On se souvient de la vague de régularisation de 2000 : plus de 32 000 personnes et familles concernées. Que sont-elles devenues ? S’en sortent-elles mieux ou moins bien ?Une étude, Before & After1 s’est attachée à répondre.
« Comment ces personnes se sont-elles fait une place dans notre société ? Nous n’en savons pas grand-chose à l’heure actuelle. L’idée que nousnous en faisons repose encore majoritairement sur des éléments d’ordre anecdotique, expliquent les chercheurs du Germe de l’ULB et du Centrum voor Sociaal Beleid -Herman Deleeck – de l’Université d’Anvers2, auteurs de l’étude. Cette ignorance n’est du reste pas le lot de notre seul pays. Peud’enquêtes ont été réalisées sur l’impact de la régularisation en général, bien que de nombreux pays aient par le passéprocédé à des régularisations répétées et à grande échelle. » L’exercice n’en est donc que plus intéressantencore. Vu les limites budgétaires et le délai imparti, les chercheurs ont opté pour des entretiens en face à face semi-structurés avec près de 120 personnesrégularisées. Ils mettent donc en garde : « Il convient de souligner que les statistiques descriptives se rapportant à l’échantillon ne doivent et ne peuventpas être interprétées comme des résultats représentatifs de la population des personnes régularisées. » Il n’en reste pas moins que cetexercice préliminaire d’évaluation, unique en son genre, revêt des enjeux importants à l’heure où toute perspective de nouvelle vague derégularisation semble bloquée.
Pour rappel, la procédure de régularisation de 2000 organisait les demandes autour de quatre critères : « longue procédure d’asile » (critèreI), « impossibilité de retour » (critère II), « problème médical » (critère III) et « attaches sociales durables/raisons humanitaires» (critère IV). Parce qu’il existe aujourd’hui des dispositions légales pour régulariser son séjour sur la base de raisons médicales maiségalement en raison d’une impossibilité de retour dans son pays d’origine via la procédure de protection subsidiaire, la recherche a porté exclusivement surl’étude des personnes ayant été régularisées sur la base du critère I et IV, pour lesquels, jusqu’à aujourd’hui, aucune dispositionlégale de même nature n’a été prise. La recherche aborde de nombreuses thématiques, impossibles à aborder ici exhaustivement, nous nous sommes doncattachés à quelques-unes, choisies arbitrairement.
Emploi
Les chercheurs ont observé de forts glissements sectoriels en termes d’emploi. « Après la régularisation, on assiste à un exode quasi-total des secteurs dela construction et de l’agriculture au profit de l’industrie. Les répondants qui étaient actifs dans le secteur horeca/nettoyage avant la régularisation, ytravaillent encore de façon prédominante. Dans différents cas, les répondants sont restés chez le même employeur.
L’emploi actuel montre une stratification en fonction du niveau de formation qui ne diverge pas fortement de celle constatée pour la population globale. Face à cela, il y a lefait que des personnes, surtout les plus instruites, n’ont en aucune manière un emploi ou des revenus qui correspondent à leur niveau de qualification. »
Autre constat : une diminution importante du nombre de bénéficiaires du CPAS, d’autre part un élargissement du nombre de canaux auxquels ces personnes peuvent faireappel. La régularisation ouvre en effet la possibilité de faire appel aux allocations de sécurité sociale « classiques », comme le chômage, la maladie etl’invalidité et les allocations familiales. Il existe également la possibilité de recevoir via l’article 60 § 7 de la loi sur le CPAS un emploi temporaire commetremplin vers le marché du travail régulier.
Au moment de l’enquête, 79 des 116 répondants (68 %) avaient un emploi, 16 (14 %) touchaient des allocations de chômage, 10 (9 %) des allocations du CPAS et 11 (10 %)n’appartenaient à aucune de ces catégories (en grande partie, travail à domicile).
