Pour l’Office national de l’emploi (Onem), 2005 a été une année de transition – contrairement aux précédentes, elle ne se caractérise pas par ungrand nombre de modifications réglementaires ni de nouvelles mesures. Année de mise en place ou de véritable décollage de mesures décidéesprécédemment, donc. C’est notamment le cas pour le Plan d’activation du comportement de recherche d’emploi – rebaptisé « Chasse aux chômeurs » par sesopposants –, la suppression du pointage ou encore le nouveau régime d’allocation de garantie de revenus (AGR) octroyée aux travailleurs à temps partiel. C’est à unretour sur l’activité de l’Office et, de là, à un panorama sur la situation de l’emploi (et du non-emploi) qu’invite le rapport annuel 2005 de l’Onem, rendu public à lafin du mois de mars1. Et ce, avant un redémarrage du processus de modifications réglementaires cette année, dans le sillage du « contrat de solidaritéentre les générations ».
Là où, en revanche, le rapport 2005 reste en ligne avec les rapports précédents, c’est dans les évolutions globales des chiffres d’allocataires. Ceux-ci ontencore augmenté en 2005, pour la quatrième année consécutive, dans un contexte de croissance économique (certes faible : 1,5 % en 2005), de création netted’emplois (40.000 selon la Banque nationale) et de croissance du taux d’emploi. Faible elle aussi – on passe ainsi de 60,4 % en 2004 à 60,9 % en 2005 –, cette croissance estfortement différenciée entre les sexes : seulement 0,1 % pour les hommes, contre 2,7 % du côté des femmes. Sans doute un des premiers effets indirects du succèscommercial des titres-services (T-S): ce sont en effet près de 27.000 travailleurs (et surtout travailleuses) qui sont désormais engagés dans ce cadre, ce qui constitue la partiela plus importante de la création nette d’emplois l’an passé…
C’est donc un peu plus de 1.200.000 personnes qui, en 2005, étaient allocataires à charge de l’Onem – soit 2,9 % de plus que l’année précédente. Mais,comme toujours, ces chiffres globaux agrègent des évolutions diverses en ce qui concerne les trois groupes d’allocataires à charge de l’Onem : les chômeursindemnisés, les travailleurs soutenus et les travailleurs aménageant leur temps de travail.
Chômeurs demandeurs en hausse, chômeurs non demandeurs en baisse!
Pour le premier de ces trois groupes – les chômeurs indemnisés – la hausse est de 0,5 % (742.425 personnes). Une hausse légère qui, encore une fois, masquedes évolutions asymétriques des deux groupes constitutifs de la catégorie : tout d’abord, les demandeurs d’emploi inoccupés qui sont 2,9 % plus nombreux qu’en 2004(500.700 personnes) ; en revanche, le second groupe – les non-demandeurs d’emploi inoccupés (prépensionnés à temps plein, chômeurs de plus de 50 ans etpersonnes dispensées de recherche pour des raisons sociales et familiales) – régresse sensiblement (de 4,3 %). En 2005, ils étaient ainsi 241.655 à ne pas demanderd’emploi, soit environ un tiers des chômeurs indemnisés. La baisse de ce groupe est principalement due à une forte réduction du contingent de chômeurs de plus de 50ans (- 8,2 %), dont on sait qu’ils constituent une des catégorie-cibles de l’action gouvernementale et des recommandations européennes. Pour cette même tranche d’âge, onobserve d’ailleurs une légère baisse des prépensions à temps plein (0,8 %). Il va de soi que ce sont notamment ces chiffres là qu’il faudra garder à l’espritau moment d’évaluer les effets à venir du « contrat de solidarité entre les générations ».
Travailleurs « soutenus » : +4,6 %
Pour le deuxième groupe – les travailleurs soutenus par l’Onem – la hausse est plus marquée (4,6 %). Ce sont 266.668 personnes qui entrent dans cette catégorie,qui se décompose en chômeurs temporaires, travailleurs à temps partiel avec maintien des droits et allocation de garantie de revenus (AGR en forte hausse : 8,7 %), mais aussi enchômeurs dispensés d’inscription comme demandeur d’emploi pour cause de suivi d’une formation professionnelle (+ 7,7 %) ou de reprise d’études (+ 14,9 %). C’est égalementpar ce type de hausse que transparaît la pression mise par le plan d’activation : en effet, la signature par le chômeur d’un contrat d’engagement à suivre des études ou uneformation sert souvent de protection contre les menaces de sanction de la part de l’Onem.
Enfin, dans ce groupe des « travailleurs soutenus », figurent également les différentes mesures d’activation telles que les PTP (Programme de transition professionnelle)en légère baisse, de 0,6 % ; les compléments de reprise de travail, destinés aux chômeurs de plus de 50 ans, qui, s’ils retrouvent du travail, peuventbénéficier de ce complément en sus de leur salaire : la mesure a explosé (+ 67,9 %) mais ne suffit pas à expliquer la forte baisse du chômage des plus de 50ans puisqu’elle ne concernait pas plus de 1.212 travailleurs l’année dernière ; les Activa et Sine qui augmentent fortement eux aussi (+ 25,9 %), sans qu’il soit possible dedéterminer si cette hausse est due à un engagement massif de travailleurs T-S via la mesure Sine ou si la hausse a d’autres origines2. Enfin, les « travailleurssoutenus » comprennent également les travailleurs ALE (Agences locales pour l’emploi) : ils sont en baisse sensible (de 15 %) mais moins drastique que prévue. En effet, laconcurrence avec les T-S était inévitable pour ces structures – même si, rappelons-le, en l’état actuel de la situation, les chèques ALE permettent encored’acheter une série de services que ne peuvent acheter les T-S : petit entretien de jardin, aide à la surveillance de personnes malades, activités au profitd’établissements d’enseignement et d’asbl, etc.)3. Posé par certains acteurs (Federgon Interim notamment), la question de leur survie ne semble pas encore tout à faità l’ordre du jour4. Mais il s’agira de voir ce qu’il en sera lorsque les Régions wallonne et bruxelloise auront rattrapé le retard au démarrage qu’elles ontaccusé vis-à-vis de la Flandre, en matière de T-S.
