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Que devient Charleroi 2020 ?

Sous la précédente législature communale, Charleroi s’était lancé dans un exercice de prospective territoriale en vue de travailler sur l’avenir de la ville.Vingt grands projets et 184 actions prioritaires avaient été dégagés. Puis survint le tremblement de terre déclenché par « l’affaire de laCarolorégienne ». Exit « Charleroi 2020 »1 ? Pas si sûr.

03-11-2008 Alter Échos n° 261

Sous la précédente législature communale, Charleroi s’était lancé dans un exercice de prospective territoriale en vue de travailler sur l’avenir de la ville.Vingt grands projets et 184 actions prioritaires avaient été dégagés. Puis survint le tremblement de terre déclenché par « l’affaire de laCarolorégienne ». Exit « Charleroi 2020 »1 ? Pas si sûr.

Lancée en fanfare en 2004, « Charleroi 2020 » se définissait comme « une action participative et citoyenne dont l’ambition est de contribuer audéveloppement de Charleroi et des territoires plus larges dont elle fait partie. »

Plus de 1 000 personnes s’étaient réparties dans vingt groupes de travail. Censées représenter les « forces vives de Charleroi », ellesavaient travaillé de février à novembre 2004 sur toutes les dimensions du développement de la ville. L’accompagnement méthodologique était alorsassuré par l’Institut Jules Destrée. De janvier à avril 2005, quatre forums transversaux avaient planché sur l’attractivité et le cadre de vie,l’emploi, le développement des savoirs et la mobilisation des forces. Puis, de juillet à septembre 2005, un comité de pilotage, présidé par le bourgmestred’alors, Jacques Van Gompel (PS), avait synthétisé les conclusions des forums pour les présenter le 9 novembre 2005 au cours d’une assembléegénérale. Au total, la démarche a produit 184 actions prioritaires à réaliser et réparties en vingt grands projets – s’imbriquant parfoisl’un dans l’autre. Sur ces entrefaites éclate l’affaire de la « Carolorégienne »…

Les affaires se succèdent en cascade, quelques événements relatifs à Charleroi 2020 sont encore organisés en 2006 ; la majorité communale change,puis… plus rien.

Analyse

« On s’est beaucoup impliqué dans Charleroi 2020 pour mener à bien notre travail de prospective territoriale, se rappelle Philippe Destatte, directeur de l’Institut JulesDestrée2. Les forums ont généré pas mal d’impulsions. Les espaces de liberté de parole étaient très ouverts. On a pu parler dudéplacement du centre de gravité de développement de Charleroi du centre-ville vers l’Aéropole (Gosselies). Or l’Aéropole ne contribue pas directement audéveloppement de Charleroi. Il n’offre pas d’emploi aux Carolos, les gens viennent d’ailleurs… Les participants au forum ont dit qu’ils souhaitaient un autre développement plusaxé sur le centre-ville. Cela constituait une rupture par rapport à la politique menée depuis quinze ans. Mais cela, c’était avant le cataclysme de laCarolorégienne… Aucun exercice de prospective n’aurait pu résister à ce séisme. »

Qui plus est, la nouvelle majorité a décidé de rompre avec le passé. Mais pour certains, cette rupture est trop radicale. Ainsi, pour Frédéric Ureel, duCollectif citoyen carolo (CCC)3, « la nouvelle majorité en fait un peu trop. Nous avons interpellé le Collège pour qu’ils reprennent en tout ou en partieCharleroi 2020 mais la nouvelle majorité vit dans la peur de répéter les erreurs du passé. Il y a donc un non-suivi de Charleroi 2020. D’accord pour qu’il y ait ruptureavec les pratiques anciennes mais il ne faut pas tout rejeter pour autant. »

Eric Massin (PS)4 était président du Comité de pilotage Charleroi 2020. Aujourd’hui, échevin en charge du Logement, de la Régie foncière, del’Urbanisme et de l’Aménagement urbain, de la Participation du citoyen et du civisme, du Développement stratégique et de la Politique des grandes Villes, il n’a plusCharleroi 2020 dans ses compétences : « Le MR considère que c’était une démarche politicienne de l’ancien Collège. C’est un documentdont ils contestent l’objectivité et la pertinence. Pourtant, il y a d’excellentes choses. Encore aujourd’hui, beaucoup de personnes trouvent ce documentintéressant. » Et l’échevin de préciser : « Aujourd’hui, je ne fais plus référence à Charleroi 2020, mais je l’applique.Charleroi 2020 vit, non pas comme une démarche active de mise en œuvre du programme mais par la concrétisation et la réalisation des 184 actions prioritaires. Il vit sousun autre nom, c’est une autre démarche. »

Quelques restes

Désormais, les projets sont développés dans le cadre du Développement stratégique de la ville. Évocation de cinq grands projets.

