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Regard critique · Justice sociale

Quand Marc Thommes parle du CEF

Organe consultatif bien connu, le Conseil de l’éducation et de la formation en Communauté française vient de fêter ses vingt ans. L’occasion de poser quelquesquestions à Marc Thommes, président de la Chambre de la formation du CEF.

06-06-2010 Alter Échos n° 296

Organe consultatif bien connu, le Conseil de l’éducation et de la formation en Communauté française (CEF)1 a fêté ses vingt ans. L’occasion deposer quelques questions à Marc Thommes, président de la Chambre de la Formation du CEF.

Le CEF a récemment organisé une conférence de presse, ce qui est inhabituel. Qu’est-ce qui vous a poussé à « sortir » ?

« La conférence de presse est une exception justifiée par l’anniversaire du CEF. Elle aussi due à la publication d’un Cahier de l’éducation permanente quilui est consacré. Pour ses 20 ans, le CEF a éprouvé le besoin de rédiger un ouvrage qui puisse expliquer son parcours et montrer le rôle que joue un organeconsultatif dans la construction progressive des politiques en matière d’éducation et de formation tout au long de la vie. Il s’agit également d’un appel à prendreen compte les questions de fond qui traversent notre système éducatif en Communauté française-Wallonie-Bruxelles. »

Quels constats fait le CEF après vingt ans d’existence ?

« L’apprentissage est devenu une obligation qui accompagne désormais tous les individus tout au long de leur vie. Pour faire face à cette exigence, le systèmed’éducation et de formation en CFWB est en difficulté car il doit se construire une cohérence, favoriser un maillage des éléments qui le constituent et quisont dépendants de structures politiques et administratives différentes. La diversité de notre enseignement et de notre formation professionnelle constitue une richesse. Maispour ce faire, il faut décloisonner, prévoir des passerelles, communiquer entre opérateurs différents et cesser de se vivre comme concurrents, ce que le CEF rappelled’ailleurs dans de nombreux avis. À cet égard, la création récente du SFMQ (Service francophone des métiers et qualifications) est un pas décisif dans cettedirection. »

Justement, quel est l’avis du CEF par rapport à la mise en place de ce service ?

« Le CEF demande un redéploiement de la CCPQ (« ancêtre » du SFMQ) vers tous les opérateurs d’enseignement et de formation depuis 1999. Destravaux ultérieurs du CEF qui n’ont pas abouti à un avis formel ont d’ailleurs inspiré l’élaboration de l’accord de coopération de 2009 àpropos du SFMQ. Il s’agit d’un élément essentiel pour assurer la transparence des certifications et la mobilité entre opérateurs d’enseignement et deformation. Notons que cette démarche est, pour le moment, coupée de ce qui se passe dans l’enseignement supérieur de plein exercice. Toutefois, des travaux sont en courspour définir des « référentiels de compétences » au niveau du Conseil général des hautes écoles. »

Le CEF identifie cinq dossiers clés pour une politique d’éducation et de formation tout au long de la vie. Parmi celles-ci, on remarque notamment la « refondation del’enseignement qualifiant ». Qu’est-ce qui se cache derrière cette appellation ?

« Confronté à un taux d’échec catastrophique, enfermé dans une logique de relégation sociale, cet enseignement doit retrouver « ses lettres denoblesse » et donc se donner une nouvelle organisation. Deux réformes annoncées sont indispensables : premièrement, il faut prévoir une organisation parunités de formation, grâce à un enseignement en modules qui valorise chacune des réussites de l’étudiant plutôt que l’échec final d’uncursus. Cette certification, même partielle, mettra la remédiation au cœur des apprentissages et s’inscrira dans la poursuite d’un possible parcours ultérieur, enformation professionnelle ou dans l’enseignement de promotion sociale par exemple. Enfin, il convient également d’organiser de manière lisible l’offre d’enseignementet de formation en mettant au travail le SFMQ qui devrait calibrer, à partir des profils et référentiels métiers et compétences (élaborés par lesinterlocuteurs sociaux), les profils de formation servant de références aux écoles et organismes de formation. »

Concernant l’enseignement qualifiant toujours, quel est le point de vue du CEF vis-à-vis de la création des instances de pilotage de l’enseignement qualifiant en CF ?

« C’est une étape qui permet un pilotage de l’enseignement qualifiant au niveau subrégional, en collaboration avec les partenaires sociaux, l’emploi et laformation. Le CEF plaide pour une politique cohérente dans le cadre de l’apprentissage tout au long de la vie. Cette initiative va dans ce sens. Mais le CEF ne s’est pasprononcé formellement sur la territorialisation du pilotage et de la coordination des acteurs. »

Un autre des cinq dossiers mis en avant par le CEF est relatif au cadre francophone des certifications.

