C’est une tradition: à chaque fin de législature, le Parlement et le gouvernement s’affairent autour d’une révision de la Constitution. Avec une mise en scène immuable. Des partis flamands qui veulent un grand nettoyage et des francophones qui freinent des quatre fers. Cette fois pourtant, ce sont d’autres questions qui se posent. Elles visent moins la tuyauterie institutionnelle que celle du fonctionnement de la démocratie.
Ce sont des profs d’université qui ont tiré les premiers. Début février, une soixantaine d’entre eux, des francophones et des Flamands, ont lancé un appel à réformer en profondeur une Constitution belge «qui prend la poussière». En 1831, disent-ils, cette Constitution était un modèle en Europe parce qu’elle consacrait un grand nombre de droits fondamentaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et des lacunes évidentes apparaissent comme l’absence d’interdiction de la torture et des traitements dégradants ou même du droit à un procès équitable.
Si le Belge a l’impression que, depuis près de cinquante ans, on n’arrête pas de modifier la Constitution, toute l’énergie parlementaire est passée à modifier le fonctionnement de l’État et plus précisément à défédéraliser celui-ci. En allant parfois très loin dans ce processus, et parfois pas assez. Et avec des incohérences plus ou moins assumées. «On a fait de la dentelle institutionnelle, remarque Jean Faniel, directeur du CRISP. Le contrôle des centrales nucléaires relève de l’État fédéral et ça paraît logique. Les éoliennes, le photovoltaïque aux Régions et ça paraît aussi logique. Mais entre ces deux logiques, arrive-t-on à quelque chose de cohérent?»
On n’arrête pas de modifier la Constitution. Mais toute l’énergie parlementaire est passée à modifier le fonctionnement de l’État et plus précisément à défédéraliser.
Depuis la sixième réforme de l’État, des doutes s’expriment. Au nom de la cohérence des politiques, faut-il poursuivre la défédéralisation? Faire sortir la justice du giron fédéral, voire même les soins de santé? La manière dont Maggie De Block a géré la question des numéros Inami pour les étudiants francophones, sans tenir compte de la situation de pénurie dans le sud du pays, a crispé les Wallons au point que certains envisagent de faire sauter ce tabou des tabous francophones. Faut-il au contraire refédéraliser certaines compétences? La question est à la base de la fameuse «loi climat» avec le constat que les accords de coopération sur des matières comme la mobilité, la politique énergétique, le survol de Bruxelles ne fonctionnent pas.
En finir ou pas?
La loi «climat» n’a pas vu le jour. La majorité des partis flamands s’y sont opposés parce qu’ils ne voulaient pas refédéraliser la gestion de la problématique climatique. «En Belgique, aucune des réformes institutionnelles n’a refédéralisé ce qui avait été défédéralisé, constate Jean Faniel. Avec la loi ‘climat’, cela ne paraissait pas irréaliste car l’Open VLD et les Jeunes CD&V s’étaient prononcés pour la refédéralisation de certaines compétences. Mais qu’est-ce qui a primé dans l’attitude des partis flamands? Le fait de refuser de donner des contraintes au parlement et au gouvernement flamands ou le fait que les engagements en faveur du climat vont obérer le développement économique de la Flandre, vu dans une perspective productiviste. S’il s’était agi d’une matière où la Flandre aurait trouvé un avantage, la réponse aurait peut-être été différente.»
Le système grince, c’est évident. «On est pris dans une contradiction, souligne le directeur du CRISP. D’une part, on a intégré le fédéralisme. Plus personne aujourd’hui ne remet en cause celui de l’enseignement. Mais quand les entités fédérées exercent leurs compétences de manière différenciée, on dit que ça ne va pas. Et quand ça coince sur des questions comme le climat, les politiques en matière d’énergie, on s’aperçoit que cette logique de l’autonomie amène au niveau intranational aux difficultés qu’on peut rencontrer au niveau international.»
Pour François De Smet (Defi), une «Nova Carta» permettrait de prendre en compte les nouveaux défis sociétaux et l’introduction de droits fondamentaux non encore inscrits dans la Constitution.
Dans Le Vif du 14 mars, Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel à Saint-Louis, pense qu’il faudrait «oser le débat» sur l’avenir de l’État belge, même s’il risque de faire éclater le pays. Il propose de mettre en place une enceinte composée d’élus pour discuter soit de la bonne manière de mettre fin à l’État belge, soit de reconstituer celui-ci avec une nouvelle Constitution. En finir donc ou repartir sur de nouvelles bases. Bref lever tous les tabous.
Ce côté un peu «révolutionnaire» est aussi celui prôné par François De Smet, l’ex-directeur de Myria, devenu candidat pour Défi à la Chambre. Ce dernier propose une «Nova Carta, une nouvelle charte qui prendrait en compte les nouveaux défis sociétaux et l’introduction de droits fondamentaux non encore inscrits dans la Constitution. Mais il envisage surtout d’élaborer cette charte avec des élus, des experts (constitutionnalistes, professeurs de droit) et des citoyens volontaires «dans une proportion à déterminer».
