Depuis le 10 janvier 2019, les associations qui défendent les droits fondamentaux peuvent introduire des recours au nom de groupes de personnes. Un progrès majeur, mais peu connu.
Au rayon des bonnes nouvelles, celle-ci est passée inaperçue. Pourtant, la modification de l’article 17 du code judiciaire, en vigueur depuis le 10 janvier dernier, mérite qu’on s’y attarde un peu.
Depuis cette date, les «personnes morales», donc les associations, peuvent saisir la justice pour introduire des actions d’intérêt collectif. «Pour nous, c’est une bonne nouvelle, explique Thibault Morel, collaborateur au Service de lutte contre la pauvreté. Désormais, des associations qui ont pour objet social la défense des droits fondamentaux, par exemple qui défendent des personnes en situation de pauvreté, peuvent saisir la justice au nom d’un groupe de personnes.»
Avant le 10 janvier 2019, les associations comme la Ligue des droits de l’homme ou le Service droit des jeunes pouvaient saisir la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État pour contester une loi ou un arrêté d’application. Et encore, à chaque fois, il fallait montrer patte blanche et prouver un intérêt à agir. En parallèle, lorsqu’un individu estime que ses droits sont bafoués, il peut saisir un tribunal et demander de l’aide à une association pour introduire une plainte.
Mais il était impossible pour une association d’intenter une action au nom d’un groupe de personnes subissant la même violation de droits fondamentaux, sauf dans des cas circonscrits par la loi. Ces cas étaient essentiellement constitués d’affaires relatives au racisme et aux discriminations. Dans ce cadre, la loi autorisait Unia ou le Mrax à se tourner vers la justice au nom d’un groupe d’individus victimes. Aujourd’hui, La Ligue des droits de l’homme, par exemple, peut saisir les tribunaux ordinaires en faveur de prisonniers dont les droits élémentaires seraient violés pendant une grève des gardiens.
Une longue bataille
Cette modification législative trouve ses origines en 2013. Cette année-là (comme les autres années), des mineurs étrangers non accompagnés se retrouvent à la rue. Le Service droit des jeunes les accompagne individuellement pour obtenir leur hébergement décent. «Et à chaque fois, nous obtenions gain de cause, mais à chaque fois d’autres Mena se retrouvaient à la rue», se souvient Benoît Van Keirsbilck, qui dirigeait à l’époque le SDJ avant d’occuper la direction de Défense des enfants international Belgique (DEI).
L’association attaque l’État en référé. Le tribunal est désarçonné et pose des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle. Une association peut-elle intervenir en faveur d’un groupe de personnes qui sont dans l’incapacité de défendre leurs droits? «Oui», répond la Cour, ouvrant ainsi la voie au changement. Il faut alors que cet arrêt trouve un écho législatif. Mais celui-ci tarde à venir. «Nous faisions face à une réticence absolue», explique Benoît Van Keirsbilck. Alors, DEI prend le taureau par les cornes et cite l’État belge devant le tribunal de première instance. L’ONG demande le paiement d’astreintes.
Koen Geens propose alors de changer la loi. Et c’est ainsi que les associations, tant qu’elles défendent les droits humains et libertés fondamentales, peuvent introduire des recours d’intérêt collectif, tant que ceux-ci cadrent avec leur objet social. «La loi telle qu’elle a été adoptée nous satisfait totalement», conclut Benoît Van Keirsbilck.