Près de 300 associations bruxelloises sont soutenues par le décret de cohésion sociale. Des centaines de personnes ont donc à cœur d’œuvrer pour plus d’éducation, d’intégration et d’un mieux-vivre ensemble. Les responsables de projets se montrent motivés. Mais que ressentent réellement les participants ?
Le Videp (Vidéo Education Permanente), en collaboration avec le CVB1, Centre Vidéo de Bruxelles, organise des ateliers avec les associations d’éducation permanente désireuses d’une nouvelle forme d’expression et d’ouverture sur le monde. Par le biais de l’imaginaire mais aussi de la réflexion, certains participants, ne maîtrisant pas toujours la langue ou en difficulté sociale, découvrent en eux-mêmes des possibilités insoupçonnées. Christian Van Cutsem coordonne ces ateliers. « Notre mission d’éducation permanente est très présente dans nos esprits. Pour notre part, avec nos moyens, nous cherchons à conscientiser le citoyen et à le rendre plus participatif. L’apprentissage du français et l’alphabétisation sont primordiaux en matière de cohésion sociale. Nous nous sommes vite rendu compte que la langue se trouve grandement stimulée grâce à des activités culturelles, que ce soit du théâtre, de la sculpture ou de la vidéo. Nous avons cette possibilité de créer avec les participants un espace de liberté où nous leur donnons la parole, où nous mettons en commun notre savoir et nos compétences avec leur savoir et leurs envies ».
« Je ne sais pas », « Je ne suis pas capable », « Si je viens à votre atelier, je ne vais pas apprendre le français », Christian Van Cutsem l’entend régulièrement. Et puis, le temps aidant, les membres de chaque groupe, jeunes ou plus âgés, retrouvent une estime de soi qui, au-delà du travail créatif, peut les pousser à aller de l’avant au quotidien. « Lors de ces ateliers, qui durent de trois à six mois, il se passe des petits déclics. Pas toujours, pas pour tous, mais suffisamment pour entretenir notre enthousiasme ! »
L’image, de soi et pour les autres
Victoire Kaiser2 a écrit très récemment un mémoire sur les ateliers vidéo pour personnes fragilisées, leur donnant la parole. Ainsi madame Henriette a pleinement vécu son expérience avec le Videp. « J’avais fait d’autres ateliers, cuisine, couture, etc. mais ce n’était pas la même chose. Là, on parlait mais on parlait de trucs qu’on fait tout le temps, on parlait pas des trucs qu’on vit ! Non j’ai pas appris comme j’ai appris avec la vidéo. »
Des images pour s’exprimer mais également pour s’adresser aux autres et, peut-être, les toucher. Vladimir désirait ardemment confier son ressenti : « C’était une chance de pouvoir expliquer à certaines personnes que, pour avoir les papiers, pour faire une formation, pour sortir du chômage… c’est pas aussi facile que ce qu’on pense… On avait envie de montrer ça. Dans le groupe, chacun avait son petit problème et on les a réunis et ça a donné quelque chose. » Et quelque chose c’est déjà beaucoup, comme pour Madame Hamama « On parle, on apprend des mots français mais on découvre aussi d’autres cultures… Afghanistan, Guadeloupe, moi je viens du Maroc. Alors on partage, il y a un échange de cultures, c’est très important… Je me sens plus forte qu’avant. De la fierté et de la force. De la force psychologique et aussi physique. On se sent on est capable de faire ça ! »
Rompre la solitude