Les femmes
Selon les chercheurs, les réseaux sociaux ont un impact différent sur la vie des femmes et des hommes migrants et ce, dans tous les domaines, tel l’emploi mais égalementdans l’accès au séjour. « Dans notre échantillon, les femmes sont minoritaires parmi les personnes entrées comme demandeurs d’asile mais elles sontmajoritaires parmi la catégorie des sans-papiers. Ceci laisserait penser que les réseaux sociaux dans lesquelles les femmes migrantes sans-papiers se retrouvent ont étéparticulièrement performants en termes d’information sur la régularisation. Les femmes mobilisent et ont bénéficié d’autres acteurs dans leurrégularisation. L’institution scolaire, des associations et des employeurs ont joué un rôle considérable dans la décision ou non d’introduire une demandede régularisation. C’est la nature des relations sociales dans lesquelles sont impliquées les femmes, et particulièrement des liens faibles (travail domestique etproximité avec l’employeur, enfant à l’école, etc.), qui explique ces soutiens moins souvent évoqués par les hommes. »
Le logement
La régularisation a conduit, en particulier avec le changement socio-économique qui y est lié, à une amélioration des conditions de logement. « Le faitqu’il y ait une minorité de personnes qui bénéficient d’une habitation sociale, essentiellement en Flandre, remarquent les auteurs, ne veut pas dire qu’iln’y en a pas d’autres qui pourraient en bénéficier. En effet, un certain nombre de personnes régularisées nous ont dit avoir été ou êtreencore en attente d’un logement social mais, faute d’obtenir une réponse, elles se sont résignées à trouver un autre logement. » Enfin, un petit nombrede personnes régularisées (soit près d’un quart) sont devenues propriétaires ; une majorité de ce petit groupe résidant en Flandre.
La nationalité belge
Si la régularisation constitue une stratégie de séjour, il en va de même de l’acquisition de la nationalité belge, laquelle constitue mêmel’aboutissement du processus d’intégration socio-économique et civique. La législation belge en la matière constitue une structure d’opportunité.La majorité des
personnes régularisées sont devenues belges et celles-ci l’ont été entre 2003 et 2006. Une minorité a décidé de ne pasdevenir belge. Il s’agit majoritairement de Polonais qui, étant ressortissants de l’Union européenne, perçoivent moins la « dimension instrumentale » dela nationalité belge.
« Même si c’est par adhésion à la société belge et parce qu’ils se sentent belges que les régularisés ont demandé lanationalité, nous avons relevé quatre types d’arguments qui montrent en quoi elle offre plus de garanties que le statut de séjour même permanent et permet de leverdes barrières : « parce qu’on y a droit », « pour le travail », « pour voyager », « pour des raisons familiales ». Parmi les régularisés, la majorité a demandé lanationalité belge pour des raisons liées à la question du droit : ils ont plus de droits, notamment politiques, et peuvent davantage se sentir acteurs, pesant sur lesdécisions politiques. La régularisation fait finalement entrer ces personnes dans l’ordre de la citoyenneté mais, surtout, cela modifie le regard des autres, notamment desBelges, sur leur « extranéité ».
Ce changement est aussi porteur de beaucoup d’attentes de la part des personnes qui pensent que leurs droits sociaux et économiques seront davantage respectés parcequ’ils sont devenus belges. Ceci est souvent cité pour l’emploi. Les régularisés estiment que les employeurs préfèrent des nationaux à desétrangers avec des titres de séjour. De même, certains se sentent moins mis sous pression par les administrations communales ou les CPAS lorsqu’ils détiennent unecarte d’identité belge, voire pensent pouvoir accéder plus aisément aux formations. Mais c’est surtout dans l’espoir de lever de possibles discriminationsà l’emploi que certains parlent de leur accès à la nationalité belge. Néanmoins, des régularisés ont expérimenté ledéplacement de la discrimination d’être étranger à celle d’être belge d’origine étrangère. »
Enfin, pratiquement tous les répondants indiquent que la régularisation a apporté une amélioration dans leur niveau de vie et leur bien-être. « Larégularisation de 2000 a apporté la quiétude dans bon nombre de vies déstabilisées », constatent les chercheurs. Pour le CECLR, cette étudedémontre que, dans la grande majorité des cas, les personnes régularisées avaient bien établi en Belgique le centre de leurs intérêts affectifs,sociaux et économiques. « Ceci confirme la pertinence de ce critère général pour apprécier le bien-fondé des demandes de régularisation. Mais ils’agit là d’un « critère-cadre » qui laisse une large part à l’interprétation. C’est pourquoi la définition de critères dans unecirculaire ne suffira pas à rencontrer mécaniquement la grande diversité des cas à traiter. Dans ce but, il faudra que puisse se constituer une jurisprudence. Pourrencontrer cette nécessité, la politique de régularisation devra veiller à un maximum de transparence et d’équité. »
1. Before & After – La situation sociale et économique des personnes ayant bénéficié de la procédure de régularisation sur la base de la loi du 22décembre 1999, une étude réalisée par le CSB et le Germe pour le compte du CECLR à la demande du ministre de l’Intégration sociale et avec lacollaboration du ministre de l’Intérieur.
2. La version intégrale de l’étude est consultable sur le site
www.diversite.be