À la croisée du secteur hospitalier et de la santé mentale, Psymobile1, actif sur la Région bruxelloise, s’est spécialisé dans lesconsultations à domicile. Son équipe a choisi de suivre des patients pour la plupart défavorisés et ne pouvant plus sortir de chez eux. Rencontre avec CécileChenevière, « psy à domicile ».
Avec Psymobile, on est loin du cliché de la bourgeoise dépressive décrochant son téléphone pour un « Allo ? Dépannage psy express ? » Laplupart des patients de l’association dépendent d’allocations sociales diverses et souffrent de pathologies plus ou moins graves. « Le projet est né, en 2002, dans latête de plusieurs psychologues cliniciens confrontés dans leur pratique au manque de structures de soins psychologiques à domicile, pour des personnes qui n’avaient pasd’autre choix que de rester sans traitement, explique Cécile Chenevière, l’une des initiatrices du projet. L’équipe était alors constituée de cinqpsychologues cliniciens ayant tous un travail dans des horizons aussi divers que l’aide en milieu ouvert, l’accompagnement extra-scolaire, un centre d’hébergement pouradolescents, un service de soins psychiatriques, un service de réinsertion professionnelle pour des détenus et un service de guidance psychiatrique. » En juillet 2004, le servicese mue en asbl pour compter aujourd’hui six psychologues indépendants complémentaires à mi-temps dont un infirmier-psychologue et une assistante sociale. Ils sont tousformés à la thérapie familiale et à l’approche systémique et ont suivi une thérapie individuelle. L’équipe parle, outre lefrançais, l’espagnol et le perse.
« Une approche « pizza à domicile » ? Très peu pour nous ! »
Parmi la patientèle de Psymobile, des patients psychotiques qui peuvent être maintenus dans leur milieu de vie grâce à ce type de suivi, de jeunes enfants, adolescents,des personnes avec des troubles anxieux (phobies), des troubles dépressifs, etc. Pas question d’accepter des demandes qui émanent de personnes qui souhaitent avoir un psy àla maison pour des raisons purement organisationnelles. « Nous travaillons en général avec quatre catégories de personnes même s’il peut y avoir des exceptions,précise Cécile Chenevière. Celles qui ont un handicap physique qui ne leur permet pas de se déplacer ; celles avec un trouble psychique tel qu’elles ne peuvent passortir de chez elles ou ne peuvent envisager de faire une démarche d’aide dans un autre milieu de vie que le leur ; les personnes pour qui les déplacements sont devenuspénibles comme les mamans qui ont une grossesse difficile ou qui souhaitent que quelqu’un se déplace dans les premiers mois qui suivent la naissance ; les personnesfâchées avec le monde des intervenants psychosociaux qui acceptent en général plus facilement une aide psychologique chez eux. »
Parmi ces patients, un tiers de personnes âgées et plus de 40 % de personnes dépendant du CPAS. « La majorité dépend d’allocations sociales diversescomme le revenu d’intégration sociale, le chômage, les allocations d’invalide, de handicap, mais il nous arrive aussi de rencontrer d’anciens fonctionnaireseuropéens », relève l’intervenante de Psymobile.
Tout comme cela se pratique dans un centre de santé mentale, Psymobile travaille à la demande des personnes. « Nous ne sommes pas mandatés, le consentement de lapersonne est très important et nous ne travaillons jamais dans l’urgence, nous renvoyons à d’autres services pour cela. La réception de nouvelles demandes se faittoujours via le GSM Psymobile qu’un membre de l’équipe consulte une fois par jour, on se le passe en tournante hebdomadaire. Soit nous décrochons tout de suite, soit lapersonne a la possibilité de laisser un message avec ses coordonnées. Les personnes sont toujours rappelées dans les 24 heures. Dans le cas où un premier contact se faitavec un intervenant psychosocial (CPAS, services d’accompagnement de personnes à mobilité réduite, services de soins à domicile, hôpitaux psychiatriques,sociétés de logements sociaux,…), nous prenons le temps d’expliquer notre service, d’écouter la demande et, si elle nous semble adéquate, nous insistonspour que la personne elle-même nous contacte. Nous ne nous déplaçons à son domicile que lorsqu’elle a pris contact avec nous et lorsqu’elle a exposé sademande. Cette demande n’est évidemment pas toujours très élaborée, un « j’en ai marre », un « j’suis pas bien » peuvent suffire. Une fois le contactétabli avec le patient, nous analysons la demande en équipe et nous assurons la personne d’une réponse dans les 15 jours maximum. »
Le collectif, un atout
Le renvoi vers l’équipe est permanent chez Psymobile et constitue sans doute une de ses particularités et un de ses atouts. « On ne peut pas travailler à domicilesans partager en équipe, sans avoir un réseau autour de nous auquel nous pouvons faire appel ou vers qui renvoyer. » Ainsi, l’équipe se réunit tous les quinzejours et décide collectivement qui va prendre en charge tel patient, selon ses compétences et également selon l’agenda. Lors de la réunion, un membre del’équipe propose une discussion approfondie sur un patient qu’il suit. C’est à cette occasion que le travail d’équipe est mobilisé dans les prisesen charge et permet l’installation du cadre dans la tête des travailleurs. L’équipe peut alors être utilisée comme tiers dans le suivi des patients. Une fois parmois également, une supervision est organisée avec un psychologue extérieur. « Une supervision plus que bienvenue pour aider à prendre distance, décompresseret partager ses interrogations. En cas de coup dur, on se téléphone aussi entre collègues. »
