Les «pionniers du ferroviaire citoyens». C’est ainsi que se définissent les membres (ils sont une vingtaine) de l’équipe aux manettes de Railcoop, une coopérative qui, en France, a pour ambition de remettre en service certaines lignes de chemin de fer abandonnées. La tâche est herculéenne, mais il faut bien commencer quelque part… Alors, c’est sur la ligne – délaissée depuis 2014 par l’opérateur historique français, la SNCF – reliant Bordeaux, à l’ouest du pays, à Lyon, à l’est, qu’Alexandra et Nicolas Debaisieux, deux frères et sœurs à la tête de Railcoop, ont jeté leur dévolu. Sur le parcours, les gares de Libourne, Limoges, Montluçon, Roanne et bien d’autres encore verraient s’arrêter sur leurs quais des trains d’un genre nouveau, estampillés Railcoop.
Cette compagnie de chemin de fer innovante espère que ses trains pourront accueillir des voyageurs dès 2022. Le trajet, de bout en bout, coûterait une quarantaine d’euros et durerait… plus de sept heures. Si la ligne entre Bordeaux et Lyon fonctionne bien, d’autres suivront, comme Thionville-Grenoble ou Toulouse-Caen. «Notre postulat de base est de réintroduire le ferroviaire partout en France – pour du fret comme pour les voyageurs – et d’être un maillon de la transition verte», expose Olivia Wolanin, chargée de communication chez Railcoop.
«Le nombre de sociétaires s’est envolé»
L’aventure Railcoop a débuté en février 2019. Un groupe de citoyens dépités de constater que des lignes ferroviaires tout entières étaient ensevelies sous la végétation, que des villes étaient totalement oubliées de la carte des réseaux ferrés hexagonaux et que la voiture restait très souvent préférée au train, ont décidé d’unir leurs forces – autour de Nicolas Debaisieux, donc, un ex-fonctionnaire du ministère de la Transition écologique. Leur but : tenter de développer un nouvel opérateur ferroviaire au «service des territoires».
L’aventure Railcoop a débuté en février 2019. Un groupe de citoyens dépités de constater que des lignes ferroviaires toutes entières étaient ensevelies sous la végétation…
C’est ainsi qu’est née la première société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) française dédiée au chemin de fer. Un peu plus de deux ans plus tard, Railcoop a réuni un capital social de 1,5 million d’euros (c’est la somme nécessaire à l’obtention de la licence d’entreprise ferroviaire voyageurs en France). Actuellement, Railcoop enregistre un capital social de 3 millions d’euros, et compte, en septembre 2021, environ 9.000 sociétaires. L’engouement populaire est réel. Railcoop – «Petit Poucet du rail» selon le journal La Croix, «nouvel agitateur» pour le magazine L’Express – a aussi bénéficié d’une forte couverture médiatique, qui a atteint son paroxysme en janvier dernier quand un reportage d’une vingtaine de minutes a été diffusé sur France 2, dans le magazine «Envoyé spécial». «Là, le nombre de sociétaires s’est envolé», se souvient Olivia Wolanin.
Des trains «de récup»
Pour ce qui est de la pièce maîtresse du projet – les trains! –, l’équipe de Railcoop a sillonné l’Europe entière à la recherche de matériel d’occasion à rénover et à réaménager. Finalement, pour la ligne Bordeaux-Lyon, ce sont des autorails X72500 – surnommés les «aspirateurs», à cause de leurs «nez» plats – qui ont été choisis. Auparavant, ils circulaient dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. À la différence du matériel neuf, les trains «de récup» sont moins chers, et surtout disponibles plus vite, se réjouit-on chez Railcoop.
Car il n’y a pas une seconde à perdre : avant même l’inauguration de la première ligne pour les voyageurs entre Bordeaux et Lyon, c’est une ligne de fret que s’apprête à lancer Railcoop entre la gare de Viviez-Decazeville (dans l’Aveyron) et la gare de triage Toulouse-Saint-Jory, via Capdenac. Sur la portion de route d’une vingtaine de kilomètres entre Decazeville et Capdenac, environ 700 camions transitent chaque jour. «Toutes ces marchandises pourraient très bien être acheminées en train, on fait le pari que l’offre va créer la demande», explique Olivia Wolanin, qui souligne que, sur cette ligne de fret, Railcoop veut proposer une navette quotidienne, afin de présenter une «offre fiable» dans la région. L’inauguration est prévue le 15 novembre.
Un train d’enfer
Sans surprise, avec ces multiples échéances qui approchent, chez Railcoop, c’est l’ébullition. Et les journées passent à un train d’enfer. Il a d’abord fallu évaluer la faisabilité du projet dans sa globalité et monter un «business model», puis convaincre citoyens comme collectivités de rejoindre l’aventure et se rapprocher du ministère des Transports et de l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) pour décrocher la flopée d’autorisations nécessaires pour faire circuler des trains. Et en ce moment, l’urgence, c’est de négocier les «sillons» (comprendre : les plages horaires) avec SNCF Réseau, ce qui n’est pas de tout repos.
Il n’est plus question que les zones rurales soient les grandes oubliées du ferroviaire – alors même que 90% des Français résident à moins de dix kilomètres d’une gare.
Mais chez Railcoop, tous en sont persuadés : le jeu en vaut tout à fait la chandelle. Il n’est plus question que les zones rurales soient les grandes oubliées du ferroviaire – alors même que 90% des Français résident à moins de dix kilomètres d’une gare. «30% des gares existantes sont non desservies et le réseau actuel sert en priorité les grandes villes et les axes Paris-province», se désole Olivia Wolanin. Pour renverser la vapeur, Railcoop planche sur une dizaine de lignes potentielles, aux quatre coins de l’Hexagone. Et quid de l’international? «S’étendre en Europe collerait parfaitement avec la philosophie de Railcoop, mais chaque chose en son temps!», sourit Olivia Wolanin.
D’autant que Railcoop ne dispose pas de «modèles» dans d’autres États membres de l’Union européenne, sur lesquels la coopérative pourrait éventuellement se calquer, pour savoir ce qui fonctionne ou pas. Aux Pays-Bas, il y a bien une autre coopérative qui s’est lancée dans le rail : elle se nomme «European Sleeper» et promeut les trains de nuit. Mais à la différence de Railcoop, «European Sleeper» ne détiendra pas de licence ferroviaire et optera pour de la sous-traitance. Ailleurs en Europe, aucun projet de ce genre n’est à signaler. Railcoop, bien décidée à profiter de l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire tricolore, devra donc naviguer à vue.