« Les États membres de l’Union européenne doivent relier leurs certifications au cadre européen des certifications, qui compte huit niveaux. Pour cela, ils doiventcréer leur propre cadre des certifications. Le but est de faciliter la mobilité géographique des apprenants, des travailleurs, et de leur permettre de capitaliser leurs effortsde formation tout au long de la vie. En Communauté flamande, le cadre « national » a fait l’objet d’un décret en 2009. Un cadre francophone estégalement indispensable d’autant qu’il pourra aussi contribuer à une régulation des certifications privées qui ne sont soumises à aucun contrôlepublic. Il faut aussi ajouter que le cadre francophone des certifications est un élément essentiel d’une politique de transparence et de mobilité. Par mobilité, ilne faut pas entendre uniquement la mobilité internationale mais aussi transfrontalière ou transrégionale ainsi que la mobilité sociale, entre secteurs ou promotionnelle(ascenseur social). Il s’agit aussi d’un élément régulateur au sein du quasi-marché de l’enseignement et de la formation. À l’heure actuelle, rienn’empêche un opérateur privé marchand de déclarer que ses formations se situent à un niveau du cadre européen, qui n’est qu’unméta-cadre, un outil de traduction entre cadres nationaux. Par contre pour lier une certification à un cadre national, des conditions de qualité, d’opportunité etd’accessibilité peuvent être imposées. »

Que pensez-vous des opérateurs de formation qui affirment que l’ensemble de ces cadres, référentiels et autres, risque de mettre à mal leur libertépédagogique ?

« Les référentiels qui seront développés par le SFMQ ne fixent que les acquis d’apprentissage. Ils ne définissent que les résultats àatteindre et non le processus pour y parvenir. La démarche a donc l’avantage, en fixant
les acquis à atteindre, d’amener chaque opérateur àréfléchir à la meilleure méthode pour y arriver en fonction des caractéristiques de son public ou de la manière dont il a atteint les acquis. Il n’y adonc aucune uniformisation des méthodes, au contraire. La liberté pédagogique reste totale. »

Le CEF insiste aussi sur la validation des compétences…

« Le CEF a été pour beaucoup dans la réflexion et le consensus qui s’est créé autour du thème de la validation des compétences acquisespar d’autres voies que l’enseignement ou la formation. Constatant les efforts entrepris en cette matière dans le champ de la formation professionnelle des adultes(concrétisé par la création en 2003 du consortium de validation des compétences), il s’agit aussi d’inscrire la validation dans l’enseignementsupérieur, en particulier dans l’enseignement supérieur de type court, qui est généralement plus professionnalisant. Sans quoi l’ascenseur social continueraà peiner pour monter les étages… Dans son avis 91 de juin 2004, le CEF propose d’ailleurs, pour l’enseignement supérieur, une réelle validation descompétences. Soulignons à cet égard le rôle de l’enseignement de promotion sociale qui intègre depuis longtemps ce genre de pratiques de reconnaissance desacquis. »

À ce propos, et pour revenir au sujet du Service francophone des métiers et des qualifications, l’Accord de coopération conclu à Bruxelles, le 27 mars 2009, entre laCommunauté française, la Région wallonne et la Cocof concernant la création de ce service prévoit des articulations entre ledit service et le Consortium devalidation des compétences (CVDC). Un point de vue sur ce que ces « articulations » devraient être ?

« Le CEF n’a pas été saisi de la question. Il a toutefois toujours insisté sur la nécessité d’un lieu coordonné pour piloter lesdifférents aspects d’une politique d’apprentissage tout au long de la vie plutôt que de chaque fois créer une structure pour chaque aspect particulier. »

Quelles sont les perspectives d’avenir pour le CEF ?

« Pour évoluer dans ce nouveau contexte exigeant (apprentissage tout au long de sa vie, acquisition et reconnaissance de compétences sans cesse renouvelées), mais aussidans un cadre qui sécurise le citoyen, l’enseignement et la formation professionnelle ont besoin d’une vision d’avenir cohérente et concertée pour toutl’espace francophone, tenant compte également de la vision flamande et des exigences européennes. Le CEF est un acteur de ce travail de réflexion et de prospective… Autrechose que je voudrais ajouter : il y a des conditions à créer pour mettre en œuvre une politique d’éducation et de formation tout au long de la vie : renforcer lacoordination interministérielle ; poursuivre le développement d’une politique d’amélioration continue de la qualité dans l’enseignement et laformation. À cet égard, la maîtrise des données statistiques est essentielle. Il faut mettre en place des structures d’appui aux acteurs sur le terrain etaméliorer la formation continuée des formateurs et des directeurs. On ne change pas l’enseignement et la formation uniquement par des décrets ni par desarrêtés d’application… Il s’agit de préparer l’implémentation des réformes, d’accompagner leur processus de mise en œuvre. Sans quoi,les belles idées resteront lettres mortes dans la pratique. »

1. Conseil de l’éducation et de la formation, Espace 27 Septembre
– adresse : bd. Léopold II 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 26 21
– courriel : cef@cfwb.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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