Des quartiers « pauvres » de Bruxelles peuvent-ils devenir durables, en impliquant leurs habitants ? Ou bien la démarche est-elle réservée aux seuls «ghettos à bobos » ? Si la question paraît un peu manichéenne, elle mérite néanmoins d’être posée. Tentative de réponse, forcémentincomplète.
Le 25 février dernier, Bruxelles Environnement lançait en grande pompe cinq nouveaux projets « Quartiers durables » tout en fêtant la première annéed’existence des cinq projets « pionniers ». Pour rappel, Bruxelles Environnement a lancé, en mars 2008, les appels à projets « Quartiers durables ».But de l’opération : inciter les habitants et usagers de ces quartiers à se mobiliser à l’échelle de leur territoire autour de divers enjeux, tels les économiesd’énergie, la diminution des déchets, la rationalisation des consommations, la qualité de l’air, l’utilisation mieux réfléchie de l’espace, la valorisation dupatrimoine naturel ou encore le renforcement de la cohésion sociale.
Dans ce contexte, une question est revenue sur la table : ces projets de quartiers durables sont-ils destinés à tout le monde et peuvent-ils s’articuler avec la rénovation dequartiers dits « pauvres », tout en impliquant les habitants ?
Un certain bagage…
Du côté de l’Arau1 (Atelier d’action et de recherches urbaines), on affiche une certaine prudence. « Participer à ces appels à projets n’est paschose aisée, lance Isabelle Pauthier, directrice. Il faut tout d’abord souvent disposer d’un préfinancement suffisant et puis il faut aussi avoir le capital intellectuel pour êtreà même de comprendre les dossiers. Dans ce contexte, on peut effectivement dire, dans un premier mouvement et en fonçant un peu tête baissée, que les quartiersdurables, c’est pour les bobos. »
Une réflexion que l’on peut également retrouver du côté de l’asbl Bruxelles Ville-Région en santé2. « Le développement durable estun concept déjà très flou pour les individus disposant d’un niveau de connaissance ou d’éducation assez élevé, dit Nicole Purnôde, coordinatrice. Je mepose dès lors la question de savoir si on en a quelque chose à faire du développement durable quand on n’a pas à manger. Les priorités « primaires » prennent souventle dessus. » Selon elle, la réponse à ce constat quelque peu négatif pourrait être trouvée en démontrant l’intérêt immédiat dudéveloppement durable. « La question est de savoir comment certaines catégories de personnes pourraient être amenées à s’approprier ce type dedémarche. Il conviendrait de rendre la chose tellement intéressante que ces populations pourraient l’inclure dans leurs préoccupations, qui sont d’un autreordre. »
Dans ce contexte, Isabelle Pauthier déclare sentir un frémissement. « Les gens dans les quartiers « pauvres » ont les mêmes préoccupations, les mêmesproblèmes que les autres. La facture de gaz qui augmente, les enfants qui attrapent des bronchiolites à cause de la mauvaise qualité de l’air. Dans les débats auxquelsnous participons, nous nous rendons compte que les choses changent dans « les quartiers ». Les gens sont de plus en plus sensibles à la congestion automobile, au temps perdu, à lapollution sonore. »
Constat réservé, effets positifs ?
S’il faut trouver un intérêt direct au développement durable pour s’y intéresser, peut-être les appels à projets sont-ils finalement une bonne solution ? Eneffet, à écouter Isabelle Prignot, du service du facilitateur quartier durable3, s’interroger de manière paradoxale à propos de la méthodologie desappels à projet, on pourrait être amené à le penser. « Pour les appels à projet, les sélectionnés bénéficient de l’appui d’unanimateur de Bruxelles Environnement ainsi que d’un « panier de services » [NDLR formations, actions « au choix »]. Mais ce sont des choses très « terre-à-terre », comme l’achat collectifd’isolant par exemple. Conséquence : on collectivise l’effort, mais le résultat est individuel. » Ce « résultat individuel » pourrait néanmoins serévéler intéressant dans l’optique d’une « intégration » du développement durable dans les préoccupations des quartiers dits« pauvres ».
