Depuis octobre 2005, une centaine de sans-papiers se battent pour être régularisés. Ils occupent l’église Saint-Boniface à Ixelles et viennent de durcir lemouvement en entamant une grève de la faim. Même si le ministre de l’Intérieur reste sourd à leurs revendications, leur action structurée par l’Udep, l’Union dedéfense des sans-papiers1, un mouvement national créé et géré par des étrangers en situation irrégulière, aura au moins permisl’émergence de plusieurs propositions de loi.
Changer les règles du jeu. C’est la philosophie essentielle des propositions de loi PS2, Ecolo-Udep3 et du CDH4 en matière de régularisation.L’objectif est moins de régulariser un maximum de personnes que de garantir un fonctionnement transparent de ce qui est aujourd’hui une compétence discrétionnaire du ministre del’Intérieur.
C’est ce 20 février que PS et Ecolo déposaient chacun au Parlement, manifestement sans se concerter et le jour où le CDH organisait un colloque sur le sujet, uneproposition de loi visant à créer une commission permanente de régularisation. Les textes présentés par les trois partis francophones sont très proches. Ilsvisent des étrangers qui ont introduit une demande d’asile ou une demande de regroupement familial depuis plus de trois ans (quatre ans pour le CDH avec trois ans pour les familles avecenfants mineurs scolarisés) ; – des étrangers qui ont développé des attaches sociales durables en Belgique (personnes qui ont séjourné plus de cinq ans enBelgique) ; – des étrangers qui ne peuvent, pour des raisons indépendantes de leur volonté, retourner dans le pays dont ils ont la nationalité ; – des étrangersgravement malades. Le texte Udep-Ecolo y ajoute les sans-papiers ayant un projet socio-économique défini.
Au travers de cette proposition de loi, le groupe PS de la Chambre entend » apporter une réponse humaine et digne à ces personnes ou familles qui n’ont pas à êtreles victimes de la lourdeur et de la longueur d’une procédure étatique, ou aux personnes établies en Belgique depuis de nombreuses années et qu’il faut sortir descircuits clandestins et des abus qu’ils génèrent « . Il s’agit aussi, selon les socialistes, en travaillant de façon régulière et sur base de critèresprécis, de ne pas provoquer » d’effets d’appels » de candidats à l’immigration, comme ça peut être le cas lors d’opérations temporaires et massives derégularisation.
L’Udep, dont nous vous parlions dans l’Alter Echos n° 199, rassemble depuis deux ans des sans-papiers dans toutes les villes du pays. Avec un objectif : la régularisationde tous les sans-papiers. Pour y parvenir, l’association a multiplié les actions et a organisé la grande manifestation nationale qui s’est tenue ce 25 février et arassemblé plus de 10.000 personnes, soutenue par quelque 300 associations. Cette manifestation intervient alors qu’un bras de fer semble s’engager entre le ministère del’Intérieur et une centaine des sans-papiers qui occupent l’église Saint-Boniface depuis le 19 octobre dernier. Une vingtaine d’entre eux avait entamé unegrève de la faim après avoir été informée du rejet d’une quarantaine de demandes d’asile par l’Office des étrangers. Ils ontété rejoints depuis ce samedi 5 mars par une soixantaine d’autres et depuis ce 8 mars par un Belge néerlandophone. Cette façon de revendiquer en se privant denourriture, considérée comme un » chantage » par le ministre de l’Intérieur va sans nul doute crisper la situation.
Comment ça se passe aujourd’hui
Aujourd’hui, la régularisation d’une personne en séjour illégal est possible par l’article 9.3 de la loi du 15 décembre 1980. Elle permet au ministre del’Intérieur – en réalité à son administration, l’Office des étrangers, d’accorder ou non le droit au séjour pour des raisons exceptionnelles.L’administration juge, seule, de la pertinence d’accorder ce droit. La loi de 1999 créant l’opération ponctuelle de régularisation avait défini quatre critères pouraborder les dossiers des sans-papiers : le fait d’être depuis un certain nombre d’années dans la procédure d’asile sans avoir reçu de réponse des autorités,d’être gravement malade, le fait de ne pouvoir rentrer dans son pays pour des raisons indépendantes de sa volonté. Et enfin d’avoir des attaches sociales durables en Belgique(enfants scolarisés, emploi, séjour de longue durée, etc.).
Mais ces critères n’ont fonctionné que pour les sans-papiers ayant introduit leur dossier en 2000. Après, l’article 9.3 a repris du service. À la suite desgrèves de la faim des Afghans et des Iraniens en 2003, il avait été demandé au ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael (VLD), d' »importer » au sein de l’Office desétrangers les critères de la loi de 1999. Le ministre a fait des déclarations publiques en ce sens mais n’a jamais voulu les formaliser par le biais d’une circulaire ou d’unedirective interne. Et de l’avis général, la politique de l’Office est aujourd’hui plus restrictive que jamais. Le fait, par exemple, pour un couple de sans-papiers d’avoir des enfantsnés en Belgique n’est plus un élément favorable pour obtenir la régularisation. Pas plus que le fait d’être marié(e) à un(e) Belge5.
