Comment les opérateurs de formation, d’insertion socioprofessionnelle ou les organismes chargés de l’emploi composent-ils avec un public en proie à des problèmes de santé mentale ? Petit tour de la question à Bruxelles, avant de s’aventurer en Région wallonne dans un prochain numéro.
On en parle parfois comme ça au détour d’une réunion ou d’un colloque alors qu’à d’autres occasions le sujet fait l’objet d’une attention plus officielle (voir Alter Echos n° 323 du 25 septembre 2011 : « [url=https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=323&l=1&d=i&art_id=21695]Le travail, ce modèle de réinsertion dominant[/url] ») : la question de la santé mentale semble poindre de plus en plus, depuis quelques années, le bout de son nez dès lors que l’on parle d’insertion, de formation, de mise à l’emploi. Nombre d’opérateurs confient ne plus savoir que faire d’un public de plus en plus fragilisé, porteur de pathologies psychologiques ou psychiatriques parfois lourdes, et dont le nombre serait, d’après certains, en augmentation.
Pour y voir plus clair, Alter Echos a tenté de comprendre ce qui était mis en place dans certaines structures pour « composer » avec cette situation et prendre en charge ce public, tout en abordant certaines questions plus transversales. Ce premier article concerne Bruxelles. Un autre se penchera bientôt sur la même question en Région Wallonne.
[t]Un phénomène en augmentation ?
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Première question : le public porteur de problèmes de santé mentale s’adressant à certains opérateurs de mise à l’emploi ou de formation est-il en augmentation? A Bruxelles Formation[x]1[/x], on dresse un constat négatif. « Les personnes porteuses de troubles psychiatriques ne font pas partie de notre public cible et ne s’adressent pas à nous », nous dit-on.
Chez Actiris par contre, le son de cloche est différent. Pour Betty Nechelput, responsable du service de consultation sociale d’Actiris[x]2[/x], un service s’adressant aux personnes ayant des problèmes à trouver un emploi ou à en garder un suite à un handicap ou des problèmes de santé, il y a bien une augmentation. « D’un point de vue personnel, je constate que tout ce qui a trait à la santé mentale est en augmentation, explique-t-elle. A la consultation sociale, nous avons reçu la visite de 1545 personnes en 2011, toutes problématiques confondues. Et ce chiffre, aussi, est en augmentation par rapport aux années précédentes. »
Rayon explications, on en est pour l’heure réduit aux supputations, même si certains intervenants émettent des hypothèses. Ainsi, du côté de la Febisp[x]3[/x], la fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle et d’économie sociale d’insertion, on note que « l’activation actuelle de demandeurs d’emploi fait sortir tout le monde du bois. Et cette même activation génère de l’angoisse, il y a une fragilisation du public qui en résulte ». La mission locale de Schaerbeek[x]4[/x], qui a développé un service d’accompagnement de public spécifique (APS) dédié aux demandeurs d’emploi fragilisés sur le plan psychosocial et psychologique, avance quant à elle une autre explication. « Le public est peut-être plus nombreux qu’avant parce que les services offerts par les centres de jour sont plus développés qu’il y a quelques années, explique Christine Marcelis, conseillère en insertion socioprofessionnelle et responsable du projet APS. Il y en a qui encouragent les gens à sortir, à aller vers l’extérieur alors que d’autres organisent même des ateliers de réinsertion professionnelle. Les gens se resocialisent, “sortent” plus qu’auparavant et peuvent se retrouver chez les opérateurs. »
Pour étayer cette hypothèse, notons que du côté du Crit5 (Centre de réadaptation psychosociale et d’intégration au travail), un centre de jour extra-hospitalier situé à Anderlecht, on a développé, parmi toute une série d’autres, un atelier insertion censé préparer à l’« après-Crit » notamment sur les questions d’emploi, de formation, de logement ou d’accès à la retraite. « Nous sommes notamment à la recherche de structures qui pourraient accueillir certains de nos patients, explique Hervé Brun, personnel soignant. Nous avons, à titre d’exemple, ainsi été visiter Article 23, à Liège [NDLR une entreprise de formation par le travail centrée sur les personnes porteuses de troubles de santé mentale. Voir [i]Alter Echos[/i] n° 313 du 4 avril 2011 : » [url=https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=313&l=1&d=i&art_id=21269]Article 23 : quand travailler et être psychiatrisé font bon ménage.[/url] »]
[t]Des structures parfois démunies[/t]