Cependant, Isabelle Prignot pousse sa réflexion plus loin. « L’avantage d’un quartier durable, c’est qu’il est plus cher à l’investissement, mais moins cher àl’entretien. Dans cette optique, si on est dans un contexte d’investissement public, cela peut se révéler intéressant puisque les habitants des logements paieront par exemplemoins leur consommation d’énergie. » Une optique où le politique se veut volontariste en développant des politiques « Top-down » (contrairement aux appelsà projet, plus « Bottom-up ») qui agrée également Isabelle Pauthier. « Personnellement, j’en ai un peu marre des messages individualistes etculpabilisants, nous dit-elle à ce propos. Il faut des décisions politiques qui incitent les gens à changer de comportement. »
Enchaînant dans un même ordre d’idées, Isabelle Prignot aborde le sujet des contrats de quartier. « Nous avons récemment effectué une cartographie dudéveloppement durable pour identifier les typologies les plus porteuses de « germes » en termes de développement durable. Nous avons ainsi identifié les zones de friches, lescités jardin, les immeubles tours et les Zir (zones d’intérêt régional) comme autant d’endroits propices aux quartiers durables. Mais par-dessus tout, ce sont les contratsde quartier qui, selon nous, portent le plus de germes de durabilité. »
Une ordonnance modifiée
Les contrats de quartier seraient-ils dès lors l’outil par excellence de développement durable dans les quartiers « pauvres » ? À écouterMathieu Berger, conseiller Contrats de quartiers durables au cabinet d’Évelyne Huytebroeck (Écolo)4, ministre de l’Environnement et de la Rénovation urbaine de laRégion de Bruxelles-Capitale, on pourrait le croire. Situés dans l’EDRLR (Espace de développement renforcé du logement et de la rénovation), qui regroupe desquartiers d’ancienne urbanisation nécessitant qu’une action renforcée du secteur public soit menée, les contrats de quartier ont toujours, d’après Isabelle Prignotnotamment, contenu certains aspects de durabilité.
Mais depuis peu, cette tendance se serait encore renforcée puisqu’une nouvelle ordonnance relative aux contrats de quartier a en effet été adoptée le 28 janvier 2010alors que les nouveaux arrêtés
d’exécution sont en cours d’approbation. « Cette ordonnance implique tout d’abord un changement de nom puisque les contrats de quartierss’appelleront désormais tous « contrats de quartier durables », déclare Mathieu Berger. Mais outre cela, un des enjeux de cette politique est que le développement durable puissegermer dans les quartiers plus « difficiles » de Bruxelles. Ainsi, les concepts de développement durable seront désormais appliqués transversalement à tous les domaines dansles contrats de quartier, que ce soit le logement, l’espace public ou les infrastructures. De plus, des projets purement environnementaux seront désormais éligibles pour les nouveauxcontrats de quartier durables. Ils seront notamment relatifs à l’augmentation du confort et des conditions sanitaires, à la gestion des eaux pluviales, à l’augmentation de labiodiversité, à la prévention et la gestion des déchets, à la dépollution des sols. Nous demandons de plus aux communes, chacune dans le cadre de leurnouveau programme, de mettre en place une initiative en rapport avec ces thématiques dans la zone du contrat de quartier. » Les quatre contrats de quartier durables 2010-2014 sont ainsisitués dans le quartier Canal-Midi à Anderlecht, le quartier Masui à Bruxelles-Villes, le quartier Helmet à Schaerbeek et le quartier Liedekerke à Saint-Josse.
Alors, pour conclure, appels à projet ou contrats de quartier ? Au final, c’est la deuxième option qui semble l’emporter. Le « volontarisme politique », ou le« Top-Down », semble donc avoir la cote. Encore faut-il que ça continue. « Le « problème » des quartiers durables, nous confie Isabelle Prignot, c’est que leur mise enplace prend plus qu’une législature. Au moins quinze ans. C’est du long terme. » A bon entendeur…
1. Arau :
– adresse : bd A. Max 55 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 219 33 45
– courriel : info@arau.org
– site : www.arau.org
2. Bruxelles, Ville-Région en santé :
– adresse : quai du Commerce, 7 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 219 84 44
– courriel : ville.sante@oms.irisnet.be
3. Facilitateur quartiers durables :
– adresse : place Flagey, 19 à 1050 Bruxelles
– tél. : 0800 85 775
– courriel : fac.qdw@ibge.be
4. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck :
– adresse : rue du Marais, 49-53 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 517 12 00
– courriel : info@huytebroeck.irisnet.be
– site : http://evelyne.huytebroeck.be