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Regard critique · Justice sociale

Maitre Corbeau

Rattraper le retard avant la probable casse

Alors que, durant l’été, les palais de justice sont en sommeil pour cause de vacances judiciaires, certaines audiences se sont tenues en juillet et en août pour rattraper celles qui n’ont pu avoir lieu durant le confinement. Ce fut le cas pour la procédure de règlement collectif de dettes (RCD) dont le but est de trouver des arrangements entre des personnes surendettées (les médiés) et leurs créanciers. Compte rendu d’audience du 8 juillet dernier, sous la présidence de Gauthier Mary, juge au tribunal du travail francophone de Bruxelles.

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Avec la crise du Covid et le confinement de mars à mai, un certain nombre de ménages et d’entreprises ont connu des revers financiers. Diminution des revenus à la suite d’une mise en chômage temporaire, arrêt des activités non essentielles qui, dans certains secteurs, s’est poursuivi après le confinement, difficulté d’obtenir les aides promises aux indépendants…: payer ses factures ont pour certains été un casse-tête et le reste encore. Si la procédure judiciaire de règlement collectif de dettes permet de trouver des arrangements en cas de difficultés de paiement, voire, dans certaines circonstances, la remise de certaines dettes par le juge du travail, en charge de cette procédure, très peu de nouveaux dossiers de ce type sont finalement arrivés aux greffes pendant la période du confinement.

Le juge Gauthier Mary s’attend néanmoins à une telle hausse dans les mois à venir, mais, à l’heure du confinement, c’est plutôt à une baisse des requêtes que l’on a assisté: «Les services sociaux, qui, généralement, orientent les personnes vers le RCD, étaient soit fermés, soit en télétravail et peu accessibles. Les cabinets d’avocats tournaient pour certains au ralenti. La machine judiciaire était, elle aussi, paralysée, même si la procédure écrite a été utilisée et le système de dépôts par voie électronique de dossiers via e-Deposit était effectif. La juge coordinatrice de la procédure en RCD avait également autorisé les quelque 50 médiateurs de dettes judiciaires actifs1 à prendre des initiatives dans leurs dossiers. Cela peut aller de la nécessité de dégager un budget pour des frais exceptionnels à la suspension du plan pendant deux ou trois mois.»

«À cause du Covid, la machine judiciaire a été paralysée, même si la procédure écrite a été utilisée et le système de dépôts par voie électronique de dossiers via e-Deposit, effectif. » Gauthier Mary, juge du travail 

Une reprise timide

Avec le déconfinement à la mi-mai, les tribunaux ont repris leurs activités, mais selon un rythme beaucoup plus étalé et avec une limitation du nombre de personnes en salle d’audience pour permettre la distanciation physique et la désinfection des locaux entre chaque affaire. Pour rattraper les affaires reportées pendant les quelques semaines de confinement, il a été prévu des audiences en RCD durant les vacances d’été, ce qui, d’ordinaire, n’est pas de mise dans cette matière.

Le 8 juillet à 14 h, Gauthier Mary, juge au tribunal du travail francophone de Bruxelles, siégeait donc dans la salle d’audience 0.3, avec à l’agenda sept dossiers à traiter. Le premier est traité en chambre du conseil, hors la présence du public: il s’agit d’un dossier pour lequel il est nécessaire de mettre les pendules à l’heure auprès d’un médié récalcitrant pour une poursuite de la procédure. Les autres dossiers portent également sur des demandes de rejet, de révocation ou encore de remise, comme c’est souvent le cas quand les dossiers reviennent devant le juge.

Au cas par cas

Deux affaires sortent du lot et, on va le voir, la présence de la personne surendettée peut changer radicalement la donne. Pourtant, la situation de ce premier médié est assez interpellante: alors que la procédure emporte la nécessité pour le médié d’en référer à son médiateur judiciaire pour toute dépense sortant de l’ordinaire ou encore pour un changement de logement, dans cette affaire, Monsieur a effectué ce type d’opérations sans aucune autorisation. Avec, pour résultat, un budget qui n’est plus à l’équilibre. Le médiateur judiciaire se plaint auprès du juge de la légèreté du médié qui se traduit par l’achat d’une VW Tiguan à 31.000 euros, ce qui ne représente pas vraiment une dépense essentielle, mais qui incombe à la seule épouse de M. qui n’est pas en RCD, et un changement de logement sans autorisation ayant entraîné une hausse de loyer de 28%, après avoir été expulsé de l’ancien appartement et condamné au remboursement de dégâts locatifs.

Le médié reconnaît ses torts, fait amende honorable et promet de respecter ses obligations. Verdict, une semaine plus tard : une dernière chance lui est laissée.

Le médiateur de dettes souligne que Monsieur a du mal à respecter le cadre de la procédure et demande le rejet de celle-ci; le médié, lui, fait profil bas, en parlant de logement trop petit et insalubre, et de la nécessité d’acheter une nouvelle voiture, pour véhiculer la famille qui s’agrandit et compte tenu du déménagement hors de Bruxelles. Ayant fait faillite, il bénéficie d’une remise de dettes à hauteur de 70% des créances dues, qui passeront ainsi à la trappe au terme de la procédure de sept ans. Mais il reconnaît ses torts, fait «amende honorable» et promet de respecter à l’avenir les obligations rappelées par son médiateur de dettes. Verdict, rendu le 16 juillet: une dernière chance est laissée au médié et la procédure se poursuit.

Par défaut

Autre cas, où le médié sera moins chanceux: celui de ce monsieur qui est en procédure depuis mars 2018, mais qui semble assez instable. Après plus d’une année, un plan de paiement est homologué et 165 euros doivent être versés tous les mois pour rembourser les créanciers. Mais alors qu’il vivait chez sa sœur et hébergeait ses enfants une semaine sur deux, le voilà qu’il réemménage avec son ex-compagne. Celle-ci ayant des revenus, ceux-ci doivent être pris en compte pour établir les charges de M. et la quote-part qu’il peut réserver au paiement de ses dettes. Cependant, l’information demandée n’arrive jamais au médiateur de dettes. M. travaille, puis ne travaille plus, paie les 165 euros, puis ne les paie plus et ne prévient pas son médiateur de dettes de ces changements. De guerre lasse, ce dernier demande ici aussi le rejet de la procédure, mais, magnanime, ne va pas jusqu’à la révocation, car ce dernier cas de figure empêche la personne surendettée de réintroduire une nouvelle requête pendant cinq ans.

Certes, les éléments du dossier laissent à penser que la situation est déjà mal emmanchée, mais le fait que le médié ne soit pas présent pour s’expliquer et donc jugé par défaut ne plaidera certainement pas en sa faveur. Résultat, pour ce dossier: cette fois le rejet de la procédure est prononcé et l’argent récolté depuis le début de la procédure servira à payer le médiateur de dettes et à rembourser très partiellement les créanciers. Pour le solde, si la personne surendettée ne réintroduit pas de nouveau RCD, elle sera à nouveau susceptible d’être poursuivie par ces derniers…

  1. Les mandataires de justice, avocats et travailleurs sociaux, chargés de gérer les dossiers de RCD et de trouver des arrangements entre débiteurs et créanciers.
Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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