Les clubs de jeunes et les animations agricoles mobilisent encore les campagnes, mais leur influence s’amenuise. Dans certains villages, la maison de jeunes est le seul lieu de vie sociale.
La ruralité belge est bien vivante. Des villages voient régulièrement leur nombre d’habitants augmenter. Pourtant, la vie sociale n’y est pas toujours trèsanimée. Surtout pour les jeunes. Dans les villages, la maison de jeunes, la « MJ », est parfois le seul lieu où des activités autres que sportives sontproposées. Ces maisons de jeunes remplissent un rôle important dans la vie rurale. Elles ne désemplissent pas, même si les modes de participation des jeunesévoluent.
A Lavacherie, sur la commune de Sainte-Ode, les jeunes ont déserté l’accueil de la Maison de jeunes1. Ils préfèrent se focaliser sur les ateliersproposés à intervalles réguliers. Même constat à Evelette, petit village de la commune d’Ohey, où l’atelier danse est comble alors que l’accueil est vide.
L’accueil en MJ se doit d’être inconditionnel. Il fut longtemps le lieu névralgique des maisons de jeunes. Lieu de rassemblement, de socialisation qui devait ensuite amener les jeunesà s’impliquer, à se « mettre en projet ».
Dans les campagnes, se rendre en maison de jeunes implique un déplacement. Les jeunes préfèrent bouger pour des activités qu’ils ont choisies au préalable. Etpuis, cette façon d’accueillir n’est peut-être plus pertinente. C’est ce que relève Dominique Noirhomme, coordinateur de la maison de jeunes d’Evelette :« L’accueil, il y a vingt ans, répondait à un réel besoin des jeunes. Ils venaient écouter de la musique, regarder un film. Maintenant, ils ont tout çachez eux, sur l’ordinateur. » S’ils ne viennent plus à l’accueil, alors dans quels lieux les jeunes se retrouvent-ils ? Il y a toujours l’espace public, investi pour de petitesréunions « picole », comme le soulève Céline Pire, directrice de la Maison de jeunes CRAB (Centre régional d’animation de Beauplateau) àLavacherie. Ou bien le domicile familial, « où certaines familles sont moins regardantes que nous sur les consommations de leurs enfants », comme l’assèneDominique Noirhomme.
Les clubs de jeunes : entre picole et folklore
Dans les petits villages, les clubs de jeunes ou « jeunesse du village », occupent une drôle de place. Ces structures autonomes, autogéréeset sans encadrement, contribuent souvent à faire perdurer le folklore villageois, la vie festive de la campagne. Dans le même temps, ils pâtissent d’une image de « clubde beuverie » avec son lot de nuisances et de dégradations. Entre ces deux versions, force est de constater que dans certains villages, le club est la seule structure qui impulseune dynamique d’animation rurale.
Au départ, un club de jeunes, c’est souvent une histoire de bières. Thomas Leclercq, l’un des fondateurs de la « Jeunesse de Sovet » se souvient :« Il y a quelques années, on était un groupe de jeunes à se réunir sur un banc devant l’église du village, on buvait des bières, il y avait nosmobylettes. Cela embêtait les voisins. Comme le club de foot avait disparu, on a repris leur local, prêté par la commune. En plus, il y avait une buvetteinutilisée. » De simple lieu festif, la jeunesse de Sovet est devenue peu à peu animatrice du village. « On a commencé à faire des soirées.Puis on s’est ouverts aux plus jeunes avec Halloween et la Saint-Nicolas, illustre Thomas Leclercq. On a réinstauré le grand feu du village qui avait disparu pendant dix ans. Et celafait deux ans qu’on a repris la gestion de la kermesse. » Evidemment, l’alcool fait partie du décor. C’est la buvette qui finance la plupart de ces activités. Larançon du succès. Car, ce que constate Thomas Leclercq, c’est que « si la jeunesse de Sovet s’arrêtait, il ne resterait plus grand-chose au village. On veut que nosactivités contribuent à remettre de la vie. »
