Sur le terrain, médecins, sages-femmes et travailleurs sociaux se mobilisent pour assurer aux femmes enceintes et aux jeunes enfants précarisés une prise en chargemédicale. Médecins du monde1 propose la création d’un fonds de trésorerie pour garantir à ce public un accès aux soins.
Un certain nombre d’acteurs de terrain se démènent pour assurer une prise en charge médicale de première ligne à ces femmes et jeunes enfants. C’est le cas duCaso de Médecins du monde. L’ONE en Communauté française et Kind & Gezin en Flandre proposent, chacun à leur manière, un suivi pré- et/ou postnatalgratuit pour tous. Ces deux organismes s’adressent à tous les milieux socio-économiques, mais ce sont les populations plus fragilisées qui sollicitent davantage leursservices.
Sophie Damien est assistante sociale au Centre d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) de Médecins du monde à Bruxelles. « Au Caso, à la rue d’Artois,nous travaillons sur le droit à la santé pour les sans-papiers, les demandeurs d’asile et les Belges en grande précarité », explique-t-elle lors de laconférence organisée par Médecins du monde ce 21 octobre. « 70 % de notre public a recours à l’aide médicale urgente. C’est un public en situationde précarité qui cumule les vulnérabilités. » Sociales, psychologiques ou encore médicales, ces vulnérabilités sont diverses et touchent tant auparcours migratoire, aux conditions de vie dans notre pays (ressources financières, logement, isolement, pas de priorité donnée à la santé, etc.) ou encore aumanque d’accès à la médecine préventive, par exemple.
Parmi le public du Caso : des femmes enceintes et des enfants (voir aussi Alter Echos n° 289 : « Enceintes et sans toit »). Particulièrement vulnérables, ils sont lespremières victimes des inégalités d’accès aux soins, déplore Médecins du monde. « Souvent, confirme Martine Vanderkam, de l’asbl Aquarelle, il n’ypas de suivi médical de la grossesse, ces femmes arrivent très tardivement en consultation. Ce qui a des conséquences sur la santé de la maman et du bébé. Ily a des risques d’infection urinaire, des risques d’accouchement prématuré… » Ceci est d’autant plus préoccupant qu’une mauvaise prise en charge médicale auxstades pré-, péri- et postnatal prédisposerait aux inégalités de santé durant le reste de la vie de l’enfant.
Des sages-femmes soutiennent les femmes en difficulté
Deux asbl, cousines par leur histoire et par leurs missions, se consacrent au quotidien au suivi prénatal et postnatal de femmes vivant en situation précaire. La première,Aquarelle2, est bruxelloise tandis que la seconde, Echoline3, est basée à Charleroi. Elles sont nées toutes les deux aux alentours des années 2000grâce à un soutien de la Fondation Marguerite-Marie Delacroix. Elles ont pour caractéristique commune d’assurer un suivi préventif et curatif (des actes médicauxsont posés), une combinaison assez peu fréquente qui ne facilite pas la tâche des associations pour aller à la pêche aux subsides. Elles offrent toutes les deux unsuivi à domicile, en plus des activités localisées dans leurs locaux : « Nous allons là où les gens sont. Cela permet d’atteindre certaines personnes quine se déplacent pas et d’ajuster ce qu’on peut leur apporter en fonction de leurs réalités », souligne Marie Sorel, d’Echoline. « Cela permet de répondreaux besoins et cela crée aussi un climat de confiance », ajoute Martine Vanderkam.
Les deux associations ont cependant leurs spécificités. Elles diffèrent notamment par leurs publics. « Chez nous, c’est un public en difficulté au point de vuemédical, psychologique et social, et en demande d’aide pendant la période prénatale, à Charleroi. Pour la plupart, ce sont des Belges, mais il y a de plus en plus depersonnes étrangères ou d’origine étrangère », explique Marie Sorel. Echoline reçoit énormément de jeunes mères, en rupture avec leurmilieu familial. En 2009, 34 % des mères qui se sont tournées vers l’asbl avaient moins de 21 ans. Autre particularité, la plupart sont en situation de grandeprécarité au niveau du logement. Aquarelle, quant à elle, s’adresse exclusivement à des mamans qui n’ont peu ou pas de revenus réguliers et qui n’ont pas decouverture sociale. Autrement dit, ces femmes sont toutes issues de l’immigration et vivent pour la plupart de mendicité ou de petits boulots non déclarés. Elles ne connaissentpas le français, elles ne connaissent pas non plus les structures d’aide sociale et médicale belges. Souvent, leur séjour à l’hôpital après l’accouchement estréduit à son strict minimum.