C’est que le travail à domicile a cette particularité pour le thérapeute d’être davantage en prise avec l’aspect affectif et émotionnel quelorsqu’il consulte à son bureau. « Nous nous introduisons dans la vie des gens, ce qui constitue réellement une richesse et peut être utilisé dans lathérapie, mais nous sommes aussi parfois confrontés à certaines limites. Arriver chez un patient qui se trouve manifestement sous l’emprise de l’alcool à telpoint qu’il tient à peine debout ou être confronté à quelqu’un qui a pour toc de garder tous ses détritus, c’est gérable en cabinet deconsultation, sur place, ce n’est pas toujours évident. Nous sommes aussi davantage confrontés à la responsabilité thérapeutique. Un patient qui rate unrendez-vous lorsque vous recevez en cabinet, tant pis, vous ne le voyez pas et ne devinez pas son état. Un patient que vous allez voi
r chez lui, difficile de faire abstraction qu’il neva vraiment pas bien et qu’il faut que vous interveniez aussi bien pour lui que pour ses proches, quand il y a des proches. Il nous arrive parfois aussi de devoir procéder à une »mise en observation ». D’où toute l’importance de fixer un cadre, de poursuivre un projet thérapeutique, sinon on peut très vite glisser vers un rôle de « damede compagnie ». On essaie de se ménager un espace dans le lieu de vie des personnes, d’éviter au mieux les perturbations. On se fixe un horaire, en général une heureavec un quart d’heure de mise en place. Mais on finit par prendre l’habitude de travailler dans une pièce où la télévision est allumée où unvoisin ou de la famille peut surgir à tout moment. Ce sont des éléments extérieurs qu’on utilise aussi dans la thérapie. Il est évidentqu’à certains moments, il serait plus confortable de pouvoir intervenir en binôme, malheureusement, nos moyens ne nous le permettent pas. Nous le faisons de temps à autre,par exemple pour certaines familles d’origine maghrébine, où nous allons en tandem homme-femme, ce qu’on appelle « l’alliance thérapeutique » est alors plus aisée.»
Par ailleurs, Psymobile ne travaille pas seul et s’est entouré de tout un réseau. L’asbl travaille, entre autres, avec les hôpitaux Molière et Brugmann, lesservices Prisme, Interligne, Similes, Dionysos pour la patientèle plus âgée, avec des psychiatres pour le suivi des psychotiques, des centres de jours pour ados et a uneconvention de collaboration avec Soins chez soi.
Cherche subsides désespérément
Les moyens financiers, le nerf de la guerre pour nombre d’associations, l’est sans doute plus encore pour Psymobile qui court désespérément après lessubsides. En sept ans d’existence, un seul subside de 2 300 euros versé par le service des affaires sociales de la Cocof en 2007. Argument souvent évoqué par les pouvoirssubsidiants : « le suivi à domicile fait déjà partie des missions de centres de santé mentale. » « C’est vrai, répond CécileChenevière, mais, dans les faits, très peu ont le temps de le faire et les listes d’attente, en particulier à Bruxelles, sont longues. »
Si tous les membres de l’asbl se disent très attachés au projet et ne comptent pas leurs heures, il n’en reste pas moins qu’après sept ans d’existence,pouvoir disposer d’un véritable subside de fonctionnement et d’un poste de coordination, ne serait pas du luxe. « Nous ne pouvons pas continuer encore dix ans comme cela aurisque de nous épuiser. La compta, les réunions, les permanences téléphoniques, etc., ne sont pas rémunérées et cela fait peu de temps que nous avonsinclus dans nos honoraires nos frais de déplacement, expose Cécile. » La consultation pour une heure se monte ainsi actuellement à 40 euros et peut, dans certains cas,descendre à 35 euros. Une petite contribution (3 euros) est toujours demandée au patient même lorsque les honoraires sont remboursés par ailleurs. L’asbl travaille eneffet avec plusieurs CPAS de la Région bruxelloise, qui prennent en charge totalement ou partiellement, via réquisitoire, les honoraires des consultations pour leursbénéficiaires. « Ce qui implique parfois que nous soyons obligés d’aller justifier devant le Conseil de l’action sociale pourquoi nous pensons que tel de nospatients doit encore être suivi pendant x semaines, ce n’est pas toujours facile de se voir ainsi imposer le rythme de nos thérapies. D’autant que nous attendonsparfois plus de huit mois avant de recevoir un remboursement du CPAS ! » Mais, si les subsides tardent à arriver, l’équipe de Psymobile ne se décourage pas et restebien décidée à aller frapper à toutes les portes.
1. Psymobile :
– GSM : 0479 63 86 93
– courriel : psymobile@gmail.com
– site : www.psymobile.be
Le titre de cet article a été emprunté au colloque « Quand les intervenants s’invitent à domicile : Réflexions, pratiques et méthodes de travail», organisé le 23 janvier dernier par le Service de prestations éducatives et philanthropiques.