L’insertion socioprofessionnelle et le public judiciarisé étaient au cœur d’une journée organisée par la concertation des agents d’accueil desmissions locales de la Région bruxelloise ce 4 octobre. Un sujet peu abordé hors des murs de la prison ou des maisons de justice mais dont la problématique devient chaque jour deplus en plus cruciale avec le surpeuplement dans les prisons et la diminution des libérations conditionnelles. Pour en parler, entre autres invités, Bernard Van Wynsberghe, assistantsocial interne à la prison de Forest. Parmi les tâches qui lui sont attribuées : l’élaboration du plan de reclassement du détenu présenté dansl’objectif d’obtenir une libération conditionnelle. En effet, outre les conditions de temps, il incombe dorénavant au «condamné» qui souhaite unelibération conditionnelle de présenter un programme de reclassement qui devra en quelque sorte prouver sa volonté et ses efforts de réinsertion dans lasociété1. Principal écueil à la réalisation de ce plan de reclassement, qui souvent revêt la forme d’une formation ou celle d’une promessed’emploi, le temps nécessaire à obtenir la libération conditionnelle.
«Vous faites les démarches auprès d’un employeur qui consent à embaucher quelqu’un qui sort de prison, ce qui n’est déjà pas courant,observe Bernard van Wynsberghe, mais si vous ne pouvez pas lui dire quand le gars sera libéré… cela peut prendre cinq mois parfois avant de passer devant la commission delibération conditionnelle et pour que celle-ci statue. Vous comprenez tout de suite que dans ces conditions, peu d’employeurs attendent… et votre plan de reclassement est àl’eau… Dans le meilleur des cas, la commission reçoit une promesse d’embauche mais jamais un contrat de travail en bonne et due forme. Quel employeur va établir uncontrat de travail alors qu’il ne sait pas si le détenu va pouvoir sortir et qu’il n’a pas encore fait d’essais ?» Pour les formations, même topo,même si elles sont plus faciles à décrocher qu’un emploi : le détenu éprouve des difficultés d’inscription puisqu’il ne connaît pas sadate de libération.
Autre obstacle à la réinsertion évoqué par Bernard Van Wynsberghe : les questions juridiques qui tournent autour des accidents du travail pour les personnes soussurveillance électronique ou en régime de semi-liberté (c-à-d qui travaillent en journée et rentrent le soir à la prison) : ils sont toujoursconsidérés comme détenus et non comme travailleurs.
Des priorités qui n’en sont pas toujours…
Des situations que Thierry Chantraine, responsable de l’atelier de recherche active d’emploi de l’asbl «Après»2, connaît bien. «L’obligation deramener une promesse d’embauche ou de décrocher une formation pour obtenir une libération conditionnelle est dans certains cas absurde parce que pas nécessairementprioritaire. Arriver simplement à se réinsérer socialement, à se soigner, à trouver un logement est souvent plus urgent lorsqu’on sort de prison…L’emploi ou la formation ainsi obtenus peuvent alors déboucher sur un échec car ce n’était pas là la chose la plus urgente à régler. Nousconsidérons d’ailleurs à l’asbl «Après» que la recherche d’emploi est une démarche inutile à ce stade de la vie du détenu, nousproposons une autre perspective de réinsertion sauf si la personne est sous surveillance électronique.» Ici encore se pose la question du statut : les personnes en congépénitentiaire ou sous surveillance électronique ne bénéficient pas des allocations de chômage ou du minimex, le seul droit qu’ils aient acquis est celui depouvoir s’inscrire à une mutuelle. Ils ne bénéficient par conséquent pas non plus des aides à l’embauche types contrats PTP, ACS, article 60, etc.«Les détenus à la recherche d’un emploi sont donc triplement discriminés, dénonce le conseiller RAE : on leur reproche leur passé, leur origine et onleur refuse l’accès aux aides.»