Néanmoins, face à ce public, nombre de structures se trouvent, on l’a dit, en difficulté. Du côté de l’asbl Fij6 (formation insertion jeunes), active dans l’insertion socioprofessionnelle et l’éducation permanente (et qui a pour but de lutter contre l’exclusion sociale, scolaire et professionnelle des jeunes et des adultes de milieu populaire), on porte un regard réaliste sur cette question. « Nous sommes en contact avec une population fragilisée dans différents registres, explique Philippe del Marmol, coordinateur pédagogique et par ailleurs psychologue de formation. Au niveau de la santé mentale, il y a plusieurs types de publics. Ceux qui connaissent des troubles plus légers, comme une dépression ou des troubles du comportement. Et ceux qui connaissent des problèmes de type schizophrénique ou paranoïde et par rapport à qui, sauf dans des cas très particuliers, nous n’avons aucune prise. » Dans ce contexte, la seule solution pour les structures de formation semble souvent être le refus de ces personnes porteuses de troubles lourds. « Nous les refusons la plupart du temps lors de l’entretien, explique notre interlocuteur. Nous nous sentons un peu démunis par rapport à ce type de problématique. »
Une situation d’autant plus compliquée qu’orienter ces personnes vers d’autres structures plus spécialisées semble également compliqué. « Premièrement, ces structures ne sont pas légion à Bruxelles, enchaîne Philippe del Marmol. Et deuxièmement, il faut savoir que des gens porteurs de troubles mentaux lourds verront toute question concernant leur état comme une intrusion. Pour eux, ils ne sont pas malades. Dès lors, comment orienter des individus qui ne veulent pas entendre qu’ils ont un problème ? »
[t]Des initiatives, tout de même[/t]
On l’a vu, des initiatives existent cependant. La consultation sociale d’Actiris est l’une d’elles. « Les gens arrivent chez nous sur rendez-vous [NDLR orientés parfois par le service interne d’Actiris ou par des services sociaux, de santé mentale ou médicaux]. Il faut donc qu’il y ait une demande. Et la personne reste maître de sa situation, nous n’envoyons pas de convocation », explique Betty Nechelput. Avant d’envisager la mise ou remise à l’emploi, il est indispensable selon notre interlocutrice de prendre en considération l’aspect santé. « Lors d’un premier entretien individuel, nous essayons d’identifier la nature du problème de santé et l’impact sur la mise à l’emploi.
Nous allons définir, avec le chercheur d’emploi, un objectif réaliste et réalisable, élaborer un plan d’action qui tient compte des aptitudes médicales, des compétences professionnelles, de l’expérience et de l’état de santé présent du chercheur d’emploi. Nous fournissons également une information sur les organismes compétents en matière de reconnaissance de handicap, sur les formations professionnelles cadrant avec la construction de son projet professionnel ou encore concernant les mesures spécifiques d’aide à l’emploi. » Notons que les personnes s’adressant à la consultation sociale ne doivent pas forcément être inscrites comme demandeuses d’emploi. Il peut s’agir de personnes sortant de l’enseignement spécialisé et qui s’interrogent sur la suite de leur parcours ou d’une personne à l’emploi et qui y rencontre des difficultés.
Du côté de la mission locale de Schaerbeek, le projet APS a quant à lui justement été mis en place dans le cadre d’une convention « Actions d’accompagnement des publics spécifiques » avec Actiris et existe depuis 2009. Le travail est notamment basé sur du coaching individuel que Christine Marcelis adapte aux besoins de son public. « Si nous travaillons notamment sur les qualités et défauts avec un public “normal”, avec un public “santé mentale” nous éviterons les défauts et nous centrerons sur les qualités, tant ils sont souvent en manque de confiance en eux », explique-t-elle. Ici aussi, le travail se compose d’entretiens au cours desquels un bilan sera dressé, la demande décryptée en étant le plus réaliste possible, et où l’on envisagera l’aspect préformation, formation, mise à l’emploi et même le suivi à l’emploi. « C’est un travail compliqué parce que ces personnes n’ont pas toujours conscience de leur état, explique notre interlocutrice. C’est un public qui demande aussi beaucoup de souplesse, parce qu’il arrive parfois à l’improviste, ne vient pas au rendez-vous ou met deux mois à venir à un rendez-vous suivant. »
Notons que ce public est orienté vers le service notamment par les conseillers de la mission locale. « Tous les matins, lors des permanences, nous avons des demandes d’orientation professionnelle, de formation. Si les conseillers sentent qu’il y a quelque chose, ils me contactent. » Ici, comme ailleurs, se pose ainsi la question de la capacité, pour des conseillers pas forcément outillés pour cela, de détecter en quelques minutes des pathologies quelquefois compliquées à identifier. Une remarque qui fait réagir Christine Marcelis. « Nous échangeons beaucoup en intervision à ce sujet. Cela dit, la détection de ce public peut se passer plus tard également, lorsque le travail en groupe d’orientation a commencé et que l’on se rend compte que quelque chose ne va pas. »