La maison Mosaïque de Laeken3 fait partie du réseau Vie Féminine. Lieu de rencontres et de formations ouvert à des femmes de toutes origines, il propose des formules d’alphabétisation, d’apprentissage des langues, des ateliers d’informatique, de couture, un espace d’écoute… La responsable, Charlotte Chatelle, me reçoit dans un vaste espace chaleureux. « Notre non-mixité se révèle très importante dans des quartiers comme celui-ci, au nord de Bruxelles. C’est la raison pour laquelle certaines femmes osent pousser notre porte. Il y a ici 80 % de femmes marocaines mais il nous semble primordial d’essayer de mélanger les nationalités, d’aller vers plus de multiculturalité. De nombreuses femmes se retrouvent très isolées et sont contentes de nouer des liens. La majorité a entre 35 et 50 ans, elles osent venir quand leurs enfants sont scolarisés. Mais certaines, jeunes mariées, viennent d’arriver en Belgique et se sentent perdues, confrontées à d’autres problématiques que des femmes ayant immigré il y a plus longtemps. D’où l’importance à travailler l’intergénérationnel. L’apprentissage du français reste la priorité mais avec un objectif d’émancipation. A leur demande, nous avons organisé une table de conversation qui rencontre beaucoup de succès. Elections communales, mariage mixte, elles choisissent leurs sujets. En fin d’année, quand nous leur demandons ce qu’elles ont retiré de leur expérience, elles citent des petites choses très simples « Maintenant, j’ose décrocher le téléphone », « J’ai enfin été voir le professeur de mon enfant »… Et heureusement, il y a aussi la notion de plaisir : se voir, se soutenir, sortir de l’isolement. »
C’est l’heure de la pause, les participantes des différents ateliers se retrouvent autour d’une tasse de café. Se raconter ? Allons bon, que pourraient-elles avoir à dire d’intéressant, s’exclament-elles. Pour tout de même intervenir. Mimount est marocaine. « Je voulais absolument améliorer mon orthographe. En quelques mois, j’ai fait beaucoup de progrès. Et puis, j’ai appris pas mal de choses en venant ici. Le fait de vivre ensemble certaines expériences est très important. On est contentes à chaque fois qu’on se voit ». Leïla est également marocaine. « Je suis arrivée en Belgique à l’âge de 10 ans. Les premiers temps où je suis venue à la Maison Mosaïque, je devais interrompre mes activités à chaque fois que j’étais enceinte. Je suis revenue pour vraiment bien apprendre le français afin de trouver un travail. Si je reste chez moi, je n’arrête pas de nettoyer. Il y a toujours du travail à la maison. Ici, je prends du temps pour moi. Je voudrais bien suivre l’atelier informatique. Il y a trois ordinateurs à la maison et je ne sais même pas les utiliser !» Quant à Malika, elle exprime brièvement ce que les autres ressentent : « Moi aussi je suis venue pour les cours de français… et pour ne pas rester seule à la maison. Mes enfants sont grands et j’aime venir ici. Quand ce sont les vacances, les activités me manquent et je ne me sens pas bien. »
Emma, Espagnole, véritable pilier de la Maison Mosaïque, raconte son épanouissement tardif. « Je viens ici depuis au moins six ans. Au départ, j’ai voulu faire des progrès dans l’écriture et la lecture du français. Par la suite, j’ai participé à l’écriture d’un journal, je trouve que nous avons fait de très beaux articles. On donnait des informations sur notre vie, le quartier, les combats des femmes… On a même écrit des contes. Je suis retraitée et je ne pourrais pas vivre sans la Maison Mosaïque. Que faire de mon temps ? Moi je ne connaissais rien du tout, je suis arrivée en Belgique en 1964 et j’ai travaillé, travaillé. Qu’ai-je fait de ma vie ? Ici, on se fait des confidences, on raconte des choses privées parce qu’on se sent en confiance. Ces confidences, on les garde entre nous, on ne va pas les raconter ailleurs. Ici, il n’y a jamais de ragots mais beaucoup de respect. Pour le moment, je fais quelque chose que j’aime bien, un atelier de parole où on doit raconter sa vie. Peut-être va-t-on l’écrire, on verra. »
1. CVB–VIDEP, Centre Vidéo de Bruxelles – Vidéo Education Permanente :
– adresse : rue de la Poste, 111 à 1030 Schaerbeek
– site : http://www.cvb-videp.be
2. Mémoire de fin d’études, Master en communication appliquée spécialisée, « Les ateliers vidéo pour personnes fragilisées », Victoire Kaiser, 2012.
3. La Maison Mosaïque Laeken
– adresse : rue Tielemans, 11 à 1020 Laeken
– site : http://www.viefeminine.be