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Regard critique · Justice sociale

Radio 6 à Tunis : la voix de la liberté

Reportage à Radio 6, qui goûte à la liberté de la presse après quatre ans de clandestinité

09-10-2011 Alter Échos n° 324

Après quatre ans de clandestinité, l’équipe de Radio 6 savoure la liberté chèrement acquise. Reportage dans les studios : un appartement tunisois.

Les locaux de Radio 6 se situent dans un appartement de la banlieue nord de Tunis. « La première radio libre indépendante et non familiale » deTunisie, nous dit Samir, animateur et journaliste. Par « non familiale », Samir entend une radio qui échappe au contrôle du clan Ben Ali.

Créée en toute clandestinité en 2007 par Salah Fourti, Radio 6 jouit de l’espace de liberté nouvellement acquis. Chaque jour, des flashes info succèdent àdes débats politiques et des sujets de société. Toute l’équipe, à l’exception du fondateur, est composée de jeunes de moins de 25 ans.

Samir fait partie des journalistes historiques de la radio. Il présente une émission intitulée « Débats », où l’on tente de comprendre quisont les candidats des futures élections. Il reçoit de nombreuses têtes de liste, une gageure quand on sait qu’à Tunis, il y a déjà plus de 80 candidats.Quant à Mouna, elle anime une heure de talk-show consacré au nouveau paysage associatif tunisien, plus fourni que les souks de la Médina le sont en chaussures bon marché.Pour elle, Radio 6 est une radio « d’élite ». « De lutte, corrige Samir, qui précise sa pensée : la radio est née en oppositionà Ben Ali. On y parlait de libertés, de droits de l’homme. Et c’est vrai que c’est une certaine élite qui s’intéressait à ces thèmes. » Radio 6 acommencé sur Internet. Aujourd’hui, la ligne éditoriale est toujours la même.

Mouna a commencé son travail de journaliste à Radio 6 à la fin de ses études, il y a cinq mois. Elle a 21 ans. Si la liberté d’expression est une valeurcardinale de ce média, elle implique, selon elle, une « très grande responsabilité ». Dans un contexte d’inflation médiatique (il y adésormais douze radios, contre quatre du temps de Ben Ali), Mouna lance un plaidoyer pour la déontologie journalistique : « Nous vérifions toujours lesinformations. Avec la liberté, certains médias diffusent des calomnies, des informations sans les vérifier, juste pour avoir l’exclusivité. »

« Internet a poussé les gens à se révolter »

Samir me tend un petit sac rouge marqué d’un logo. A l’intérieur, on trouve un tract, un porte-clé et une clé USB. « En principe, la publicité politiqueest interdite. Mais des partis le font quand même. Et certains tentent de corrompre l’électeur en lui offrant des cadeaux comme ce petit sac. » Les deux journalistes fustigentcertains partis « qui ont beaucoup d’argent. Notamment des anciens du régime Ben Ali qui ont créé des partis. Il faut à tout prix savoir d’où vient lefinancement des partis, car l’argent peut tout changer. »

En tant que journalistes, Samir et Mouna sont immergés dans la politique. Ils restent enthousiastes sur cette révolution et sur le rôle joué par les nouveauxmédias. Mouna se lance : « Par rapport aux autres révolutions arabes, c’est une vraie révolution spontanée des jeunes. Il n’y avait pas de partisderrière. On a vu et diffusé des choses sur Internet. En comparant avec l’information disponible à la télévision, c’est ça qui a poussé les gensà se révolter. » Si on leur demande ce qu’ils pensent de l’investissement des jeunes dans l’après-révolution, les deux journalistes restent positifs :« Avant, les jeunes parlaient surtout de foot. Maintenant ça change, beaucoup entrent dans des partis ou des associations. » Mais les périls ne sont jamais loin,comme le constate Mouna : « Le principal problème c’est l’absence de travail. Si on ne trouve pas de solution, la situation peut rester explosive. »

Samir interrompt la conversation pour présenter le flash info de 19 heures. Une discussion animée s’ensuit avec un technicien qui estime que le journaliste a manqué sonaccroche. La vie de la rédaction reprend son cours normal. Sans peur du harcèlement policier.

Samir et Mouna ne sont pas vraiment payés, ils reçoivent de « l’argent de poche ». La radio a reçu l’autorisation de diffuser sur la bande FM, mêmesi les modalités d’application de cette autorisation semblent bien complexes. Ils espèrent, un jour proche, parvenir à vivre de leur métier. Rouage essentiel de la jeunedémocratie tunisienne.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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