Néanmoins, toutes les personnes suivies ne peuvent prétendre à occuper un emploi. « Celles qui vont à l’emploi sont des personnes qui se trouvaient en situation de stress, de peu de confiance et pour qui il fallait débloquer tout cela, explique Christine Marcelis. Mais celles qui sont trop fragilisées ne vont pas ou peu à l’emploi, tout simplement parce que le monde de l’emploi offre peu de temps à un public fragilisé. » Certains entament ainsi une démarche de reconnaissance de handicap, d’autres « décrochent » ou se retrouvent en incapacité de travail. « Certains avouent également ne pas vouloir travailler, tant le fait d’être en présence d’autres personnes les dérange. » L’orientation vers une ETA (entreprise de travail adapté) ne semble pas évidente non plus. « Cela arrive, mais pour cela il faut que la personne ait une reconnaissance de handicap, ce que beaucoup ne veulent pas faire. »
[t]Il n’y a pas que la santé mentale[/t]
Au niveau du secteur spécialisé, on réfléchit également à ces questions. Ainsi, au Crit, l’accent est mis sur une série d’ateliers (près de 20 !) centrés sur le corps, l’objet et la relation, l’auto-gestion. « Les objectifs des ateliers sont multiples, mais il s’agit notamment pour les patients de ne pas perdre le contact avec une forme de réalité sociale », explique François Bernon, coordinateur du Crit. Dans ce contexte, l’atelier insertion a son importance. Le Crit a d’ailleurs, lui aussi, une convention avec Actiris centrée sur l’accompagnement des publics spécifiques. La structure est notamment censée recevoir des demandeurs d’emploi en difficulté mentale envoyés par Actiris, même si cela n’est pas encore arrivé. « La convention n’existe que depuis peu de mois, ce qui peut expliquer cela, souligne François Bernon. Et puis un psychotique, par exemple, qui se présenterait à Actiris se considère comme normal. Aller dans un centre de jour peut donc lui paraître hors de question. »
Cette convention avec Actiris signifie-t-elle que l’emploi est un « must » pour le Crit ? « Non, répond François Bernon. Mais après un temps, il est bien que nos patients sortent du Crit, nous allons favoriser une insertion sociale. Et si les patients “grignotent” des espaces extérieurs et qu’ils finissent par aborder la question de l’emploi, nous allons les encourager. Et c’est là notamment que le partenariat avec Actiris est intéressant, d’autant plus qu’il pourrait encourager une plus grande hétérogénéité de notre public. » Cela dit, notre interlocuteur note qu’il leur manque « quelque chose », comme un coach du travail. « Nous nous situons en début de parcours. Ce qu’il nous manque, c’est quelque chose qui se situerait entre nous et l’atelier de recherche active d’emploi. »
De par leur position privilégiée, les travailleurs du Crit ont un regard un peu différent sur la question de la santé mentale, de la formation, de l’emploi. « Il y a beaucoup de gens qui “fonctionnent”, qui travaillent, sont en formation, et qui arrivent à contenir leur folie, explique Hervé Brun. Dans ce contexte, on ne peut pas dire qu’il n’y a que la santé mentale qui vous empêche de travailler, c’est une combinaison de facteurs. Je pense ainsi qu’on peut dire que le niveau d’études, les capacités sociales jouent aussi un rôle. Les personnes ayant un haut niveau d’éducation, de capital symbolique, arrivent à mieux “naviguer” malgré leurs problèmes. Or à Bruxelles, on a déjà un public de demandeurs d’emploi relativement fragilisés à ce niveau, ce qui ne facilite pas les choses. »
1. Bruxelles Formation :
– adresse : bd Bischoffsheim, 22-25 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 371 73 00
– site : http://www.bruxellesformation.be
2. Consultation sociale d’Actiris :
– adresse : rue Marché aux Poulets, 7 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 505 77 51
– site : http://www.actiris.be
3. Febisp :
– adresse: Galerie Ravenstein Cantersteen, 3 bte 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 537 72 04
– courriel : secretariat@febisp.be
– site : http://www.febisp.be
4. Mission locale de Schaerbeek :
– adresse : 46 rue de Jérusalem à 1030 Schaerbeek
– tél. : 02 247 77 20
– courriel : secretariat@milocs.be
-site : http://www.milocs.be
5. Crit :
– adresse : rue de Veeweyde, 60 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02.523.37.68
– courriel : crit@equipe.be
– site : http://www.equipe.be
6. Fij:
– adresse : rue Franz Gailliard 2A à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 01 50
– courriel :fij@fij.be
– site : http://www.fij.be