Qui est un loser? Qui est un gagnant? En mai dernier, l’association L’Autre Lieu a lancé sa campagne «Loser» afin de bousculer les conceptions dominantes de réussite et d’échec dans notre société.
L’Autre Lieu accompagne des personnes en souffrance psychique. Sa particularité: sur place, pas de personnel soignant, uniquement des travailleurs sociaux. L’association crée des alliances avec le réseau socioculturel pour privilégier un ancrage de son public dans la vraie vie plutôt que dans un circuit de soins. Travail de terrain et campagnes menées vers «l’extérieur» se renforcent car comme indiqué dans le livret de présentation: «Se sentir ‘loser’, c’est souvent – et avant tout – une affaire de regard.»
La thématique s’est imposée naturellement lors de discussions intra-muros, qui ont mis en lumière un sentiment d’échec perpétuel des «patients», bien souvent en rupture de relations, sans travail, plongés brutalement dans un déclassement total. Dans ces cas de figure, il y a une vie d’avant dont il faut faire le deuil, une transition que L’Autre Lieu conçoit comme une métamorphose plutôt que comme une condition irréversible.
«Loser» repose aussi sur une réflexion liée à la raison d’être de l’association, à savoir développer une alternative à la psychiatrie. Le secteur de la santé mentale connaît actuellement une réforme en profondeur, le projet 107[1], axé sur une réorganisation des soins dans l’ambulatoire. Dans ce contexte où l’hôpital n’est plus directement stigmatisé, la structure pourrait voir sa mission faiblir. Selon Aurélie Ehx, chargée de mission pour l’Autre Lieu, «des formes plus subtiles de violence continuent néanmoins à s’exercer, notamment via des politiques publiques d’activation mais aussi des pratiques qui induisent des circuits de soins très standardisés». Circuits dans lesquels, manifestement, des membres de l’Autre Lieu ne parviennent pas vraiment à s’inscrire, ce qui renforce davantage leur sentiment de «lose».
Dérive étymologique et contre-fiction
Partant de la lose, L’Autre Lieu propose de dévier vers un autre terme anglais, loose, qui implique le relâchement, la distanciation. «Se pourrait-il que les losers soient ceux qui ont compris que, dans la vie, il ne sert à rien d’entrer en compétition dès lors que les règles du jeu sont complètement faussées, que le ‘winner’ est un mythe?» Cette réflexion liminaire a alimenté la production de films, de projets plastiques, d’articles qui forment la matière de «Loser».
Une production placée sous le signe de la «contre-fiction», à savoir la construction d’œuvres narratives qui se jouent des codes, offrent un décalage par rapport au réel et ouvrent la voie à la critique. Dans le court-métrage Loser Winner, le spectateur se retrouve plongé dans un clip vidéo musical: face à un jury, des personnages jouent à la marelle, symbole détourné d’une forme d’ascension existentielle. Vers quel idéal de réussite? Et selon quels critères?
Le dispositif permet de triturer cette figure du loser et de scénariser autrement son opposé – ce mythe de la grande réussite – pour mieux le déconstruire. L’idée est de créer une forme de court-circuitage dans les idées, voire, par effet de boucle, «dans les systèmes actuels de soins pour que ceux-ci soient plus inventifs, plus incluants pour les personnes concernées», déclare Aurélie Ehx.
Fruit d’un travail de longue haleine, la campagne s’est créée en collaboration avec pas moins de 24 partenaires, de l’École de recherche graphique aux Ateliers Graphoui, en passant par la maison des jeunes de Bastogne. Résultat: une exposition et 12 courts-métrages réalisés sur la thématique. Les «losers» ont aussi fait l’objet d’un dossier coécrit avec le magazine C4.
[1] Lire à ce sujet: «Les soins de santé mentale sortent-ils vraiment de l’hôpital?», Alter Échos n°395, janvier 2015, Marinette Mormont.