A Schaltin, c’est un peu la même histoire. Celle d’un groupe de jeunes qui ère dans un lieu public et qui décide d’investir un local, en accord avec la commune. LaurentDekeersmaeker, le président de la « Jeunesse de Schaltin » n’est pas peu fier de cette vie rurale retrouvée grâce au club : « On s’est ditqu’on allait continuer les fêtes qui se faisaient dans le village. Lors de la kermesse, la coutume voulait qu’on fasse le tour des cafés et que les jeunes offrent la tournée. Ledernier café a fermé il y a quinze ans, mais aujourd’hui on perpétue la tradition dans notre local ! » Entre la fête Halloween, le défilé de charshumoristiques, le grand feu et les soirées, Laurent concède volontiers que le club est devenu, en quelque sorte, le « comité des fêtes du village ».Il constate que le nombre de clubs de jeunesse diminue. « Avant, il y en avait un par village, estime-t-il. Il y en a moins. Il faut dire que cela demande de plus en plus deresponsabilités, il y a des contraintes administratives, financières et des obstacles du type « couvre-feu » et les étiquettes qu’on nous colle. C’estvraiment dommage car les clubs donnent une image folklorique du village. Un village sans activités, c’est un village mort. »
La MJ : le seul pôle culturel
A Evelette comme à Lavacherie, la maison de jeunes est devenue le véritable pôle culturel de la commune. On y propose des ateliers danse, musique, théâtre. Lesjeunes d’Evelette ont monté un festival rock. Toutes ces activités attirent les jeunes car, selon Céline Pire, « il n’y a pas d’autre offre culturelle. » LaMJ deviendrait une sorte de forteresse culturelle en milieu rural ultra-sportif. C’est une vision qu’exprime Dominique Noirhomme : « La commune doit davantage investir dans ce qu’onfait car on est le seul pôle qui fait autre chose que du sport. » Même constat pour la vie festive des villages. La MJ CRAB, par exemple, organise les « jeuxinterquartiers » qui donnent une deuxième vie à la kermesse de Lavacherie.
Dominique Noirhomme, qui pratique le milieu rural depuis plus de vingt ans, constate certains changements structurels de la vie campagnarde : « Je ne ressens plus laprésence de l’agriculture dans mon quotidien. Avant, tous les jeunes étaient liés à la ferme par leur famille. Il y avait beaucoup d’activités liées àla jeunesse agricole et paysanne. Leur force de mobilisation dans les villages était impressionnante. Maintenant, il y a beaucoup moins d’agriculteurs, ces dynamiquesdisparaissent. » Même chose concernant les clubs de jeunes (cf encadré) qui n’existent plus vraiment dans la région d’Evelette. Si ces clubs pouvaient« créer des dérives », comme l’affirme le coordinateur de la MJ, ils pouvaient aussi « &ecir
c;tre à l’origine de choses trèschouettes » et notamment d’une vie festive dans les villages.
Graffiti des villes ou graffiti des champs ?
Que de murs blancs et tristes dans ces MJ rurales. A Lavacherie, l’atelier graffiti du 2 novembre a dû être annulé faute de participants. Le mur de la MJ restera blanc. AEvelette, c’est la même chose. « Il y a un grand mur blanc dehors, nous dit Dominique Noirhomme, le coordinateur. On s’est dit qu’on allait faire une fresque, mais je sentais queça ne correspondait pas à ce qu’ils sont ». Le hip-hop, avec son lot de rap, de break-danse et de graf serait donc exclusivement réservé au monde urbain ? Cequi ressemble à une caricature ne l’est peut-être pas. « Dans le milieu rural, la culture hip-hop est vraiment minoritaire », affirme le coordinateur de la MJd’Evelette.
