Les Régions pourront-elles maintenir le système des titres-services? A priori, oui. Les déclarations de politique des nouveaux gouvernements en attestent. Reste à savoir comment. Touchera-t-on à la déductibilité fiscale?
Nous vous l’expliquions dans notre numéro précédent (voir Alter Échos n°386), les titres-services sont à la croisée des chemins. En progression quasi continue depuis sa création en 2003, le système connaît aujourd’hui un ralentissement très net qui inquiète certains opérateurs. Ceux-ci ne sont pas à la fête. Pour beaucoup, singulièrement les opérateurs dits « commerciaux » – en « opposition » avec les opérateurs issus du non-marchand –, la situation serait même « suffocante ». « Nous ne nous en tirons plus, nous ne réalisons plus de bénéfices. La marge actuelle par titre-service est de 0,2 euro, ce qui est vraiment tout juste », s’inquiète Nathalie Garcia-Hamtiaux, directrice d’Unitis, une toute nouvelle fédération d’entreprises titres-services.
Les causes de cette situation sont nombreuses. Les opérateurs pointent néanmoins deux responsables, parmi d’autres : l’indexation et l’ancienneté. Entre 2006 et 2011, le salaire moyen d’un travailleur « TS » est passé de 8,76 euros de l’heure à 10,54 euros sous l’effet de ces deux phénomènes. Une bonne nouvelle pour les travailleurs, moins bonne pour certains employeurs car la valeur de remboursement des titres-services (ce que l’opérateur reçoit pour chaque titre) ne suit pas complètement cette évolution salariale. Aujourd’hui fixée à 22,04 euros, « elle devrait être d’au moins 25 euros si elle avait suivi l’indexation des salaires », défend la directrice d’Unitis.
Et la régionalisation arrive
Les titres-services sont régionalisés depuis le 1er juillet 2014. Le système coûte cher aux pouvoirs publics et il se trouve bien peu de monde pour affirmer que les Régions pourront le reprendre sans opérer quelques boulonnages par-ci par-là… Pour les structures actives en titres-services, promouvoir sa vision du système est donc primordial. Ce qui fait ressortir la vieille opposition entre opérateurs commerciaux et ceux issus du non-marchand. Ces derniers insistant particulièrement sur la qualité de l’emploi qu’ils prétendent offrir par rapport aux commerciaux. Par qualité, on pense notamment au temps de travail (plus d’heures, c’est mieux), au type de contrat (CDI plutôt que CDD), etc. En Wallonie, AtoutEI – la fédération wallonne des entreprises d’insertion –, la Plateforme des ALE wallonne et la Centrale générale de la FGTB ont publié un mémorandum commun relatif à la régionalisation des titres-services. Ce document prône d’adapter le financement des entreprises TS en tenant compte du type de contrat offert (temps plein, c’est mieux), de la qualité de l’encadrement ou du niveau des formations proposées aux travailleurs.
C’est dans ce contexte que les déclarations de politique régionale (DPR) sont arrivées. En Wallonie en tout cas, le texte communiqué répond déjà à de nombreuses questions. Affirmant que « les partenaires de la majorité entendent affirmer leur volonté de maintenir le dispositif des titres-services », la DPR wallonne note aussi que « le mode de financement actuel des entreprises du secteur est chaque jour plus insuffisant pour garantir leur pérennité et celle des emplois du secteur. De plus, le soutien actuel ne favorise pas les entreprises qui investissent dans la stabilité et la qualité des emplois ». Dans ce contexte, le gouvernement entend tout d’abord ne pas augmenter le prix du titre (une bonne nouvelle pour les usagers) et lier sa valeur de remboursement à l’entièreté de l’inflation afin de garantir la pérennité des emplois à long terme (une bonne nouvelle pour les entreprises). Pour financer cette mesure, le gouvernement pourrait jouer sur la déductibilité fiscale des titres-services (en la diminuant ou en la supprimant), une piste déjà souvent évoquée. « Il s’agira de trouver un équilibre avec la déductibilité fiscale, mais également la création et la stabilité des emplois. Une analyse faisant l’objet d’un marché public a d’ores et déjà été lancée », annonce-t-on au cabinet d’Éliane Tillieux (PS), la nouvelle ministre wallonne de l’Emploi.
Autre point de la déclaration de politique régionale wallonne : favoriser les entreprises qui investissent dans la stabilité et la progression des trajets professionnels, dans la formation des travailleurs et dans le bien-être au travail. Le mémorandum d’AtoutEI aurait-il été reçu favorablement par les négociateurs ? Possible. Il était en tout cas appuyé par la Centrale générale de la FGTB, qui a les oreilles du Parti socialiste, à la barre des négociations en Wallonie. « Sans a priori, l’objectif est, dans le cadre des moyens disponibles, de soutenir davantage les entreprises qui offrent une réelle qualité d’emploi à leurs travailleurs. Nous pensons aux CDI, aux emplois à mi-temps minimum ou encore à la formation continue », note-t-on chez Éliane Tillieux. Précisons que la déclaration régionale wallonne prévoit aussi « un accord de coopération avec la Région de Bruxelles-Capitale dans un souci d’harmonisation des pratiques ». D’après le cabinet, les contacts seraient pour l’heure informels. « Ils seront formalisés dès que l’analyse commanditée par la Région wallonne sera finalisée », nous dit-on.
Manque de chiffres
À Bruxelles, le nouveau gouvernement se dit conscient que les TS permettent de répondre en partie à la problématique des demandeurs d’emploi peu diplômés et du chômage de longue durée. La déclaration de politique gouvernementale note également que la régionalisation des titres-services appellera des décisions importantes à court terme pour le gouvernement, permettant d’« assurer la pérennité et la viabilité budgétaire » du système. Elle affirme également que « le gouvernement assurera le maintien de la mesure dans un cadre budgétaire maîtrisable ».
Une fois encore, l’argent est le nerf de la guerre. Le gouvernement aura-t-il les moyens de maintenir le système en l’état… voire d’aider le secteur ? Du côté de Didier Gosuin (FDF), nouveau ministre de l’Emploi dans la capitale, on affirme être conscient de la fragilité des opérateurs titres-services. « Leur marge de manoeuvre est de zéro à l’heure actuelle », reconnaît-il. Mais pour le reste, Didier Gosuin explique ne pas pouvoir se prononcer. Et pour cause, le fédéral était censé fournir des chiffres à la Région en ce qui concerne les titres-services et l’évolution du secteur. Le tout pour le mois de juillet. Or, d’après notre interlocuteur, la même Région n’avait toujours rien reçu à l’heure où nous écrivions ces lignes. « Vous comprendrez donc que je ne peux pas me prononcer pour l’heure. Il importera aussi de voir quelles seront les marges budgétaires. » Quoi qu’il en soit, la déclaration régionale prévoit tout de même que la politique des titres-services « puisse faire l’objet d’un contrôle strict afin de détecter et de décourager les abus ». Didier Gosuin souhaite également que les opérateurs titres-services signent des conventions avec Actiris pour les assister dans leur politique de recrutement « afin qu’ils occupent davantage de travailleurs bruxellois ».
Aller plus loin
Alter Échos n°386 du 14.07.2014 : « Les titres-services à la croisée des chemins »
Alter Échos n°360 du 21.05.2013 : « Régionaliser les titres-services ? L’économie sociale se manifeste »