Les politiques de l’Union européenne ont un impact croissant sur le droit des étrangers au sein des États membres. Parmi les modifications récentes : la politiquede regroupement familial. On serre la vis de toute part, en Belgique, comme en France.
Préambule
Le regroupement familial est la possibilité offerte de se faire rejoindre, en Belgique, par les membres de sa famille se trouvant à l’étranger. Ce droit concerne tantles Belges et les citoyens de l’Union européenne que les ressortissants d’États extérieurs à l’UE, selon des modalités différentes.Régi par la loi du 15/12/1980 (articles 10 et 40) sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, le regroupementfamilial a été modifié par la transposition en droit belge de la directive 2003/86 du Conseil de l’Union européenne du 22/09/03 concernant le droit au regroupementfamilial. La loi sur le regroupement familial qui concerne les ressortissants de pays tiers (hors UE) date du 15/09/06 et est entrée en vigueur ce 1er juin, tandis que celle quiconcerne les ressortissants européens date du 25/04/07 et entrera en vigueur au plus tard le 1er juin 2008.
Ce qui a été modifié
La nouvelle loi sur le regroupement familial des ressortissants hors UE introduit des exigences accrues en matière d’âge et de conditions matérielles pour faire venir leconjoint. Parmi celles-ci :
– La condition d’âge des époux est modifiée : désormais les époux doivent avoir 21 ans et non plus 18 pour bénéficier du droit au regroupementfamilial (le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael justifie cela par le souci de lutter contre les mariages forcés), sauf si le mariage est préexistant àl’arrivée en Belgique de l’époux qui est rejoint (et qui donc est celui qui ouvre le droit de séjour).
– Un stage d’attente de 3 ans est imposé durant lequel des contrôles (sans précision sur la nature de ces contrôles) pourront avoir lieu pour vérifier si lesconditions du regroupement familial sont toujours présentes – alors qu’auparavant, après 1 an les membres de la famille obtenaient un droit de séjour illimités’ils venaient rejoindre un membre de la famille qui a lui-même un séjour illimité ou est établi en Belgique. En outre, une condition de logement suffisant pourhéberger la famille est imposée dans le chef de l’étranger regroupé. Ce logement “suffisant”, doit en fait être conforme, selonThérèse Legros, du service juridique de l’Association pour le droit des étrangers (ADDE)1, aux exigences régionales en matière desécurité, de salubrité et de santé publique. “C’est l’administration communale qui délivre l’attestation. Or, objecte-t-elle, on constatedes différences de traitement entre les communes au niveau du respect des normes de logement et de la délivrance de l’attestation. La demande peut attendre jusqu’à 15mois et il y a un délai de 6 mois pour l’attestation, ce qui nous mène à maximum 21 mois d’attente et entraîne également de gros coûts pour lerequérant qui doit bien souvent aussi supporter les coûts d’aménagement de son logement2”.
– Tout membre de famille regroupant (conjoint, partenaire, enfants mineurs, parents du réfugié reconnu mineur, enfant handicapé) devra apporter la preuve quel’étranger rejoint dispose d’un logement suffisant pour le recevoir, ainsi que d’une assurance maladie pour lui-même et pour le(s) membre(s) de famille qui le rejoint(ou rejoignent). Il s’agit de conditions tout à fait nouvelles.
Une exception : lorsque l’étranger rejoint est un réfugié reconnu et que le lien de parenté ou d’alliance est antérieur à son entrée enBelgique et si la demande de séjour pour regroupement familial est introduite dans l’année de sa reconnaissance de la qualité de réfugié.
– Lorsque le regroupement familial serait possible dans un autre pays, le ministre peut exiger pour tout membre de famille regroupant, par décision motivée, la preuve quel’étranger rejoint dispose de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants.
