Tout le monde en convient, le grand défi de la régionalisation sera d’amener plus de cohérence dans la politique de l’aide aux personnes handicapées. Reste à savoir si les moyens mis en œuvre permettront de mener à bien cette simplification, tout en répondant aux besoins croissants du secteur.
Deux grands volets de l’aide aux personnes handicapées sont transférés du Fédéral vers les entités fédérées dans le cadre de la sixième réforme de l’État : l’aide aux personnes âgées (APA) et les aides à la mobilité, soit un budget de 159 millions d’euros. Ajoutons à cela le transfert de centres de réadaptation fonctionnelle et de centres de référence, ainsi qu’une partie de la santé, comme la santé mentale par exemple, des domaines qui peuvent aussi toucher le public des personnes handicapées.
L’un des grands défis du transfert de compétences sera de réussir à rendre plus cohérente la politique de l’aide aux personnes handicapées, mais aussi plus largement son articulation avec l’ensemble de la politique sociale et de santé.
En Région wallonne, c’est un organisme d’intérêt public (OIP) unique qui gérera les matières santé, personnes âgées et personnes handicapées. Il sera certes constitué de deux comités de gestion, le premier pour la santé et les personnes âgées, et le second pour le handicap. Mais certains dossiers seront préparés de manière concertée, des comités de gestion conjoints traiteront de matières au croisement des différentes politiques, comme les soins à domicile. «Une des clés de succès sera de réussir l’intégration de plusieurs administrations en un seul organisme, commente Alice Baudine, administratrice générale de l’Awiph. L’objectif sera de faire des économies d’échelle pour mieux répondre aux besoins.» Cette intégration devrait favoriser la poursuite de la simplification administrative déjà entamée dans le but de faciliter la vie des personnes handicapées et de leur famille (par le biais, par exemple, du guichet unique qui concentre toutes les aides à la mobilité). « Le fait de rassembler toutes les administrations devrait permettre une meilleure utilisation des données existantes et diminuer leur charge administrative, mais surtout celle des personnes. Il faut faire en sorte qu’elles ne soient plus submergées par des documents à remplir. »
Bruxelles : une politique sociale unique est-elle possible ?
L’intention est bien belle. Mais cela n’empêche pas les acteurs de terrain de s’inquiéter. Notamment à Bruxelles. Thérèse Kempeneers-Foulon, secrétaire générale de l’Association francophone d’aide aux handicapés mentaux (Afrahm), et par ailleurs présidente de la section personne handicapée du Conseil consultatif bruxellois de l’aide sociale et de la santé, est préoccupée : « Certains disent que la régionalisation est une opportunité pour construire quelque chose de neuf à Bruxelles. Cela peut l’être si on définit pour Bruxelles une politique sociale. Or, l’impression qu’on a, c’est que cette réflexion n’est pas vraiment présente. »
Pourtant ce n’est pas l’envie qui manque. « Le décret Inclusion vise à organiser à Bruxelles une aide et un soutien de manière à faire appel aux services généraux de l’ambulatoire, puis aux services spécifiques. Je pense qu’il faut un rapprochement structurel entre ces secteurs, car les services ambulatoires se connaissent entre eux mais ne connaissaient pas le secteur du handicap. »
La difficulté à Bruxelles est évidemment institutionnelle. « D’une manière utopique, la seule porte d’entrée pour y répondre (NDLR, à cet objectif de cohérence), c’est la Cocom », commente Véronique Gailly, directrice de Phare (Personne handicapée, autonomie recherchée), un service de la Cocof. Mais dans la pratique, une politique globale « Social » sous l’égide de la Cocom impliquerait l’organisation de services avec au minimum un accueil bilingue, ainsi que l’organisation d’un cadre réglementaire clair pour tout le monde, notamment en termes de normes d’agrément.
Autre ritournelle qui ne cesse de tinter à nos oreilles : la nécessité d’assurer une coordination entre les Régions et entre celles-ci et le Fédéral. Une coordination qui s’effectuera par le biais d’un comité interministériel, d’un comité de concertation et de protocoles de collaboration. L’un des enjeux est de garantir la libre circulation des patients sur le territoire et d’éviter les « sous-nationalités » à Bruxelles, à savoir un traitement différent entre francophones et Flamands. La coopération entre francophones, scellée par les accords de Sainte-Émilie, a avancé d’un pas : les deux textes qui devaient faire suite à ces accords qui touchent, respectivement, au transfert des compétences de la Communauté française vers la Région wallonne et la Cocof, et à l’accord de coopération-cadre entre la Communauté française, la Région wallonne et la Cocof relatif à la concertation intrafrancophone en matière de santé et d’aide aux personnes, ont été votés le 14 mars au parlement francophone bruxellois et le 11 avril au parlement wallon.
Quel que soit le mode de gestion qui sera adopté, les défis auxquels il faudra faire face seront nombreux. Au rang de ceux-ci : le boom démographique à Bruxelles et le vieillissement de la population. L’allongement de l’espérance de vie, notamment, va rendre de plus en plus prégnante la question des personnes de plus de 65 ans qui deviennent handicapées. D’une manière plus globale, « le nombre de personnes handicapées n’est pas près de diminuer, fait savoir Thérèse Kempeneers. Les réponses à mettre en place devront être diversifiées et en nombre suffisant ».
Pour cela, les transferts de compétences devront « garantir des prestations de niveaux de qualité et d’accessibilité élevés. Ils ne doivent pas rétrograder le niveau des prestations », souligne le Conseil consultatif bruxellois, reflétant les appréhensions des secteurs quant aux moyens financiers qui leur seront attribués dans le cadre de la réforme de l’État. L’accessibilité, une question d’autant plus importante que « les personnes avec un handicap qui bénéficient d’allocations n’ont pas forcément les moyens financiers suffisants pour vivre à Bruxelles », précise Thérèse Kempeneers.
Quelle participation des personnes handicapées à la politique?
Les personnes handicapées et leurs représentants auront-ils leur mot à dire dans la définition de toutes ces priorités? En Wallonie, des associations d’usagers seront intégrées à titre consultatif dans l’OIP, à côté des syndicats et des fédérations sectorielles, comme c’était déjà le cas au sein de l’Awiph. Mais rien ne filtre des discussions souterraines qui ont lieu à Bruxelles. Des discussions, probablement ardues, entre les francophones, arrivés à la table des négociations avec sous le bras les fameux accords de la Sainte-Émilie, et les néerlandophones. « Notre demande, c’est être présents dans l’OIP, à titre décisionnel et pas seulement consultatif, revendique Thérèse Kempeneers. C’est un gros enjeu pour nous : la reconnaissance de l’émancipation du secteur du handicap, le droit d’en être gestionnaire au même titre que les mutualités, etc. » Un souhait qui s’appuie sur la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées de 2007, signée en Belgique en 2009. Dans son article 4§3, cette convention postule que les États doivent définir leur politique en consultant et en faisant participer les organisations représentant les personnes handicapées.
Aller plus loin
Alter Échos n° 380 du 30.04.2014 : Handicap de grande dépendance : la Belgique répond-elle à sa condamnation ?
Alter Échos n° 377 du 10.03.2014 : Régionalisation, bonne pour la santé ?