Aménagement du temps de travail : la hausse la plus nette
Enfin, c’est pour le troisième groupe (temps de travail aménagé avec le soutien de l’Onem, dans le cadre d’une interruption de carrière, d’une prépensionà mi-temps ou d’un crédit-temps) que la hausse de l’effectif est la plus marquée : le nombre total de personnes prises en charge dans ce cadre est en effet désormais de195.721, soit une hausse de 10,4 % par rapport à l’année 2004, hausse marquée qui est surtout due à l’explosion des crédits-temps (+ 27,1 % pour lesréductions partielles de prestation) et des congés parentaux (+ 14,8 %). C’est donc ce secteur, relativement récent, qui constitue l’essentiel des hausses d’allocataires àcharge de l’Onem. Il est d’ailleurs philosophiquement difficile de justifier l’agrégation de ces 195.000 personnes à l’effectif total des allocataires l’Onem tant le soutien qu’ellesreçoivent répond à des besoins différents : il s’agit ici en effet d’aménagement souhaité par le travailleur lui-même et donc pas d’une situation dechômage « traditionnel » avec toutes les difficultés existentielles qu’engendre cette dernière.
Exclusions : un tableau trop partiel
On se souviendra que, l’année dernière, la publication du rapport annuel de l’Onem s’était accompagnée d’une polémique communautaire singulièrementembrouillée. En cause, ce que les Flamands considéraient comme un laxisme dans le chef des francophones en matière de sanction des chômeurs. Rien de tel cette fois-ci… Enrevanche, les nombres d’exclusion dans le cadre du « Plan d’activation des chômeurs » tombent pour la première fois… Mais ils restent trop parcellaires pour en tirer des leçonsgénérales, notamment en ce qui concerne le troisième – et dernier – entretien, celui qui peut déboucher sur une exclusion définitive. AlterÉchos y reviendra plus longuement lorsqu’auront été publiés les chiffres d’exclusion au 31 mars 2006. À ce stade, et en approximation grossière, onretiendra qu’à chaque étape du parcours, ce sont environ un tiers des chômeurs dont les efforts de recherche d’emploi sont jugés insuffisants…
Une productivité à double tranchant…
Quand à la productivité interne de l’Onem lui-même, son administrateur général Karel Baek, se réjouit de son amélioration constante. Ainsi, parcollaborateur à temps plein, l’Office a payé en moyenne 346 allocataires en 2005. Ce chiffre n’était que de 289 en 2001. Une médaille qui a aussi un double revers : d’unepart, elle est le résultat quasi mécanique de la hausse du chômage et – plus largement – du nombre de personnes soutenues par l’Onem. D’autre part, la pressionbureaucratique à « faire du chiffre » est dénoncée par des acteurs, tels ceux de la plate-forme « Stop chasse aux chômeurs », comme un des aspectsles plus nuisibles du Plan d’activation du comportement de recherche d’emploi : « Les contrôleurs [c-à-d les « facilitateurs »] sont eux-mêmescontrôlés sur la base de données prétendument objectives. Par exemple, la moyenne des avis négatifs est de un sur trois. Si un agent est significativement en dessousde cette moyenne, il risque de devoir s’en justifier – s’il est au-dessus, il court moins de risques! Conséquence, la pression redescend, le long de la chaîne et lecontrôleur en vient à dire au demandeur d’emploi qu’il contrôle qu’il a besoin de preuves suffisantes pour prouver sa propre activité. » Et Yves Martens, porte-parolede la plate-forme, de conclure : « C’est peu dire dans ce contexte que les « déclarations sur l’honneur », présentées comme une garantie pour le chômeur qui n’a purassembler suffisamment de preuves écrites, ne pèsent plus guère dans la balance. » Bref, la meilleure chose qu’on puisse souhaiter à l’économie belge età l’Onem lui-même pour 2006, c’est peut-être une baisse de sa productivité…
1. Téléchargez le rapport sur lesite de l’Onem. Un annuaire statistique accompagne ce rapport annuel. Cliquer sur « Annuaire statistique »
2. Or on sait que, lors du dernier contrôle budgétaire fédéral, il a été question – pour tenter de limiter le gouffre financier des T-S –d’empêcher aux entreprises d’employer des travailleurs T-S sous statut Sine.
3. Par ailleurs, les ALE peuvent bien entendu se faire agréer comme entreprise de services et créer en leur sein un département sui generis qui se consacre uniquementà l’activité titres-services. À la fin 2005, elles étaient 230 à avoir franchi le pas (ce qui constitue près du quart de l’ensemble des entreprisesagréées T-S). Mais la création de tels départements ne rend pas moins nécessaire une réflexion quant à ce qui fait encore la spécificitédes ALE, dans les conditions actuelles.
4. Une lecture superficielle des chiffres laisse apparaître une abaisse de 90,9 % des ALE, mais il ne s’agit là que de chiffres concernant le nombre de dispenses d’inscription commedemandeurs d’emplois attribuées aux travailleurs ALE. Nuance…