Une évaluation du dispositif ACS, récemment dévoilée par Céline Fremault, pointe plusieurs questions le concernant. Se dirige-t-on vers une réforme ?
A peine arrivée aux manettes de l’emploi à Bruxelles, la nouvelle ministre Céline Fremault (CDH) a eu à s’emparer d’un dossier important : l’évaluation du système ACS. Prévue dans la déclaration de politique générale du gouvernement bruxellois 2009-2014 et commandée par le cabinet en 2011, cette évaluation a été réalisée par le bureau Idea Consult, un habitué de ce genre d’exercices puisque c’est lui qui effectue notamment l’évaluation annuelle du système des titres-services. Inutile également de dire que ce document était attendu puisqu’en presque 25 années d’existence, le système ACS n’avait jamais été évalué de manière globale. « Il était temps que cette évaluation sorte puisqu’elle était prévue depuis le début de la législature, souligne d’ailleurs Gabriel Maissin, conseiller à la CBENM (Confédération bruxelloise des entreprises non marchandes). Mais il faudra voir si on pourra en prendre toute la mesure avant la fin de la législature. »
Glastnost à la bruxelloise
Quoi qu’il en soit, la ministre de l’Emploi a décidé de jouer la carte de la transparence puisque l’évaluation a été présentée en conférence de presse avant d’être exposée également aux députés bruxellois en commission des affaires économiques et sociales. Un point positif puisque Céline Fremault aurait pu choisir de garder le texte sous le coude. Celui-ci constitue une première, on l’a dit, et il met en avant, surtout, certains points qui pourraient inquiéter le secteur du non-marchand, gros bénéficiaire du système, ce que confirme l’étude… sans oublier les pouvoirs locaux, à qui le programme ACS profite aussi.
Divisé en deux types de régimes (ACS loi-programme, qui concerne notamment le secteur associatif, de l’enseignement ainsi que les administrations et les services régionaux, et les ACS pouvoirs locaux pour les communes et CPAS), le dispositif ACS (Agents contractuels subventionnés) permet à un employeur des secteurs précités de toucher une prime et bénéficier d’une exonération de cotisations patronales lorsqu’il engage entre autres un demandeur d’emploi inoccupé inscrit auprès d’Actiris (pour lequel une des conditions à remplir peut notamment être constituée par le fait d’être inscrit auprès d’un service public de placement depuis au moins six mois) ou encore un chômeur complet indemnisé ou un demandeur d’emploi bénéficiaire du droit à l’intégration sociale (pour lesquels une des conditions à remplir peut notamment être constituée par le fait d’être âgé de 40 ans au moins).
Le dispositif ACS a pour objectif initial de remettre certains groupes fragilisés de la population au travail, même si dans les faits celui-ci contribue également à un financement et un soutien du secteur non marchand. Lors de la conférence de presse, Céline Fremault a détaillé quelques chiffres : le système à Bruxelles représenterait 9676 travailleurs bénéficiaires (2,5 % de la population active) et 8095 équivalents temps-plein (1,5 % des postes de travail à Bruxelles) pour un coût budgétaire de 178 millions d’euros en 2010. Il est à noter qu’il n’y a plus de postes ACS créés depuis le début de la législature, suite à un moratoire décidé par le gouvernement.
Au rayon des conclusions, l’évaluation pointe en effet quatre points importants, parmi d’autres. Un, le programme mobilise 80 % du budget des mesures à l’emploi à Bruxelles. D’après l’évaluation, l’ampleur de la mesure ACS ne laisserait donc « pratiquement aucune marge de manœuvre à Actiris, pour mettre en place d’autres politiques de remise à l’emploi qui répondraient mieux aux défis du marché du travail bruxellois ». Deux, l’ACS constitue une source de financement structurelle et primordiale pour le secteur non marchand. Trois, « l’emploi ACS semble être un emploi de qualité et stable. Il ne s’agit donc pas d’un tremplin vers un autre emploi, mais plutôt d’une manière de travailler dans le secteur non marchand. Par ailleurs, les travailleurs ACS ne correspondent pas aux demandeurs d’emploi moyens dans la Région de Bruxelles-Capitale. Ils sont en moyenne moins éloignés du marché du travail que les demandeurs d’emploi. De ce fait, la mesure ACS remplit un objectif de création d’emploi, mais pas de remise à l’emploi des publics cibles », peut-on lire dans l’évaluation. Enfin, quatrième point important, le profil des travailleurs ACS loi-programme est fort différent de celui des demandeurs d’emploi bruxellois. Lors de la conférence de presse, Céline Fremault a ainsi déclaré que concernant le profil type des bénéficiaires des ACS loi-programme « on constate que les travailleurs sont le plus souvent des femmes (63,5 %), de qualification relativement élevée, avec une moyenne d’âge avoisinant 43 ans et résidant à Bruxelles ». Ceci alors que l’on insiste régulièrement, la ministre la première, sur le fait que l’un des défis à Bruxelles concerne le chômage des jeunes (principalement des hommes) infraqualifiés…
Quels scénarios ?