– Ce qui semble ici à première vue être une exception pourrait, en réalité, devenir la règle, selon le Siréas, Service international de recherche,d’éducation et d’action sociale3, si l’Office des étrangers (OE) décidait de l’appliquer à la lettre : “en effet, àl’exception du réfugié reconnu pour lequel le regroupement familial ne pourrait avoir lieu dans le pays d’origine, et pour les ressortissants issus d’un pays aveclequel la Belgique a signé une convention bilatérale4 comprenant des règles plus favorables en matière de regroupement familial, tous les autres risquentd’être considérés comme pouvant effectuer un regroupement familial dans le pays d’origine également, et dès lors se voir imposer l’obligationd’établir des moyens de subsistances suffisants pour que ce regroupement familial puisse avoir lieu en Belgique.”
Longueur de la procédure et test ADN
Le délai d’introduction de la demande de regroupement familial est de 9 mois mais peut être prolongé de deux fois trois mois si le dossier est complexe, l’Officedes étrangers devant alors motiver sa décision. Un délai auquel il faut parfois ajouter le temps que met la demande introduite auprès d’un consulat àl’étranger ou un poste diplomatique à parvenir à l’Office des étrangers. Une durée qui peut parfois être de plusieurs mois selon lestémoignages recueillis par de nombreuses associations s’occupant du droit des étrangers. Il faut également fournir des documents qui établissent la filiation, si onveut, par exemple, faire venir ses enfants. Lorsque aucun document n’est disponible – dans de nombreux pays africains par ex. les ressortissants ne possèdent pas toujours d’acte denaissance -, ou que l’Office des étrangers a de sérieux doutes sur l’authenticité de la filiation, un test ADN est alors demandé. Un test coûteux : 200euros par personne et qui n’est pas sans consequences lorsqu’il se révèle négatif, notamment pour les familles de fait.
À l’Office des étrangers, on estime toutefois ce test ADN indispensable lorsqu’on ne peut prouver autrement la filiation des requérants. Ainsi, Fernand Simon,fonctionnaire à l’OE tient à rappeler que le regroupement familial est un droit de séjour, “il constitue la première porte d’entrée dans le pays,bien plus que l’asile ou les régularisations. Or, il faut pouvoir prouver qu&rs
quo;on remplit, aux yeux de la loi, les conditions, pour avoir accès à ce droit deséjour. Nous privilégions toujours les actes d’état civil. Si ceux-ci ne sont pas suffisants, le visa est refusé. Il y a alors possibilité de faire avancer ledossier en se prêtant au test ADN, c’est en quelque sorte le dernier recours. S’il est positif, le dossier peut alors avancer. Les tests ADN peuvent être effectués dansune vingtaine de nos postes diplomatiques à l’étranger. Il existe un seul pays où nous demandons de manière obligatoire le test ADN en début deprocédure, c’est le Ghana car nous avons constaté que 90 % des dossiers de regroupement issus de ce pays étaient faux.” Et Fernand Simon de préciser que surles trois dernières années, 2 708 tests ADN avaient été effectués dans le cadre de procédures de regroupement familial et qu’entre 90 à 95 %étaient positifs.”
Reste que les exigences administratives de la procédure, ainsi que son coût, font dire à Thérèse Legros de l’ADDE, que le regroupement familial estdésormais réservé aux seules familles nanties et souffre dans notre pays d’un excès de formalisme.