Cœur de ville

« Cœur de ville » visait la requalification du centre-ville. En plus de lutter contre les logements insalubres et les logements abandonnés – un des aspectsde « Halte à la pauvreté » et de « Habitat + » – il s’agissait de créer du logement moyen et supérieur et de développerdes activités économiques et commerciales. Il était également prévu de réaménager les espaces publics, de créer une « Porte desArts » pour étendre le rayonnement culturel, de renforcer les équipements collectifs sportifs ou encore de réaménager les quais de Sambre.

Aujourd’hui, la plupart de ces actions sont reprises dans le projet Phénix dans le cadre de la programmation européenne 2007-2013 (« Convergence »)5.« Nous avons déposé un portefeuille de projets à la Région pour bénéficier des fonds européens, explique l’échevin. Quelque 50millions d’euros vont être consacrés au projet Phénix. Au niveau du cœur de ville, on est en train de développer une zone de revitalisation urbaine (deuxprojets commerciaux viennent d’être sélectionnés dans ce cadre mais ils ne rencontrent pas les attentes de la ville). » L’opération concerne, entre autres, laVille basse et a fait l’objet de critiques.

En mars 2008, Solidarités nouvelles6 dénonçait le fait que des locataires aient reçu un arrêté de fermeture de leur logement – pourtantsalubre – tout simplement parce que le propriétaire avait omis de demander le permis de location. « On atteint réellement l’absurde quand on sait que les habitants ont troismois pour « déguerpir » et qu’il n’existe pas de solutions de relogement adaptées et en suffisance. » Frédéric Ureel est plus nuancé : « Nous n’avonsrien contre le projet actuel de revitaliser le centre-ville, le quartier est pourri, il faut lutter contre les immeubles vides ou à boîtes aux lettres. Mais, il faut faire le lien avecles précarisés et les
prostituées. Où va-t-on envoyer ces dernières ? Cela pose pour elles des questions de sécurité, de santé…Concernant les précarisés, il faut éviter de priver le centre-ville de logements bon marché. »

Éric Massin se veut rassurant : « C’est vrai, nous sommes plus stricts que par le passé. Mais nous régularisons beaucoup de situations avec un accompagnement pouréviter que les gens se retrouvent à la rue. Si l’on ferme les logements, c’est parce qu’ils sont dans un état indescriptible. Il y a des gens qui logent dans desappartements sans fenêtre et c’est inacceptable. »

Halte à la pauvreté

« Faire de Charleroi une ville sans mendiants et sans mendicité constituera une autre action majeure de cette lutte contre la pauvreté avec un ensemble de mesurespréventives, curatives et répressives saines partant du principe fondamental qu’il s’agit de chasser la pauvreté et non les pauvres », prévoyaitCharleroi 2020. Aujourd’hui, Charleroi lutte contre les garnis, l’insalubrité des logements et, comme on l’a vu, cette politique est diversement appréciée sur le terrain.
Par ailleurs, il était également prévu « de prévenir et de détecter les besoins vitaux, de créer des lieux d’écoute de ces publics etde les associer dans la construction de leur projet de vie. » Le CPAS préparerait un projet de mise en place d’une structure pluridisciplinaire d’accompagnement de lapauvreté et des SDF. À la suite de la fermeture de l’abri de nuit à Châtelet, un nouvel abri de nuit va être ouvert à Charleroi même, aux alentoursdu 15 novembre.

Habitat +

Habitat + visait non seulement à améliorer l’environnement dans les quartiers mais aussi à diversifier le type de logements et à en améliorer laqualité. Pour Éric Massin, « l’objectif est partiellement atteint au niveau du cœur urbain – cela recoupe « Cœur de ville ». Toutefois, nous avons aussi unprojet de développement d’éco-quartiers sur le terril du Martinet à Roux et du côté du Parc. Deux sociétés de logements de service public (le Vald’or et le Foyer marcinellois) s’y impliqueraient en vue d’y construire des logements moyens, des logements adaptés… »

Porte Ouest/Ville pilote

Le projet « Porte Ouest/Ville pilote » visait, lui, à transformer radicalement ce quartier, caractérisé par une présence industrielle lourde, afinde le rendre attractif. Il était surtout question de réhabiliter des immeubles inoccupés en logements moyens ainsi que de faire de la Porte Ouest « un espace piloted’étude, de recherche, d’expérimentation, de promotion et de développement de tout ce qui peut, d’une part, restaurer et accroître la qualité de vie en milieuurbain post-industriel et, d’autre part, concourir à la mise en œuvre d’énergies nouvelles et renouvelables » – le tout dans une perspective dedéveloppement durable – et enfin de créer une marina sur la Sambre.