Face à ces constats, Idea Consult distingue trois scénarios parmi lesquels on retrouve le fait de modifier les fondements du dispositif ACS, notamment en étendant les conditions d’accès à la mesure ACS. Il s’agirait ici de supprimer le critère de durée de chômage (être inscrit comme demandeur d’emploi inoccupé depuis au moins six mois) pour les jeunes en dessous de 30 ans. Une option que Céline Fremault semblait considérer avec intérêt lorsque nous l’interrogions il y a de cela quelques semaines à ce sujet dans le cadre d’une interview plus globale (voir Alter Echos n° 359). « On peut discuter sur des choses à court terme. Quand on voit qu’un moins de 30 ans a besoin de six mois de chômage pour postuler en tant qu’ACS, c’est une réflexion qui peut être menée à partir du moment où l’emploi des jeunes est une priorité. Ce sont de mesures qui peuvent être prises à court terme », nous avait-elle déclaré.
Et sur le long terme, peut-on imaginer une suppression du système, comme l’envisage Idea Consult en troisième scénario en remplaçant les ACS par un financement structurel du secteur non marchand ? Les budgets dégagés de ce fait pourraient être utilisés par Bruxelles pour des mesures à l’emploi répondant mieux aux besoins du marché du travail bruxellois. « Il reviendrait donc aux compétences des communautés d’attribuer un financement structurel au secteur », précise l’évaluation. Ou bien faut-il limiter la mesure ACS aux compétences régionales, notamment l’insertion socioprofessionnelle ? Lors de la conférence de presse, la ministre a insisté sur le fait qu’elle voulait donner à chacun « l’occasion de s’approprier les conclusions de cette étude et de pouvoir les discuter, afin de pouvoir lancer le chantier des modifications nécessaires (…). Le processus doit maintenant être poursuivi, ce qui impliquera une concertation sérieuse que je souhaite la plus large possible avec les parties concernées. » Elle ne s’est donc pas trop avancée, tout au plus a-t-elle déclaré vouloir « entamer un débat sur les possibilités qui s’offrent maintenant à nous pour mettre cette mesure plus en accord avec la situation actuelle de l’emploi bruxellois et les nombreux défis de la Région ». Cela dit, lors de notre interview, elle avait déclaré à propos du système ACS : « Est-ce qu’il faut le supprimer ? Non. Il faut juste poser les bonnes questions. Mais le secteur n’a pas être inquiet. Si des mesures doivent être prises, ce sont des mesures qui vont juste donner de l’air. »
« Ne pas fragiliser l’emploi »
C’est qu’à parler d’inquiétudes, le secteur non marchand « étant fragile, il est craintif par nature », lance en guise de (semi) boutade Gabriel Maissin qui affirme que pour la CBENM « toute réforme (NDLR : du programme ACS) ne doit pas amener à une fragilisation ou un recul de l’emploi dans le non-marchand. Le dispositif ACS est un système important, qui crée de l’emploi stable. Si ce système est supprimé, on aura le paradoxe d’une politique de l’emploi qui supprime des milliers d’emplois. »
Enfin, concernant une éventuelle participation du non-marchand aux politiques emploi pour les publics cible (qui amènerait le secteur à accueillir un public plus fragilisé sur le plan de l’emploi), qui pourrait constituer une solution aux paradoxes évoqués plus haut, notre interlocuteur déclare « Nous sommes ouverts à la discussion, mais elle ne va pas de soi. Le non-marchand est un secteur varié, on ne peut appliquer une recette unique. Le niveau des compétences demandées est souvent élevé, il faut donc que le secteur s’y prête, qu’il y ait des moyens, un encadrement. » Et Gabriel Maissin de préciser que la CBENM aura une entrevue avec la ministre avant l’été. « Nous allons aussi prendre des initiatives afin de faire entendre les positions du non-marchand. Nous devrons consulter les secteurs sein desquels il existe différentes sensibilités. »
– Pour l’évaluation, l’« octroi de postes ACS se base uniquement sur des critères objectifs liés par exemple au financement de l’association, tandis que les activités de l’association ne sont pas suffisamment évaluées. Les postes ACS sont attribués indépendamment du fait que l’association atteigne ses objectifs sociaux ou pas ».
– Autre point : le double objectif de la mesure ACS (remise à l’emploi et soutien au secteur non marchand) provoquerait des tensions au niveau du recrutement des travailleurs ACS dans les associations. « (…) En raison du type d’activités des associations du non-marchand, celles-ci ont principalement besoin de travailleurs qualifiés, possédant des compétences techniques et sociales. Or ce profil ne correspond pas au profil général des demandeurs d’emploi bruxellois. (…) Dès lors, les compétences techniques et génériques des demandeurs d’emploi sélectionnés par Actiris ne correspondent souvent pas aux besoins des associations ».
Notons également que Céline Fremault a évoqué, lors de la conférence de presse qu’il lui semblait possible de poser « la question de la durée des conventions passées entre Actiris et les associations avec l’objectif d’en faire bénéficier à plus de personnes et d’améliorer le taux de rotation des bénéficiaires (…). Il y a aujourd’hui des emplois ACS qui sont régis par des conventions datant de plus de 15 ans. J’estime cette situation malsaine, mais il faut la faire évoluer sans pour autant précariser les travailleurs bénéficiaires de ces emplois ». Une piste de réflexion à propos d’une meilleure rotation des ACS qui fait d’ailleurs réagir Gabriel Maissin. « Benoît Cerexhe avait déjà émis l’idée de mettre en place une rotation des ACS tous les trois ans. Mais cela pose problème pour de plus petites associations qui comptent beaucoup sur ces postes. »