Autre distinction notable, Aquarelle est attachée directement à l’hôpital Saint-Pierre. Les sages-femmes y travaillent en collaboration avec les gynécologues,psychologues et pédiatres de l’hôpital. Une aide alimentaire et en vêtements est aussi proposée aux femmes en difficulté. Echoline est indépendante ettravaille en collaboration avec tous les hôpitaux de la région de Charleroi. Elle regroupe des sages-femmes et des psychologues qui travaillent en complémentarité.
Vers une simplification administrative ?
Aux difficultés, nombreuses et complexes, vécues par les futurs ou les jeunes parents, s’ajoutent une multitude de barrières administratives. Elles diffèrent selon lestatut. Les familles sans couverture sociale ont à subir le stress et la lenteur de l’enquête sociale qui doit leur ouvrir les portes de l’aide médicale urgente (AMU). Elles ontdes difficultés à s’orienter dans le labyrinthe des dix-neuf CPAS bruxellois, sans parler de la diversité des pratiques mises en œuvre par ces CPAS. Certains d’entre euxiraient jusqu’à refuser d’octroyer l’AMU en renvoyant les familles vers l’ONE ou Kind & Gezin. Enfin, la première consultation n’est souvent pas prise en charge par l’AMU. Lacellule médicale de Fedasil, s’adressant aux demandeurs d’asile, est quant à elle saturée. Médecins du monde souligne aussi les divergences d’interprétation desdifférents acteurs quant aux compétences attribuées respectivement aux CPAS et à Fedasil. Enfin, certains ressortissants européens pauvres ne peuvent pas avancerles frais médicaux avant de se faire rembourser dans leur pays, alors que d’autres ne sont pas couverts ou pas en ordre de mutuelle dans leur pays. Mais ils ne peuvent pas non plus faire appelà l’AMU…
Un fonds de trésorerie
Ce sont ces obstacles que Médecins du monde souhaite faire disparaître en proposant la création d’un fonds de trésorerie géré par une autoritéfédérale, comme le SPP Intégration
sociale par exemple. Ce fonds servirait à préfinancer les prestataires de soins pré-, péri- et postnatals de lamère et de l’enfant jusque six ans. Le fonds serait ensuite chargé d’identifier et d’interpeller l’organisme susceptible d’assumer la couverture des frais(CPAS, Fedasil…). « La proposition que l’on formule ne prend en charge que la dimension administrative. Ce problème additionnel n’est pas nécessaire et il fautl’évacuer des discussions pour que le travail réel puisse être fait. Il s’agit de faire en sorte que ce ne soit plus à la personne de prendre en charge cesdémarches, mais bien aux institutions concernées », a commenté Pierre Verbeeren, directeur général de Médecins du monde.
« Cette proposition ne cherche pas non plus à ouvrir de nouveaux droits, car le contexte politique ne le permet pas, a-t-il poursuivi. Et elle vise spécifiquement les femmesenceintes et les enfants de moins de six ans. Car comment pourrait-on leur refuser des soins ? Encore une fois, le contexte politique nous impose d’être modeste. »
Ces ambitions de simplification administrative sont partagées par le cabinet de Philippe Courard (PS), a réagi Johan Vandenbussche, coordinateur de la cellule Intégrationsociale. Mais pour le cabinet, cette simplification devrait prendre une autre forme : celle d’une carte médicale électronique généralisée, s’adressantà tout un chacun qui passe par un CPAS, et avec une seule instance de remboursement. Ce projet de carte médicale serait en phase d’élaboration.