Statistiques inexistantes
Autre sujet de débat : les statistiques. Si le regroupement familial focalise le débat politique, paradoxalement, les données statistiques permettant de le comprendre sontactuellement quasi inexistantes. En effet, le motif de délivrance des titres de séjour n’est pas enregistré de manière informatique par les instances en charge de laquestion. Selon Nicolas Perrin, démographe et collaborateur au Centre pour l’égalité des chances sur la problématique des migrations, « quand en Belgique, ondélivre un titre de séjour à un étranger, aussi étrange que cela puisse paraître, on n’enregistre pas pourquoi. Je peux voir si les titres sontdélivrés pour de courtes ou de longues durées, mais quant à savoir si la personne vient pour faire des études, pour un regroupement familial, si c’est un enfant ouun adulte qui rejoint un époux belge… On voit juste un nombre d’entrées qui augmente, mais on est incapable de dire quel pourcentage concerne le regroupement familial ou d’autresmotifs. »5
Un état de fait incompréhensible pour le démographe, pour qui les mesures visant à enregistrer cette information essentielle sont assez simples : « mettre enplace un enregistrement du motif de délivrance des titres de séjour dans les communes qui serait intégré aux informations du Registre national. En attendant la mise enplace d’un tel enregistrement, on ne connaît pas l’impact précis des dispositions légales actuelles et on ne peut que difficilement estimer l’impact d’unemodification de celles-ci. Des éléments d’information indirecte nous renseignent grossièrement sur les caractéristiques et l’ampleur du regroupement familial,mais aucune vision d’ensemble fiable n’est possible. Si la statistique ne permet pas de comprendre le détail des mécanismes d’immigration, son absence peut aboutirà des erreurs d’appréciation majeures. »6 Et Nicolas Perrin de conclure : « Il est intéressant de voir la différence entre l’importancepolitique donnée à un problème, et le nombre très réduit de statistiques que l’on possède à ce sujet. Je suis démographe, mais quand on fait dela science appliquée comme le fait la politique, comment fait-on ? »7
Une question qui se pose avec d’autant plus d’acuité quand on sait que dans la note d’Yves Leterme, ex-formateur, destinée au prochain gouvernement, on peut lire« qu’une personne qui fait une demande de regroupement familial se verra imposer de nouvelles conditions d’intégration et des conditions financières »…
En France, durcissement en vue
Promesse de campagne tenue pour Sarkozy : le gouvernement peaufine la rédaction d’un projet de loi visant à durcir les conditions du regroupement familial, un texte qui devraitêtre examiné à partir du 18 septembre par l’Assemblée nationale.
Cette loi, la quatrième, en quatre ans, sur l’immigration, devrait créer un «contrat d’accueil et d’intégration pour la famille» (CAI). Ce CAI avaitdéjà été prévu en 2006, mais cette fois il devient plus contraignant, car il est élargi à tous les membres de la famille et oblige les parentsà veiller à l’intégration de leurs enfants. Notamment en s’engageant à ce qu’ils obtiennent un certain niveau de maîtrise de la langue française. En cas denon-respect de cette obligation, le préfet peut saisir un juge des enfants, et le versement des prestations familiales peut être menacé.
Plus largement, tout étranger souhaitant obtenir un titre de séjour en faisant valoir des liens personnels et familiaux devra posséder un niveau correct de français. Lecandidat à l’immigration pourra bénéficier «dans son pays de résidence d’une évaluation de son degré de sa connaissance de la langue et des valeurs dela République».
Autre disposition de l’avant-projet : le niveau de ressources financières est «indexé» sur la taille de la famille. Le migrant devra garantir des ressourceséquivalentes à un Smic, et jusqu’à 1,2 fois le Smic suivant la taille de la famille. Cette disposition, qui durcit aussi le texte de juillet 2006, avait étéannoncée à de nombreuses reprises par Sarkozy lors de sa campagne : tout migrant vers la France doit être capable de faire vivre sa famille.
1. ADDE, rue de Laeken, 89 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 227 42 42
– courriel : therese.legros@adde.be
– site : www.adde.be
2. Intervention de Thérèse Legros lors du colloque du 8 juin 2007 sur « La mise en œuvre de la réforme du droit des étrangers », organisé parl’ADDE.
3. Siréas, Les réformes du gouvernement fédéral en matière de droit des étrangers, 2006, document n°20.
4. Le Maroc, l’Algérie, la Turquie, la Tunisie et la Yougoslavie (lire la Slovénie, la Croatie, la Macédoine, la Bosnie herzégovine et la républiquefédérale de Yougoslavie (Serbie et Montenegro)).
5. Interview in Le Soir du 14 décembre 2006.
6. « Les motifs de séjour et les regroupements familiaux », Nicolas Perrin, étude consultable sur www.diversiteit.be/CNTR/FR/migrations/daymigrants/…
7. Idem 5
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