Deux experts ont suivi de très près les Chantiers du logement public, organisés en 2010 par le ministre Nollet (Ecolo) : Luc Laurent, directeur honoraire du Fonds du logementwallon (FLW), et Alain Malherbe, chercheur au Centre d’études en aménagement du territoire (Creat – UCL), auteurs d’un rapport dont le Cabinet Nollet s’estinspiré pour son projet de réforme du Code du logement et de l’habitat durable1. Le point de vue de ces deux experts sur les premières contractions d’unaccouchement annoncé.
Pour Luc Laurent et Alain Malherbe, il faut d’emblée mettre l’accent sur l’état actuel du dossier du logement public wallon et celui de la réforme àvenir. « Pour l’heure, souligne Luc Laurent, nous disposons d’un certain nombre d’éléments et finalement de… pas grand-chose : la note dugouvernement wallon a été adoptée en décembre 2010. On attend aujourd’hui le dépôt du projet de décret qui va modifier l’actuel Code dulogement. Le processus législatif est enclenché, ainsi que l’ajustement d’un certain nombre d’arrêtés. Mais la concrétisation effective de cetteréforme est à venir. »
Cela étant, la note d’orientation laisse augurer une réforme ambitieuse. Alain Malherbe : « Il ne s’agit pas d’un simple toilettage du texte, maisbien de modifications qui vont laisser des traces quant aux orientations politiques futures du logement public. » Fausse modestie ou réel embarras quant à l’influencede leur rapport sur les travaux actuellement en cours, les deux experts semblent en tout cas assez satisfaits du résultat et n’hésitent pas à commenter favorablement laréforme, dont bon nombre de points sont directement issus de débats qui se sont déroulés lors des Chantiers du logement public. Ce qui, selon ces observateursavisés, donne une réelle légitimité au projet de réforme.
Une intervention structurelle forte
Selon les deux experts, la note d’orientation constitue un geste fort afin de recréer une émulation autour du logement public : ce secteur doit redevenir un point central de lapolitique régionale. Pour ce faire, il fallait s’attaquer aux volets social et financier, mais aussi aux projets immobiliers et à la pédagogie de l’habiter, ainsiqu’à l’image du logement public. Ces différentes approches se retrouvent bien dans la note.
« Les défis démographiques sont bien présents en Région wallonne et les besoins en logement extrêmement importants, notamment en raison de lafragmentation des ménages, déclare Alain Malherbe. Le modèle acquisitif montre ses limites en raison des coûts croissants du foncier et de l’emprunt. Dès lorsle logement public va être, à mon sens, fortement sollicité dans les années à venir et il s’agit de mobiliser des moyens humains et financiers pour faire faceà ces enjeux. Le fait de reconnaître la nécessité de refinancer les SLSP les plus en difficulté sur le plan de leurs finances et de consentir un effort de laRégion wallonne en ce sens n’avait par exemple jamais eu lieu auparavant. Or cette lucidité démontre la volonté de se démarquer du passé et de mettrele secteur hors de l’eau. La précédente réforme avait révélé une fracture ouverte, aujourd’hui on peut espérer un processus decicatrisation : il s’agit de donner la possibilité au secteur de se remettre en ordre de marche. »
Accroître la réponse en logements
Faire face aux besoins sociaux en matière de logement, c’est clairement le core business du logement public, mais encore faut-il réfléchir à la manièred’y parvenir. Pour Luc Laurent, « la question des moyens alloués au secteur est cruciale : le fait de prévoir un financement mixte d’aide à la briqueet d’aide à la personne devrait permettre de combler le différentiel de coût entre le loyer payé par la personne et le coût réel dulogement ». L’ancien directeur du FLW estime que le volet budgétaire est néanmoins délicat : avec les obligations liées à la certification PEB(performance énergétique des bâtiments) et le plan Pivert, des moyens considérables sont d’ores et déjà mobilisés. « Or il estprévu de créer 1 200 logements par an avec 65 millions d’euros, ce qui fait 54 000 euros par logement. C’est un peu juste. D’autant qu’il est parexemple préconisé de construire 20 % de logements 4 chambres, dont le coût de construction est forcément plus élevé. Certes il y a des moyenssupplémentaires liés à l’emprunt, mais cela a un coût. Peut-être les autorités régionales devraient-elles songer à utiliser les fonds misà la disposition dans le cadre du Feder, par exemple, comme certains pays, ainsi que la Région flamande l’ont déjà fait. »
Pour les deux experts, la nécessité de raccourcir les procédures administratives pour amener plus vite des programmes sur le marché locatif et acquisitif etd’augmenter la capacité des SLSP à produire du logement durable est clairement énoncée. Il faut donc mettre l’accent sur la professionnalisation du secteur.« Si la question de la taille critique de certaines SLSP n’est pas abordée dans ce projet de réforme, il est néanmoins question de mutualisation des moyens entreSLSP, de l’organisation d’une centrale de marchés par la SWL. Cela va dans le bon sens, à condition qu’il y ait une volonté des SLSP decollaborer. »
Le social et l’image du secteur en évolution
Autre motif de satisfaction, mais qui demande à être consolidé par l’adoption de textes et leur mise en pratique : la réforme des conditionsd’attribution des logements, avec un maintien de l’objectivation des attributions, mais aussi une ouverture aux besoins réels, moins de rigidité, un quota dedérogations qui remplacera les points de priorité communale. Selon Luc Laurent, « la réforme a également identifié certains enjeux comme celui defaciliter la mixité sociale : l’adaptation des quotas afin d’intégrer les revenus moyens dans la proportionnelle va clairement dans ce sens. Concernant la territorialisationde plusieurs communes en bassin de vie permettant de modaliser le seuil de 10 % de logements publics par commune, « c’est une bonne mesure, dit Alain Malherbe, mais à lacondition de ne pas utiliser ce système pour se débarrasser de ses obligations sur le dos de communes voisines ».
Quant à l’accompagnement social, tant Alain Malherbe que Luc Laurent mettent l’accent sur le fait très positif que le rôle social des SLSP soi
t affirmé parle projet de réforme, alors même qu’il ressortait des Chantiers du logement public que certaines n’étaient pas très chaudes pour se lancer dans cette dynamiqued’accompagnement. Comme le soulève Alain Malherbe, « la notion de référent social capable de créer des synergies avec les personnes actives sur lequartier, les CCLP… se démarque de ce qui se fait par exemple à Bruxelles, avec le SASLS (service d’accompagnement social des locataires sociaux). Ici l’accent estmis sur une démarche participative ». Mais, remarque Luc Laurent, « il faut pour cela que les différentes parties prenantes soient disposées à jouerle jeu : il est clair que la participation fonctionne mieux quand il y a une mobilisation spontanée. Mais il faut faire le pari que tant les SLSP que les locataires y verront leurintérêt, à savoir recréer du lien social ».
Enfin, pour améliorer l’image du logement public, les experts préconisaient une meilleure conception des quartiers de vie, une plus grande mixité, mais aussi unevalorisation des bonnes pratiques et une meilleure communication entre les acteurs. Le projet de Code rejoint une fois encore leur point de vue. Ils appellent aussi de leurs vœux une meilleurecompréhension des enjeux au travers de la recherche pour permettre au secteur de continuer à se projeter dans le futur.
1. Rapport téléchargeable sur le site du Cabinet du ministre Nollet : http://nollet.wallonie.be/sites/default/files/nodes/story/2665-annexesynthesechantiers.pdf