Laurent Monniez, du cabinet de Jean-Marc Nollet (Ecolo), en charge de l’Enfance, a salué le caractère courageux de la proposition de Médecins du monde. « S’il yavait un accès réel aux soins de santé, a-t-il déclaré, bon nombre de coûts budgétaires pourraient être évités, par exemple ceuxliés aux accouchements prématurés. Le rôle la Communauté française, par rapport à cela, c’est de faire en sorte que tous les niveaux de pouvoirse soutiennent les uns les autres et soient complémentaires. »
Pas de papier, pas de santé ?
Du 21 au 30 octobre, le grand hall des voyageurs de la gare du Midi à Bruxelles a accueilli un parcours photographique et sonore sur l’accès difficile aux soins de santépour les sans-papiers (personnes sans titre de séjour valable) en Europe.
L’exposition itinérante Exit, Exit ? du photographe français Olivier Jobard a été choisie par l’association Médecins du monde pour mettre envaleur le rapport 2009 de l’Observatoire européen de l’accès aux soins. « En général, en France, en Belgique et ailleurs en Europe, les migrants ont peurd’aller dans les hôpitaux car ils craignent de devoir décliner leur identité et risquer ainsi un rapatriement forcé vers leur pays d’origine. On baigne dans unclimat ultra-répressif où les gens ont de plus en plus peur et se cachent de plus en plus, évitant même d’aller se faire soigner. Il faut savoir que beaucoup desans-papiers ont dépensé une fortune et parfois risqué leur vie pour venir en Europe, ils sont déjà ici et ils sont utiles puisqu’ils travaillentgénéralement au noir. Ces gens seraient d’autant plus utiles si on leur donnait les moyens légaux de travailler et d’apporter ainsi le fruit de leur travail àla société européenne », estime le photographe français.
Et les chiffres fournis par Médecins du monde en matière d’accès aux soins pour les sans-papiers sont pour le moins alarmants : 72 % des problèmes desanté des sans-papiers sont peu ou pas traités ; 70 % des personnes interrogées sont confrontées à des obstacles pour se faire soigner ; 41 % des sans-papiers ontdû renoncer à avoir recours aux soins ; un tiers des personnes se disent victimes de racisme ; 29 % des parents interrogés ont dû renoncer à faire soigner leursenfants au cours des 12 derniers mois et 14 % des personnes ont essuyé un refus de soins de la part de professionnels. Pierre Verbeeren, directeur général de Médecinsdu monde Belgique, déclare que ce document « montre clairement que même lorsqu’un droit comme l’accès à la santé est garanti dans un paysdémocratique, l’effectivité de ce droit est toute relative et que cela nous mène à des pathologies problématiques pour la santé publique comme latuberculose ou des maladies sexuellement transmissibles. Par ailleurs, le non-traitement de ces pathologies dont souffrent les sans-papiers nous amène à des coûts de santéqui sont de loin supérieurs à ceux auxquels nous aurions dû faire face si nous avions accepté de les accueillir de manière tout à fait légale. »
Et d’ajouter : « Des médecins ou des hôpitaux refusent de donner accès aux soins pour des raisons administratives (pas de carte de mutuelle en ordre), il faut donc rendre ledroit effectif par une pratique de la loi qui corresponde à l’esprit de la loi. » Pour Pierre Verbeeren, pour les femmes enceintes ou les enfants de moins de 6 ans, il ne devraitmême pas y avoir à discuter. « De nombreuses études indiquent qu’en cas de négligence et de refus de prodiguer les soins, le coût des interventions va êtremultiplié par trois, donc même pour des motifs économiques, il y a lieu de rendre ce service universel. Au niveau européen, il faudrait se battre pour interdire au corpsmédical de dénoncer une personne en séjour illégal qui consulte un médecin. Dans certains pays, il existe une obligation de dénonciation », regrette ledirecteur général.
1. Médecin du monde, rue de l’Eclipse, 6 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 648 69 99 – courriel : info@medecinsdumonde.be
2. Aquarelle asbl, CHU Saint-Pierre, rue Haute, 322 à 1000 Bruxelles – tél.: 02 535 36 66
3. Echoline asbl, rue Bois Del Bol, 21 à 6000 Charleroi – tél.: 071 48 76 25 – courriel: info@echoline.be