La soupe distribuée aux sans abris est-elle en train de devenir un outil de propagande ? L’idée est simple. Proposer une soupe qui contient du cochon afin d’en exclureles personnes musulmanes et juives. Des distributions de « soupe au cochon » ont été organisée par une association le 9 janvier à Bruxelles et le 13 àCharleroi. L’initiative est clairement… d’extrême droite avec l’introduction d’un nouveau concept de « soupe identitaire ». Analyses d’intervenantssociaux et d’un spécialiste de l’extrême-droite, Manu Abramowicz.
Denis Uvier, animateur de rue à Solidarités nouvelles1 explique que ces soupes sont organisées depuis le mois de décembre à Charleroi. « Un garsm’a interpellé un jour en me disant qu’on distribuait de la soupe. Dans l’absolu, moi je trouve ça bien que des gens aient cette démarche. Je suis allé voir. J’ai eu unediscussion avec un des membres du groupe. Il est venu me parler en me demandant si c’était de vrai sans-abri. On a parlé d’Europe et le gars m’a fait une remarque sur ma croix. Je n’aipas cherché à en savoir plus sur le moment. J’ai quand même été étonné par le fait qu’ils venaient de partout en Belgique. Sur internet, je suistombé sur le site de ‘Nation’, un site d’extrême droite qui parlait de ces distributions de soupes et puis sur celui de « Renaissance sociale », l’association qui organise cesdistributions »
Une soupe aux relents d’extrême droite
A priori rien que de très banal, le site internet de l’association « Renaissance sociale – Solidarité – Dignité – Franchise » (RS-SDF) parled’une « initiative citoyenne qui ne veut pas les laisser (les sans-abri) à leur triste sort. Nous combattrons avec eux afin qu’ils aient une nouvelle chance dans lasociété » présente l’action « soupe identitaire ». Pour Manu Abramowicz, coordinateur de « Résistances »2, une associationd’information et d’échange sur l’extrême droite et ses agissements, « Renaissance sociale n’apparaît pas officiellement comme étant uneémanation de l’extrême droite. Pourtant, ses connexions avec cette dernière sont claires ». Selon ce dernier, l’initiative n’est pas exceptionnelle. «À la fin des années 80, le FN distribuait déjà de la soupe dans le quartier des Marolles à Bruxelles. L’extrême droite s’est souventdéfinie comme sociale et populiste. C’est une manière pour eux de toucher un public plus large. Cacher sa vraie nature a toujours fait partie des stratégies des mouvementsd’extrême droite ». Pourquoi ? « Il est évident que l’objectif n’est pas de convaincre de nouveaux électeurs. Ce n’est pas non plus unintérêt directement politique. « Renaissance sociale » ne va pas se présenter aux prochaines élections. Par contre, les gens qui se trouvent derrière sont susceptiblesde se servir de cette initiative dans une campagne électorale. Une manière de dire qu’il sont actifs sur le terrain. Mais je vois une autre raison, et c’est peut êtrela principale : l’aspect provocation, dans l’objectif de créer une brêche dans les médias pour qu’ils parlent de cette association. C’est encore une vielleméthode de l’extrême droite pour assurer sa visibilité ». Et de ce point de vue l’initiative pourrait ne pas être gratuite, vu qu’à Charleroi, le FNa réalisé un score important aux dernières élections. Denis Uvier craint quant à lui que certains sans-abri soient manipulés pour signer des listes desoutien pour les élections.
Les effets sur un public déjà fragilisé
Selon Emmanuel Nicolas, responsable de l’abri de nuit Ulysse à Charleroi3 et membre de la coordination, « le problème n’est pas qu’ils distribuentde la soupe, mais ce qu’il y a au fond. Ils instrumentalisent la pauvreté à des fins politiques et aux dépens de l’institution puisque le discours consiste àdire que ‘ce que ne fait pas l’institution, on le fait’. Il faut savoir que les publics dont on s’occupe sont très fragiles. Ils sont plus soumis au risque de se faireembrigader. On observe d’ailleurs des propos racistes chez les sans abris ‘belges’, d’autant que les places dans les abris de nuits sont souvent rares. » Emmanuel Nicolasredoute certains effets vu les caractéristiques de l’extrême droite. « On se trouve déjà dans un milieu assez violent. Et on voit débarquer des personnesdont certaines ont des looks de skinhead. Cela nous pose question en tant que travailleurs sociaux de terrain ».
Denis Uvier explique quant à lui qu’il ne veut pas empêcher les sans-abri d’aller à ces distributions. « Mais je les préviens, en leur disant de ne pas tomber dansle jeu de l’extrême droite. Parce que les gars, que ce soit de la soupe au cochon ou à autre chose, ils s’en foutent. Ils ne font pas de politique ».
Réactions
Denis Uvier explique avoir alerté des membres du PS, d’Ecolo et du CDH avant Noël. Sans beaucoup de résultats. Depuis, le Relais social de Charleroi4, qui coordonneles acteurs publics et privés impliqués dans l’aide aux personnes en situation d’exclusion, a décidé de mettre en place plusieurs actions. Premièrement, expliqueSuzane Huygens, la coordinatrice du Relais social, une formation réalisée par des stagiaires de la Funoc (Formation pour l’université ouverte de Charleroi) dans le cadre despoints échanges. Ils vont proposer un petit module ludique et éducatif destiné aux bénéficiaires et aux travailleurs sociaux. Autre action, toujours dans le cadredes points échanges, une formation avec l’association « Résistances » pour mieux comprendre les ressorts de l’action de l’extrême droite. L’idée de proposer des soupesalternatives a également été évoquée. Tout en regrettant le temps de réaction du secteur, Denis Uvier, insiste sur l’importance de « conscientiser lescitoyens, qu’ils ne tombent pas dans le panneau. Des initiatives sont menées sur le terrain. Elles ne couvrent certainement pas tous les besoins. On devrait avoir un document qui explique ceque l’on fait au niveau des associations ». C’est l’un des objectifs des actions menées par le Relais social qui veut alerter l’opinion publique et les partis démocratiques.« C’est un bel exemple pour le politique du fait que l’enjeu est bien de combattre l’extrême droite sur le terrain » commente encore Emannuel Nicolas.
1. Solidarités nouvelles, rue Léopold 36 à 6000 Charleroi – tél. : 071 30 36 77 – fax : 071 30 69 50.
2. Resistances
3. Ulysse, av. Général Michel, 5 à 6000 Charleroi – tél. : 071 30 45 76 – ulysse.ccn.charleroi@brutele.be
4. Relais social de Charleroi, bld J. Bertrand, 10 à 6000 Charleroi, tél. : 071 50 67 31.