Aujourd’hui, PS, Ecolo et CDH veulent que les critères de la loi de 1999 guident l’examen des dossiers et que ce soit une commission composée de magistrats, d’avocats et dereprésentants d’ONG qui décide en toute indépendance d’accorder ou non le droit au séjour. Cela signifierait la fin du » cas par cas » cher au ministre del’Intérieur mais aussi un nouvel amaigrissement des prérogatives de l’Office des étrangers.
D’autres veulent s’assurer la participation de tous, en ce compris les syndicats
Le Ciré, la FGTB Bruxelles, la FGTB Wallonne, le MOC, la CSC et le Cepag considèrent quant à eux que le gouvernement n’est pas en train de traiter valablement la question(pendante depuis des années) de la régularisation des étrangers en Belgique. » Les réformes en cours en matière de régularisation ne permettent pas derépondre de manière satisfaisante aux situations rencontrées sur le terrain. Les critiques relatives aux dispositions en passe d’être réformées concernaientl’absence de critères de régularisation et la procédure opaque et arbitraire selon laquelle les demandes de régularisation étaient traitées. Or lesréformes en cours vont aggraver la situation actuelle : elles ne précisent pas de critères de régularisation, et n’offrent pas de garanties dans la procédure maisne font qu’ajouter des conditions principalement techniques qui restreignent l’accès à la procédure de demande de régularisation. Ceci risque, plus encore qu’aujourd’hui,d’exclure des personnes dont la demande de régularisation est pourtant légitime. Nous pouvons dire que la situation actuelle des sans-papiers est comparable à celle quiprévalait en 1999. À l’époque, cette situation avait justifié la mise en place d’une campagne de régularisation. Cette campagne one-shot a apporté unesolution pour plusieurs milliers de personnes mais sans rien régler sur le fond. « 6
Pour les organisations signataires, il est nécessaire qu’un mécanisme de régularisation soit mis en place. Celui-ci doit avoir un caractère permanent et s’appuyer surdes critères clairs afin de garantir une sécurité juridique aux demandeurs.
Par ailleurs, les demandes de régularisation devront être examinées par une instance indépendante, dans le cadre d’une procédure respectant les droits de ladéfense. Cette instance devra être composée d’un magistrat, d’un avocat et d’un représentant d’une ONG. Cette composition permet un examen de la situation spécifiquede chaque demandeur.
C’est la raison pour laquelle les organisations signataires ont décidé :
• de se mobiliser avec tous les acteurs concernés (et notamment les syndicats avec lesquels certaines discussions sont encore apparemment nécessaires) pour définir descritères permanents de régularisation qu’ils estiment devoir être coulés dans la loi et qui répondront aux situations présentes et à venir ;
• d’expliquer ces propositions au gouvernement et au Parlement et de les porter sur la place publique par la voie de l’action collective jusqu’au moment où des solutions aurontété dégagées par les responsables politiques.
Reste à régler avec les syndicats la délicate question de la régularisation sur la base du travail – par exemple en se basant sur une liste de professions au seindesquelles il y a pénurie dans notre pays pour régulariser les personnes qui exercent ces professions. Une réunion avec les syndicats, projetée ce 14 mars, devraitnotamment en discuter. À noter que l’Udep qui a également participé aux groupes de travail du Forum Asile Migration pousse plus loin cette proposition en demandant que soientrégularisées aussi les personnes qui décrochent une promesse d’embauche ou suivent une formation. La difficulté réside alors à déterminer ce qu’onentend par promesse d’embauche et formation…
Pas sous cette majorité
Sur le fond, malgré le dépôt de propositions de lois émanant d’élus Ecolo, PS et CDH, de l’associatif et la manif du 25/02, le ministre de l’Intérieur,Patrick Dewael (VLD), reste intransigeant : pas question de procéder à une nouvelle régularisation globale des sans-papiers. Des sans-papiers qui réclament aussil’arrêt immédiat des rafles et des expulsions, ainsi que la suppression des centres fermés.
Mais si cette mobilisation des sans-papiers a relancé le débat politique, au sein de la majorité c’est moins évident. Le MR signale que » la procédure actuellene lui pose pas de problème. Créer une commission permanente serait donner un signal laxiste « . Le MR veut s’en tenir à la réforme de la procédure d’asilemenée par le gouvernement. Au VLD, c’est un » niet » attendu. Le SP.A n’a pas pris position sur l’initiative PS, mais son président Johan Vande Lanotte » n’est pas très chaud,précise sa porte-parole. La régularisation au cas par cas convient au SP.A « .
Alors, un débat sur la régularisation au sein du gouvernement fédéral est-il possible ces prochains mois ? Au vu de ces réactions et de la proximité desélections communales et législatives, c’est très peu probable. Et au Parlement ? Sauf à imaginer une brusque conversion des socialistes et sociaux-chrétiensflamands, la proposition de loi PS n’a aucune chance d’aboutir. Et quand bien même une majorité alternative se dessinerait, on voit mal la majorité se diviser sur cet enjeuélectoral peu porteur. Bref, la modification de la loi, ce n’est pas pour tout de suite. En tous les cas, pas sous ce gouvernement.
