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Regard critique · Justice sociale

Edito

Rendez-vous dans dix ans?

Il est de ces dossiers dont on a l’impression qu’ils sont faits pour durer, sans jamais aboutir. Celui concernant l’allongement du délai autorisé pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en fait assurément partie.

Manifestation pour le droit à l'avortement BXL 2012 -La Hay 1974 : le combat continue ? ©Archives du Pays-Bas et CAL

Voilà dix ans qu’Alter Échos écrit sur cette question. En guise d’apéritif, il a d’abord été question des menaces qui pesaient sur l’IVG en tant que telle: pénurie de médecins pratiquant l’IVG, pression accrue des opposants qui, tant au niveau belge qu’au niveau européen, se mobilisaient.

On a ensuite évoqué les différentes propositions législatives déposées par le CD&V au mitan et à la fin des années 2010, incarnées par le vote d’une loi le 13 décembre 2018. Celle-ci permet la reconnaissance du fœtus à partir de 140 jours (20 semaines) après une grossesse non aboutie ainsi que l’établissement d’un acte d’enfant sans vie à la demande des parents. Si cette mesure ne crée pas de personnalité juridique, c’est bien le terme «enfant» qui est utilisé. Une confusion sémantique qui pourrait fragiliser le recours à l’IVG, craignent à l’époque les détracteurs de la loi.

Puis est venue la dépénalisation de l’IVG, longtemps réclamée par tout ce que la Belgique comptait comme «pro-choix». Votée en 1990, la loi «Lallemand-Michielsens», autorisait en effet l’IVG sous certaines conditions, tout en la maintenant dans le Code pénal. Le 4 octobre 2018, victoire: la majorité fédérale «suédoise» (N-VA, MR, Open VLD et… CD&V) vote un texte qui sort l’avortement du Code pénal. Une victoire à la Pyrrhus cependant, puisque le délai pour avorter reste de 12 semaines alors qu’avec le temps, les «pro-choix» ont proposé de le porter à 18 semaines.

Vient alors l’étrange période d’affaires courantes à la suite de la chute de la suédoise qui, de décembre 2018 à la formation du gouvernement Vivaldi à l’automne 2020, laisse le Parlement – en l’absence de discipline de gouvernement – libre de ses mouvements. En peu de temps, une coalition hétéroclite composée du MR, de l’Open VLD, d’Écolo-Groen, de DéFi, du P-VDA-PTB, du PS et de Vooruit se range derrière une proposition de loi allongeant le délai autorisé pour une IVG à 18 semaines. Las, le CD&V, encore lui, en fait un casus belli et menace de ne pas monter à bord de la Vivaldi, en cours de conception, si d’aventure la loi est votée. Retour à la case départ donc, avec la création d’un groupe de travail et la publication en avril 2023 d’un rapport signé par 35 experts demandant de porter le délai à 18 semaines. Le CD&V assouplit alors sa position, acceptant de passer à 14 semaines. Insuffisant pour beaucoup de partenaires de la Vivaldi, qui ne souhaitent pourtant pas faire tomber le gouvernement pour cela à un an des élections et glissent le dossier sous le paillasson…

Aujourd’hui, nous y sommes: les élections de juin 2024 ont rebattu les cartes, des négociations pour la formation d’un gouvernement fédéral sont en cours et la question a été inscrite à l’ordre du jour de la Commission justice de la Chambre le 24 septembre dernier. Quatre propositions de loi visant à allonger le délai (PS, PTB, Écolo-Groen et Open-VLD) étaient sur la table. Sans surprise, aucune d’elles n’est passée, les cinq partis de la future coalition Arizona (MR, N-VA, Les Engagés, Vooruit et… le CD&V) ayant décidé que ce n’était pas le moment d’en discuter. De manière détaillée, on peut aussi affirmer que le CD&V n’est toujours pas convaincu et est maintenant secondé en cela par la N-VA du formateur Bart De Wever… Rendez-vous dans dix ans?

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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