Pierre-Yves Jeholet (MR), le nouveau ministre wallon de l’Emploi, a décidé de suspendre la réforme du dispositif APE (aides à la promotion de l’emploi) concocté par sa prédécesseure, Éliane Tillieux. Avant d’entreprendre quoi que ce soit, le ministre entend disposer d’un cadastre des points APE.
Il l’avait demandé à de nombreuses reprises alors qu’il était dans l’opposition. Maintenant qu’il est au gouvernement, sa position n’a pas bougé d’un iota. Pour Pierre-Yves Jeholet, le nouveau ministre de l’Emploi en Région wallonne, il faut établir un cadastre des points APE. Vu qu’il n’y en a pas pour l’instant, le ministre a donc décidé de suspendre la réforme du dispositif APE imaginée par sa prédécesseure, Éliane Tillieux (PS).
La réforme APE
À l’heure actuelle, le système APE comporte deux sources d’aides censées couvrir tout ou partie de la rémunération du travailleur: des points, correspondant à de l’argent. Et des réductions de cotisation sociale. Jusqu’à la sixième réforme de l’État, les points dépendaient de la Région alors que les réductions de cotisation sociale dépendaient du fédéral. Aujourd’hui, les deux sources sont sous le contrôle de la Région wallonne.
La ministre Tillieux entendait réformer le système. Son projet comportait plusieurs aspects. Il proposait tout d’abord une simplification du système. Il prévoyait également la «fusion» des deux anciennes sources d’aide prévue pour l’APE (voir encadré) en une seule, soit ce qu’on a appelé une «forfaitarisation». Enfin, il s’agissait aussi de créer des APE limités dans le temps – trois ans – permettant l’insertion de demandeurs d’emploi inoccupés. Un bouleversement quand l’on sait que le système APE est devenu avec le temps un outil de soutien structurel aux secteurs bénéficiaires… Et plus un mécanisme de remise à l’emploi.
Le dispositif mis sur pied par l’ex-ministre socialiste avait déjà du plomb dans l’aile: il n’était passé qu’en première lecture en juillet avant de devenir l’une des victimes des règlements de compte CDH/PS juste avant la chute du précédent gouvernement. Il n’empêche, cette «suspension» – le dispositif Tillieux semble en fait bel et bien enterré – risque d’entraîner quelques incertitudes du côté du non-marchand et des pouvoirs locaux, les deux principaux secteurs bénéficiaires de ce dispositif d’aide à l’emploi.
Le monstre du loch Ness
Le cadastre des points APE est un vieux monstre du loch Ness. Voilà des années que certains membres de l’opposition le demandent. Sans jamais vraiment obtenir satisfaction. En avril 2016, Éliane Tillieux avait pourtant transmis un document aux parlementaires. Celui-ci listait les structures bénéficiant de points. Mais au lieu de calmer les élus, ce document les avait mis en rage. «Entre recevoir ça et rien, c’était la même chose, se souvient Hélène Ryckmans, députée Écolo. Le document était en version papier. Les associations ou les communes bénéficiaires de points étaient listées sans classement logique, complètement mélangées. C’était inutilisable, on nous donnait l’info sans nous la donner.»
«Il s’agit de voir qui a quoi, pour quoi faire et selon quels critères.», Le cabinet Jeholet
À cette époque, cet épisode vient encore un peu plus renforcer la suspicion autour d’un dispositif pesant tout de même 1,1 milliard d’euros. Voilà en effet longtemps que des rumeurs circulent: les différents ministres s’étant succédé à l’emploi auraient «arrosé» de points APE les asbl ou les communes qui leur étaient proches politiquement. Tout en négligeant parfois celles proches de leurs «adversaires». Inutile donc de dire que dans ce contexte un cadastre lisible aurait permis de clarifier les choses…
Malgré cela, la réforme d’Éliane Tillieux a continué d’avancer jusqu’à l’été. Avant de se voir gelée par Pierre-Yves Jeholet. But de l’opération: «Y voir le plus clair possible avant toute réforme», d’après le cabinet du ministre. Pour celui-ci, des asbl ayant le même objet social bénéficient parfois de nombre de points APE très différents. Autre sujet d’interrogation: des pouvoirs locaux auraient reçu des points APE spécifiques pour un projet limité dans le temps mais les auraient conservés une fois le projet terminé.