Eric Massin admet qu’il y a eu peu de réalisations. « Des projets ont pris corps via la Politique fédérale des grandes villes, telle la requalification del’ancienne fonderie Thiébaut en logements pour jeunes ménages. Un master plan sera prêt pour la fin 2008, en même temps qu’un schéma directeurcommunal. L’enjeu est de faire de Charleroi une ville-pilote en termes de développement urbain, avec le maintien de la sidérurgie. Cette dernière doit en effetévoluer pour être pérenne mais aussi en termes d’intégration dans la ville au niveau acoustique, visuel et olfactif. Même si la zone est difficile, il faut seprojeter vers le développement durable. C’est ce que l’on essaie de faire à la Porte Ouest, via le master plan. » Quant au projet de marina, ilfaudra encore du temps pour savoir si cette action est réalisable.

Pacte associatif

Le pacte associatif carolo initialement prévu consistait en une contractualisation locale entre les pouvoirs publics et les associations : les premiers s’engageant à respecterl’indépendance des seconds, les seconds s’engageant à pratiquer une bonne gouvernance interne. Il était également prévu de mettre en œuvre des« projets de quartier ».

« De ce côté, on n’a pas énormément avancé, reconnaît l’échevin. Il y a peu de « contractualisation ». Mais heureusement, la Maisondes associations (MPA) peut accueillir les projets. » En revanche, du côté des projets de quartier, il pourrait bientôt y avoir du neuf : « J’ai leprojet de lancer des contrats de quartier en m’inspirant du modèle bruxellois. Bien sûr, ils seront adaptés à la réalité carolo. Pour ce faire, il faudralancer une dynamique de participation avec les représentants d’un quartier. »

Concertation et participation en rade ?

Des actions sont donc en voie de concrétisation, même si elles ne portent plus le label « Charleroi 2020 ». Mais la cohérence en a pris un coup, estimeFrédéric Ureel : «  Ce qui était bien, c’est qu’il y avait une vue d’ensemble, avec des liens entre les grands postes. Maintenant, on saucissonne denouveau. » Il pointe aussi le manque de concertation et de participation, même si les élus sont plus disponibles : « Malheureusement, il n’y a pas de consensusglobal. »

Eric Massin comprend la critique des participants à Charleroi 2020 : « C’est effectivement dommage car il y avait une mobilisation citoyenne, des acteurs locaux (culture,enseignement, etc.). Surtout, c’est le seul outil prospectif sur Charleroi. C’est une source d’inspiration pour moi et ça le reste encore. Mais aujourd’hui, il n’y a plus decadre structuré dans lequel une concertation citoyenne peut se faire, parce que certains n’en veulent pas. Toutefois, note-t-il, la mort de Charleroi 2020 a donné naissance au CCCet « ses membres sont plus qu’actifs ».
Pour leur part, ces derniers estiment ne pas toujours être entendus. Ils avaient contesté le projet de boucle du métro de Charleroi. En vain. Les parlementaires wallons viennentd’approuver le permis concernant l’extension du métro jusqu’à Gosselies, comme le leur permet le décret d’autorisation régionale (le DAR).

Le CCC

Au lendemain des élections communales de 2006, une cinquantaine de citoyens se regroupent au sein du Collectif citoyen carolo (CCC). Issus du centre-ville et au-delà, ils viennentd’horizons complètement différents. Il y a surtout des intellectuels (architectes, urbanistes, avocats, enseignants, travailleurs indépendants, acteurs du social, du mondemédical) et des comités de quartiers actifs depuis 20 ans.
Dans une lettre ouverte aux nouveaux élus, ils demandent la mise en place d’une politique :
• soucieuse d
e bonne gouvernance mais aussi ambitieuse ;
• de concertation dans l’écoute mais aussi dans la mise en œuvre des projets de ville, dont Charleroi 2020 ;
• de développement territorial (avenir des vestiges industriels…) ;
• qui fasse confiance aux initiatives locales en les soutenant sans chercher à les récupérer ;
• qui s’attaque de front à la problématique de la paupérisation dans la ville.

1. Site : www.charleroi-2020.be

2. Institut Destrée :
– adresse : avenue Louis Huart, 9 à 5000 Namur
– tél. : 081 23 43 90
– site : www.destree.org
3. Frédéric Ureel :
– adresse : rue Albert Ier, 236 à 6240 Farciennes
– tél. : 071 24 31 00
– courriel : f.ureel@avocat.be
4. Cabinet d’Éric Massin, échevin, Maison communale annexe,
– adresse : place Destrée, 1 à 6060 Charleroi (Gilly)
– tél. : 071 86 39 45/04
– courriel : eric.massin@charleroi.be
5. L’objectif « Convergence » de l’Union européenne vise à accélérer la convergence des États membres et régions les moinsdéveloppés en améliorant les conditions de croissance et d’emploi.
6. Solidarités nouvelles :
– adresse : rue Léopold, 36A à 6000 Charleroi
– tél. : 071 30 36 77
– courriel : sn.secretariat@skynet.be

Baudouin Massart

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