Flandre : associations et écoles se mobilisent pour les sans-papiers à Anvers
À l’appel de l’Union pour la défense des sans-papiers (Udep), ce sont pas moins de 10.000 personnes qui ont défilé dans les rues de la capitale, le 25février dernier, à l’occasion d’une manifestation nationale. Objectif ? Demander la régularisation des sans-papiers et soutenir des propositions de loi appelantà une réforme de la politique d’asile belge. Une manifestation qui suivait de dix jours exactement celle qui prit place dans les rues d’Anvers le 15 février 2006. Lespromoteurs de cette « action d’espoir » rassemblaient non moins de 70 organisations et 37 établissements scolaires.
Au nord du pays, c’est à Anvers que les choses bougent le plus. Le 15 février dernier, une manifestation rassemblant 5.000 personnes avait battu le pavé de la villeflamande. A la base de ce rassemblement, un comité portant le nom de HOP (pour Hoop op papieren)1, qui a vu le jour dernièrement, à l’initiative de lacommunauté catholique de Sant’Egidio. HOP, qui se veut comité d’action pluraliste, regroupe les syndicats, une septantaine d’organisations et 37 établissementsscolaires. L’objectif de ce collectif ? Obtenir une « amnistie humaine comme il y a eu une amnistie fiscale ». La régularisation générale n’est cependantpas l’objet de sa demande. Il s’agit « d’obtenir l’octroi de papiers à tous ceux qui vivent sur le sol de notre territoire et se trouvent aujourd’hui dansune situation d’inégalité ou de statut précaire tout en voulant construire un futur ici même. » Concrètement, ça donne quoi ? « HOPréclame la régularisation de toutes les personnes qui sont engagées dans une procédure depuis trois ans mais aussi celle des personnes qui ne sont plus concernéespar une procédure mais qui sont de toute évidence intégrées dans notre tissu social. ‘Intégrées’ signifie pour nous le fait de remplir une ou plusieursconditions telles que la connaissance de la langue (néerlandaise), des enfants qui vont à l’école depuis deux ans, être socialement intégré ou encore prouverla possibilité de trouver un emploi. »
Le droit à l’enseignement
Trente-sept établissements scolaires de tous les réseaux faisaient donc partie des participants. On y comptait nombre d’écoles de l’enseignement catholique. Ilfaut dire qu’elles avaient reçu le soutien de l’évêque d’Anvers, Mgr Paul Van Den Berghe. De son côté, le cardinal Danneels avait aussiappelé à la manifestation. Et puis, le droit à l’enseignement est farouchement défendu par les établissements scolaires accueillant des élèvesdans des situations d’inégalité. Directeur de l’école Maris Stella Sint-Agnes d’Anvers, Paul Geerts déclarait, dans un entretien avec DeStandaard. : « Je n’apprécie pas l’étiquette ‘allochtone’. Ce sont tous nos élèves. Ils ont tous droit à un enseignement. Notremission est simple : apporter une aide. Et cela vaut aussi pour les enfants illégaux. En principe, nous n’avons rien à voir avec la procédure dans laquelle leurs parents setrouvent. D’ailleurs, que signifie l’illégalité ? Nous avons affaire à des jeunes qui sont bien intégrés ici, qui grandissent dans notresociété. » Le directeur précisait encore au quotidien flamand que si les jeunes se sentent ici comme chez eux, c’est peut-être dû à la longueur desprocédures d’asile…
Les syndicats aux côtés des illégaux
Du côté des syndicats, l’ACW (syndicat chrétien) et l’ABVV (pendant flamand de la FGTB) ont fait savoir que les illégaux étaient les bienvenus au seinde leurs organisations. Ainsi, par exemple, c’est devant le tribunal du travail que le syndicat socialiste plaide actuellement la cause d’un travailleur illégal et victimed’un accident de travail sur un chantier anversois. Le secrétaire de l’ABVV, Ivan Grootaers, a expliqué au Standaard que le syndicat analysait les situations dossierpar dossier afin de voir si l’on pouvait parler de raisons humanitaires. « Nous désirons étendre l’offre de l’aide aux illégaux. Au sein de l’ABVV,nous réfléchissons aux moyens de mise en œuvre d’une telle aide. Il y a déjà l’idée d’une réduction du tarif ou même del’absence de cotisation. Ils doivent savoir que nous n’allons jamais les renvoyer. » Précisons enfin que Groen! est le seul parti politique flamand à soutenirl’action de HOP.
1. Udep, bld Maurice Lemonnier 36 à 1000 Bruxelles – GSM : 0498 33 07 48 ou 0486 5475 09 – udepbxl@yahoo.fr
2. Télécharger le texte de la proposition de loi PS
3. Proposition de loi Udep
4. Propositions CDH
5. In Le Soir du 25 février 2006.
6. Communiqué de presse du 21 février 2006.