Le web a modifié les rapports sociaux. A-t-il également permis l’émergence d’une nouvelle forme de prostitution ?
« Quand les vitrines ont fermé à Liège, certains sont partis à Seraing. D’autres sont allés vers… le web. » Marc Purnotte1 de l’asbl Alias analyse le paysage de la prostitution d’aujourd’hui, modifié par l’avènement du web : « Il y a une grande tendance à la prostitution sur la toile. » Pourtant, son association n’y est pas encore proactive. Mais c’est une courbe que le milieu associatif et judiciaire est en passe d’adopter, tant l’outil sert la prostitution, qu’elle soit condamnable, flirtant avec la limite ou légale. The Boys project2 est quant à lui actif sur Internet. « Il change les pratiques, interpelle le milieu », explique Bram Vande Putte, directeur de cette asbl anversoise. « Il ouvre vers une autre dimension », renchérit Christine Wilwerth3, procureure du roi de Verviers.
Anonyme, discrète et sans frontières
L’avènement des nouvelles technologies pose de réelles difficultés aux instances judiciaires et policières dans leur lutte contre la traite des êtres humains tant le champ du « world wide web » est large. Les réseaux qui s’y créent sont d’autant plus insaisissables que leurs acteurs se meuvent sans considération de frontières, défiant la concurrence du temps. Son caractère immatériel, son aspect international et l’immédiateté à laquelle elle se réfère rendent l’exploitation de la cyberprostitution difficilement condamnable, car peu visible. Afin de contourner la législation belge et européenne, certains sites sont hébergés aux frontières de l’UE, constate la police judiciaire.
Paradoxalement, ces réseaux jouissent d’une grande discrétion qu’ils doivent à l’anonymat que l’outil leur offre. Selon un rapport rédigé par les autorités françaises en avril 2011, ces composantes « encouragent le passage à l’acte ». Cela au même titre que la facilité d’utilisation du web qui « favorise l’arrivée de personnes qui n’auraient jamais envisagé d’exercer sur la voie publique », relève Marc Purnotte. « Le besoin d’argent semble tenir une place cruciale parmi leurs motivations », souligne l’état des lieux français. La prostitution occasionnelle permettrait d’ailleurs à ces personnes touchées par la précarité de boucler les fins de mois. Combien sont-elles ? Le web conservant l’anonymat des internautes, bien malin qui pourrait en estimer tant le nombre que le profil.
« Il faut insister sur la prévention et l’éducation aux médias ainsi que sur la surveillance systématique des sites, y compris les réseaux sociaux », souligne Christine Wilwerth. La police judiciaire pointe « ceux qui, nombreux, se dissimulent sous des petites annonces anodines, obéissant à de réelles manœuvres de dissimulation ». « Cela rend le travail des enquêteurs spécialisés encore plus périlleux », ajoute le Parquet de Verviers.
Discrétion, anonymat, facilité d’utilisation, faibles coûts pour une large résonance. Ajoutez à cela une législation floue. La formule semble magique. L’Internet serait-il dès lors ce réseau d’anonymes tissant sa toile dans l’impunité la plus totale ? « Source de difficulté, et pas impunité », nuance Christine Wilwerth.
Évolution ou révolution ?
Si la prostitution sur le web diffère de celle de la rue par ses motivations et son contexte, elle constitue « une évolution davantage qu’une révolution », note le rapport français. « Migration plutôt que mutation », ajoute Alias. La web-prostitution et son exploitation glissent et s’inscrivent dans l’air du temps, usant des outils que l’ingénierie met à leur disposition. Et ouvre la voie à un nouveau type d’utilisateurs. La toile représente cette nébuleuse difficilement saisissable par ceux qui tentent d’en prévenir les pratiques illicites, et un vaste éventail de possibles pour ceux qui l’exploitent. Les services judiciaires devront fournir un travail de fourmis s’ils veulent détisser la vaste toile de l’exploitation sexuelle.