Une fois la clarté faite, se dirige-t-on vers une réforme des critères d’octroi des points? Y a-t-il dans le chef du ministre une volonté de «rééquilibrage» en faveur de structures jusqu’ici moins pourvues en points APE? Enfin, Pierre-Yves Jeholet espère-t-il débusquer des APE perçus indûment et ainsi récupérer des moyens? C’est fort probable. Au cabinet du ministre on se refuse pourtant à beaucoup plus de commentaires. «Le ministre travaille sur la réforme qui devrait entrer en application au 1er janvier 2019», nous explique-t-on.
On sait néanmoins que le Forem et la DG06 ont été chargés de réaliser le cadastre. À l’heure actuelle, le Forem semble être capable de fournir le nom des structures soutenues et le nombre de points dont elles bénéficient. D’après le service régional de l’emploi, ce qu’il propose ne semble néanmoins pas suffisant. «On nous demande d’aller plus loin et de rendre les données plus lisibles», explique le Forem, sans vouloir s’étendre. Il semble donc que Pierre-Yves Jeholet veuille plus de finesse dans ce qui lui est communiqué. «Il s’agit de voir qui a quoi, pour quoi faire et selon quels critères», explique son cabinet. Le Forem est-il capable de fournir ce type de données? C’est à voir. À demi-mot, beaucoup de personnes proches du dossier soulignent un fait: s’il n’a jamais été demandé au Forem d’aller si loin dans sa collecte d’informations par le passé, il sera difficile de le faire rétroactivement pour des dossiers de subsides ayant parfois 15 ou 20 ans d’âge…
On garde quoi?
Reste une question: Pierre-Yves Jeholet entend-il conserver certains des aspects de la réforme concoctée par Éliane Tillieux (voir encadré)? Pour ce qui est des APE limités dans le temps, rien ne permet à l’heure actuelle de se prononcer. Pour la simplification, par contre, Pierre-Yves Jeholet a déclaré le 26 septembre en commission Emploi qu’il partageait «le souci de la précédente réforme […] de dire qu’il faut une simplification». Enfin, pour ce qui est de la forfaitarisation, «le ministre n’y semble pas opposé», affirme Pierre Malaise, directeur de la Confédération des employeurs du secteur sportif et socioculturel (Cessoc). Pierre Malaise a rencontré le ministre fin août. Ils ont notamment parlé des APE et de certaines inquiétudes du secteur non-marchand. «Nous avons des retours inquiets de la part de nos membres. Certains ont introduit des demandes de renouvellement de soutien APE. Or ils attendent toujours. Les réponses ont pris du retard», affirme Pierre Malaise, tout en indiquant qu’on lui signale aussi une intensification des contrôles.
«Je veux être très clair et très cash: dans la réforme, il y aura des contents et des mécontents.», Pierre Jeholet, ministre de l’Emploi en Région wallonne
À ce propos, on espère également du côté de l’Union des entreprises à profit social (Unispo) que l’action de Pierre-Yves Jeholet «ne sera pas guidée par la méfiance vis-à-vis du dispositif APE. Renforcer les contrôles, pourquoi pas, mais ce n’est pas cela qui doit constituer l’esprit de la réforme».
Face à ces inquiétudes, le cabinet du ministre précise que les secteurs «ne doivent pas s’inquiéter. Il ne s’agit pas de supprimer les points APE». Pour le non-marchand, rien ne changera jusqu’au 31 décembre 2018. Pour les pouvoirs locaux, ce sera jusqu’au 31 décembre 2019 pour les APE «traditionnels». Pour les APE spécifiques, on se limitera au 31 décembre 2018. Notons que les partenaires sociaux seront concertés. Une remarque à ce propos: d’après Christian Masai, secrétaire fédéral du Setca, le syndicat n’aurait pas encore été contacté par le cabinet. «Il y a une peur de chasse aux sorcières par rapport à ce qui aurait été donné à une structure plutôt qu’à une autre, note-t-il. Or, malgré ce qu’on peut penser de la manière dont ces points ont été accordés, ce sont maintenant des soutiens indispensables pour les structures.»
Pour y voir plus clair, il faudra cependant attendre. Pierre Jeholet, lui, a tout de même donné quelques indices le 26 septembre. «Je veux être très clair et très cash: dans la réforme, il y aura des contents et des mécontents», a-t-il affirmé.
En savoir plus
«APE: les points de non-retour», Alter Échos n°443 du 25 avril 2017.
«Aides à l’emploi : en toute simplicité», Alter Échos n°428 du 20 septembre 2016.