour opérationnaliser les recommandations le plus rapidement possible. «Nous venons avec des propositions très concrètes, et souhaitons des choix politiques en conséquence», conclut la coordinatrice de Comme Chez Nous asbl.
-
« Femmes et enfants en errance, le sans-abrisme au féminin», 2016, Patrick Italiano, Centre d’étude de l’opinion – ULg, avec la collaboration d’Ulya Kuçukyildiz.
- « Des familles sans chez-soi : quel accompagnement des enfants et des parents en maison d’accueil », AMA, 2012, http://www.ama.be/ama/nos-publications.
Aller plus loin
«Sans-abrisme: traiter le problème à la Source», Alter Échos n°435-36, du 23 décembre 2016.