Un problème de mobilité
« Le principal problème des jeunes en milieu rural, c’est la mobilité », explique Dominique Noirhomme. Pour se déplacer, il n’y a souvent pas d’autrechoix que de faire appel aux parents. « Mais si personne ne peut ou ne veut conduire un jeune qui n’a pas le permis, alors il restera calé chez lui », ajoute-t-il. Et ceproblème de mobilité touche en premier lieu les populations les plus précaires. Ces jeunes qui sont présents, mais que l’on voit moins. Alors à Lavacherie,où les jeunes de la cité sociale ne viennent pas à la MJ, on a décidé d’aller vers eux, comme l’explique Céline Pire : « On se doit d’allervers ces jeunes. Au printemps, nous allons certainement développer du travail de rue, dans les arrêts de bus ou les lieux investis pas les jeunes. L’idée c’est de voir s’il y aune demande pour que la MJ lance un bus qui proposerait un accueil décentralisé dans différents lieux de la commune ». Il faut savoir que la MJ de Lavacherie estdéjà une antenne décentralisée de celle de Beauplateau. Ce souci de toucher plus largement les jeunes est partagé par Dominique Noirhomme qui a lancé uneétude auprès des jeunes des villages d’Ohey pour comprendre leurs besoins et leurs envies. On y découvre que 80 % des jeunes interrogés apprécient d’y vivremême s’ils relèvent quelques manques en matière de sorties, de lieux de rencontres. Dominique Noirhomme regrette de n’avoir que trop peu de données concernant lesproblèmes socio-économiques des familles. Car les jeunes issus de familles précaires ne viennent pas à la MJ. L’idée de Dominique Noirhomme, justement, seraitd’influencer la politique jeunesse de la commune pour « créer quelque chose de nouveau afin de toucher ces publics. »
Alors que l’on trouve des armées de sociologues spécialisés dans l’analyse de la jeunesse urbaine, on en trouve bien peu qui se penchent sur les jeunes ruraux. Cedésintérêt interpelle. Pour Dominique Noirhomme, la jeunesse en milieu rural est souvent cantonnée en position subalterne sur la liste des priorités politiques.« J’ai toujours ressenti que tout ce qui touche à la jeunesse est présenté comme lié à l’urbain, à l’immigration et aux problèmessociaux », dit-il.
Jeunes agriculteurs, concours de tracteurs et soupers champêtres
Le 10 septembre, dans des champs près de Jodoigne, de jeunes agriculteurs pouvaient se lancer dans une grande démonstration de force. Le bras de fer des champs. Le« concours de tractions », tout droit venu des Pays-Bas. Les fermiers se rassemblent avec leur tracteur. Ils doivent tirer sur cent mètres une impressionnante remorquelourdement lestée. Résultat des courses, on sait qui a le plus gros, le plus puissant, le plus fort des tracteurs. Une telle journée permet de faire un peu la fête, de voirdes outillages et de se réunir entre jeunes de milieu rural. Le soir, prend place un second concours : le concours de juge. Une vingtaine de vaches à classer. Un juge officiel vientdépartager les candidats. Puis on boit un verre, on passe du bon temps.
Il s’agit d’un des évènements organisés par la section locale du mouvement de jeunesse « Fédération des jeunes agriculteurs »3avec le commis agricole de Jodoigne. Julien Van Keerberghen, le président de la section explique en quoi consiste ce mouvement de jeunesse : « A Wavre-Jodoigne, nous comptonsenviron 200 membres agriculteurs âgés de 16 à 35 ans. Il y a des activités toute l’année pour eux. A côté, nous proposons des évènementsouverts à tout type de public. Il y a trois soirées par an, avec des boissons et des DJ. Nous organisons aussi un grand souper champêtre. En général, les troisquarts des participants viennent du monde agricole, le reste ce sont les gens des villages. Il y a une vraie demande. Les agriculteurs, les ruraux veulent se rencontrer. Les animations le leurpermettent, mais en plus, cela anime les villages. »
Vu l’intensité de la vie agricole, le besoin est grand pour les jeunes exploitants de tisser des liens. La Fédération des jeunes agriculteurs (FJA) remplit en partie cerôle. Mais ce mouvement est plus qu’un mouvement de jeunesse. C’est aussi une organisation professionnelle, un centre de formation et d’information qui compte environ 3 000 membres. Enfin,contrairement à ce que son nom indique, la FJA ne s’adresse plus aux seuls agriculteurs, comme l’explique Grégory Etienne, le secrétaire général :« C’est un mouvement rural au sens large. Nous avons toujours autant de membres qu’avant, mais moins d’agriculteurs et plus de jeunes ruraux, car la population agricole est en netrecul. »
« MJ Losange : des projets pour encourager lamobilité«
1. MJ CRAB :
– adresse : rue Lejardin, 1 à 6681 Lavacherie
– tél. : 061 68 88 29
– courriel : crab@skynet.be
2. MJ d’Evelette :
– adresse : rue du Tige, 26 à 5350 Evelette
– tél. : 085 61 26 82
3. Fédération des jeunes agriculteurs :
– adresse : chaussée de Namur, 47 à 5030 Gembloux
– tél. : 081 60 00 60
– site : www.fja.be