Le bracelet électronique s’il ne constitue pas la panacée semble toutefois la situation la plus «confortable» pour pouvoir chercher un emploi même si le statutjuridique du détenu qui bénéficie de cette expérience pilote semble encore très confus. Pour les personnes en semi-liberté, il en va par contre toutautrement. «Il est très difficile de décrocher un emploi car les horaires sont peu flexibles, explique Thierry Chantraine. La plupart ne possèdent des qualifications quedans le secteur secondaire, c’est-à-dire principalement le secteur de la construction et quand on vous dit d’être sur un chantier à 7h00 mais que les horaires de laprison vous en empêchent, vous ne trouvez pas d’employeurs. Or, la prison n’accorde éventuellement une flexibilité horaire que si le détenu produit un contrat,c’est le serpent qui se mord la queue. Le détenu est aussi sous ce régime victime de lenteurs administratives parce que s’il travaille à l’extérieur etqu’il rentre à 19h00, il ne sait plus voir son assistant social et donc faire avancer son dossier.»
Le type de public
Pour déterminer les perspectives de réinsertion du détenu, l’asbl «Après» évalue son « mployabilité» et se repose, pour cefaire, sur plusieurs critères : si le travailleur est âgé (+ de 45 ans), ce qui est souvent le cas, il lui sera proposé la plupart du temps une réinsertionalternative, c’est-à-dire l’investissement dans un hobby, pour les personnes plus jeunes, elles seront orientées vers une formation. Pour les personnes qui n’ontaucune stabilité sociale ou économique, la priorité sera d’abord mise sur cet aspect (logement, revenu minimum, santé) avant d’entamer toute recherched’emploi. «Nous avons un public d’usagers qui souffrent souvent de nombreuses pathologies et qui est très instable, plus de 50% des personnes qui fréquententl’asbl ne se rendent pas aux rendez-vous fixés. Il leur est difficile de mener un projet à long terme parce qu’elles n’arrivent plus à se projeter dansl’avenir. Elles ont une très faible estime d’elles-mêmes et souvent tendance à rejeter leurs propres incapacités ou une situation négative surl’extérieur, la société « pourrie », ce qui leur évite une remise en question. Nous essayons alors de faire avec eux un travail d’autocritique sans toutefois lesmettre par terre, ce n’est pas le but. On constate aussi une diminution de la capacité de prise de décision. Pendant tout le temps de leur emprisonnement, ils n’avaient rienà décider. Ils éprouvent aussi de grandes difficultés d’abstraction, nous en tenons compte dan
s l’atelier de recherche d’emploi, nous passons le plusvite possible au concret, ce qui diminue le décrochage par rapport à la recherche d’emploi. La majorité de notre public cherche dans le secteur secondaire, poursuit ThierryChantraine, or, ils ont souvent d’énormes problèmes de santé : des pathologies rencontrées en prison mais aussi différentes formes d’assuétudes,ce qui est peu compatible avec des métiers qui exigent une bonne forme physique ou de travailler à l’extérieur. Enfin, le public qui fréquente l’atelier de RAEest très peu qualifié, 50% d’entre eux ont à peine obtenu le certificat d’enseignement primaire, ils cumulent alors leur peu de qualification avec le fait qu’ils’agit d’un public majoritairement issu de l’immigration et qui donc subit également des discriminations à l’embauche, sans parler de l’obligation deproduire un certificat de bonnes vies et mœurs où les condamnations subies sont inscrites, c’est extrêmement stigmatisant même si on peut reconnaître dans certainscas la nécessité de prévenir l’employeur mais cela diminue les chances d’obtenir un emploi. Des sociétés telles la STIB ou Carrefour, qui pourraienttrès bien employer d’ex-détenus, refusent d’embaucher des personnes dont le casier judiciaire n’est pas vierge.»
On comprendra que parler de réinsertion professionnelle dans un tel contexte relève souvent du miracle et d’aucuns parmi les travailleurs sociaux s’estiment contentslorsqu’ils peuvent parler simplement de réinsertion sociale. Un contexte qui n’est pas étranger non plus à l’augmentation du nombre demultirécidivistes…
1 Article 2, point 2, de la loi du 5 mars 1998.
2 Après, rue de l’Enseignement, 51 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 219 57 90.
catherinem
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