Mais il envisage surtout d’élaborer cette charte avec des élus, des experts (constitutionnalistes, professeurs de droit) et des citoyens volontaires «dans une proportion à déterminer».
«Si on repart vraiment de zéro, la question à poser est effectivement de savoir avec qui discuter», estime Jean Faniel. Avec les seuls élus? Avec des personnes tirées au sort? (Lire «Le tirage au sort: une solution face à la crise de nos démocraties représentatives?») En 2011, l’Islande a fait réécrire sa Constitution par des citoyens. L’exercice a abouti, mais les partis politiques ont ignoré la Constitution citoyenne. Pas sûr que les partis politiques belges soient plus ouverts. «Certains craignent une remise à plat radicale avec une population qui voudrait revenir à la Belgique unitaire.»
La peur de partager le pouvoir
L’envie de repenser la Constitution, de la transformer n’est pas propre à notre pays. Elle est très sensible aussi en France et porte, comme chez nous, sur des questions relatives au fonctionnement de notre démocratie, avec des revendications comme le référendum d’initiative citoyenne, une autre composition des assemblées, l’âge du droit de vote. «Le système belge est fondamentalement un système représentatif», note le directeur du CRISP. On a introduit des éléments de démocratie participative avec les consultations populaires qui peuvent être organisées au niveau local, provincial et régional, «mais on reste dans une philosophie de consultation. Certains partis sont prêts à accepter l’idée d’une seconde chambre où les participants seraient tirés au sort, mais l’idée reste que cette chambre soit une chambre de réflexion. La décision appartient toujours aux élus». On n’est donc pas dans un système «à la Suisse» où les votations ont un effet direct qui s’impose aux élus et on ne semble pas près de l’avoir. Jean Faniel parle d’une position «frileuse» des partis belges qui estiment que la seule légitimité s’acquiert par les urnes alors que l’on ne sait pas de quoi les citoyens seraient représentatifs. «Le tirage au sort est pourtant ce qu’il y a de plus égalitaire, mais on sent bien qu’il y a chez les élus une volonté de ne pas partager – ou pas trop – le pouvoir.»
L’envie de repenser la Constitution, de la transformer, porte aussi sur des questions relatives au fonctionnement de notre démocratie.
Pourtant, conclut le directeur du CRISP, on sent bien qu’il existe dans la population une insatisfaction par rapport au système démocratique, jugé lent et inefficace. «Deux réactions sont possibles. Soit une démotivation avec des électeurs qui ne vont plus voter ou votent pour des partis qui veulent rompre avec la démocratie. Soit on repense la démocratie en développant la participation citoyenne. On peut aller plus loin qu’actuellement, avec des consultations populaires fréquentes ou des référendums qui seraient décisionnels. Le constat de départ est le même: on est dans un modèle à bout de souffle.» Et y réagir passera, d’une manière ou d’une autre, par des révisions fortes de la Constitution.
Partis: la liste de leurs envies
Tous les partis ou presque ont des projets de révision de la Constitution. Mais la conception des «droits fondamentaux» des uns n’est pas forcément celle des autres.
Le PS voulait introduire à certaines conditions le référendum au niveau national (mais l’article à revoir a été rejeté). Autres objectifs: pouvoir dissoudre les partis liberticides pour les empêcher de se présenter aux élections, affirmer la primauté de l’État sur la religion et inscrire un droit à l’eau et à la mobilité.
Écolo et Groen revendiquent l’élargissement du droit de vote aux non-Belges pour toutes les élections et une circonscription unique pour l’ensemble du pays. Les partis verts souhaitent abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans et inscrire dans la Constitution l’égalité de traitement en fonction du genre et de l’orientation sexuelle.
Le MR ne veut rien, mais dit ne pas fermer la porte à la discussion sur l’un ou l’autre article, pourvu qu’il ne soit pas d’ordre communautaire.
Le CDH n’est pas chaud à l’idée de toucher à la Constitution, mais est prêt à accepter les articles qui consacreraient les droits des handicapés, le droit à la sécurité et au respect de la vie privée.
Défi demande depuis longtemps d’introduire le principe de laïcité de l’État dans la Constitution. Le parti d’Olivier Maigain est très critique à l’égard de la sixième réforme de l’État et voudrait refédéraliser certaines compétences (comme les allocations familiales). Défi soutient aussi l’idée d’un référendum d’initiative citoyenne.
Le PTB veut intégrer des droits comme ceux à l’énergie, l’eau, une alimentation équilibrée et accessible. Il veut un référendum d’initiative citoyenne, le droit de vote à partir de 16 ans, mais aucune réforme portant atteinte à l’unité du pays.
L’Open VLD demande d’ajouter dans la Constitution un préambule affirmant la laïcité de l’État et l’impartialité des pouvoirs publics. Les libéraux flamands veulent renforcer la liberté d’expression, la séparation de l’État et des religions et supprimer l’obligation du droit de vote.
Le CD&V aimerait mettre le droit à la vie dans la Constitution.