Le 8 février 2007, le premier ministre du Québec Jean Charest annonce la création de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées auxdifférences culturelles, qui sera coprésidée par l’historien et sociologue Gérard Bouchard, et le philosophe Charles Taylor. La Commission aura un an à partir dumois de mars 2007 pour répondre à un triple mandat, « une démarche qui devra se faire en dehors de la partisanerie », souligne Jean Charest.
La Commission devra :
• dresser un portrait fidèle des pratiques d’accommodements raisonnables au Québec;
• mener une vaste consultation dans toutes les régions de la province pour savoir ce qu’en pensent les Québécois;
• formuler des recommandations au gouvernement qui seront respectueuses des valeurs communes des Québécois.
Lorsque le premier ministre a fait l’annonce, il a rappelé que les valeurs d’égalité entre les hommes et femmes, la primauté du français et laséparation entre l’État et la religion sont chères à la nation québécoise. Pour Jean Charest, « ces valeurs québécoises ne peuventêtre subordonnées à aucun autre principe; elles ne peuvent faire l’objet d’aucun accommodement ».
Jean Charest considère qu’il y a un malentendu sur la définition de l’accommodement raisonnable jusqu’ici. En effet, qu’est-ce qu’un accommodementraisonnable ? Doit-il inclure toute façon d’adapter un lieu ou une activité pour répondre aux besoins de citoyens qui vivent avec une restriction particulière,d’ordre religieux, linguistique ou autre ? Si oui, jusqu’où doit-on aller ? Selon Jean Charest, les histoires qui ont fait les manchettes, comme un horaire de baignade exclusivepour des jeunes musulmanes ou l’exclusion des hommes aux cours prénataux dans un CLSC montréalais, ne sont pas des accommodements raisonnables. « Ce sont des arrangementscontraires aux valeurs de notre nation », a-t-il ajouté.
L’idée d’une commission d’enquête avait été lancée par Louis Bernard, ex-chef du cabinet de René Lévesque et ancienconseillé péquiste. Selon Louis Bernard, une commission d’enquête est nécessaire pour éviter le cas-par-cas et confondre les arrangements particuliers auconcept d’accommodement raisonnable. Enfin, selon lui, il est nécessaire de palier à « l’absence de principes directeurs pouvant servir de balises dans la définitiondes accommodements qui sont souhaitables et de ceux qui ne le sont pas », a-t-il écrit dans une lettre ouverte le 7 février 2007.
Une annonce bien accueillie
Devant les dangers de dérapage en vue des élections provinciales déclenchées le 21 février 2007, cette annonce a été bien accueillie par le chef duParti Québécois André Boisclair. Même Québec Solidaire y a mis son grain de sel en saluant la création d’une Commission, mais en demandant qu’unefemme issue des communautés culturelles copréside aussi celle-ci. Pour les médias, l’annonce permettra de « corriger le tir » et de mettre un frein au discourspopuliste.
Alain Dubuc, chroniqueur à La Presse, croit que la Commission permettra de « savoir ce que les Québécois, de vieille et de jeune souche, ressentent, pensent etcroient ». Ensuite en faisant le point sur ce qui se fait au Québec, cela permettra de mettre de côté les mythes et avoir une perception basée sur des faits,perception qui mènera à des solutions mesurées et concrètes.
Pour l’éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte, cette grande consultation sera aussi une démarche pédagogique, « dans un débatoù la confusion et l’ignorance règnent ». De plus, la commission permettra de faire le consensus entre l’obligation de la majorité à la tolérance et lesdevoirs des minorités à l’intégration.
Les éléments déclencheurs qui ont fait monter la pression
En réaction aux débats sur les accommodements raisonnables, le maire et les conseillers municipaux d’Hérouxville, une petite municipalité de la Mauricie enrégion de Montréal, adoptent à l’unanimité à la fin janvier la résolution de publier des normes de vie pour les futurs immigrants qui vivront dans leurcommunauté. Ce document de cinq pages qui établit un code de conduite pour les nouveaux arrivants, énumère les coutumes du Québec, comme le sapin de Noël oules costumes de Halloween. On y interdit aussi le port du voile ou du kirpan1, la lapidation et l’excision.
De plus, le chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ) Mario Dumont a fortement été critiqué pour ses propos tenus dans une lettre ouvertepubliée le 15 janvier 2007 dans les quotidiens québécois. Il est plus que temps, écrit M. Dumont, « d’en finir avec le vieux réflexe minoritaire » qui« continue à nous faire courber l’échine quand nous devrions avoir le menton bien droit ». « Nous nous devons de poser des gestes qui vont renforcer notreidentité nationale et surtout protéger ces valeurs qui nous sont si précieuses », ajoute-t-il dans sa missive. Il avait tenu le même type de discours populiste lorsdu VIe congrès de l’ADQ, le 18 novembre 2006 qui avait lieu à Trois-Rivières. Devant 300 militants, Mario Dumont a remis en question la notion d’accommodementraisonnable qu’il considère « abusive » et « sans bon sens ».
Une réponse avant que le presto2 ne saute
L’annonce de la création de la Commission est une réponse immédiate au traitement erroné de la question des accommodements raisonnables par les médias,entre autres par la description de cas dit d’accommodements qui seraient en fait des « arrangements raisonnables ».
Marie McAndrew, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’éducation et les rapports ethniques, et professeure à la Faculté des sciences del’éducation, avait déjà soulevé ces difficultés de conceptualisation en décembre dernier. Dans une lettre signée par près de 250personnes, elle mettait en garde les citoyens contre la division simpliste entre le « nous » et le « eux » ; contre la présentation simpliste de l’accommodementraisonnable comme un privilège consenti aux minorités aux dépens de la majorité ; puis du caractère anecdotique de la couverture médiatique qui créel’impression que nous sommes systématiquement allés trop loin.
L’annonce de la Commission est une réponse immédiate aux discours xénophobes inquiétants qui circulaient sur les tribunes téléphoniques3et dans les lettres d’opinion. De plus, c’est une réponse à l’effet boule de neige chez plusieurs décideurs municipaux de différentes régions duQuébec qui veulent, comme la petite municipalité d’Hérouxville en Mauricie, établir un code de vie local. Enfin, la mise sur pied de la Commission est uneréponse en vue des élections, pour éviter que le débat ne devienne partisan et nourrisse des discours comme celui de Mario Dumont.
1. Un kirpan est une arme symbolique s’apparentant à un poignard portée par les Sikhs orthodoxes.
2. Selon de grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, un presto ou autocuiseur ou marmite à pression est une « marmite conçuepour cuire les aliments à la vapeur sous pression, hermétiquement close par un couvercle, muni d’une soupape et d’un dispositif de serrage, permettant d’atteindre un degré dechaleur très élevé et de réduire ainsi le temps de cuisson. Presto est une marque déposée utilisée au Canada et aux États-Unis, etCocotte-minute est une marque déposée utilisée en France. »
3. Quant aux tribunes téléphoniques : il s’agit d’émissions radio où les gens peuvent téléphoner pour donner leur opinion sur un sujetd’actualité.