Trois colloques se sont déroulés pratiquement en même temps à la mi-octobre sur les politiques de la ville. Ils culminaient avec un conseil informel des ministreseuropéens chargés du développement urbain. À ces trois occasions se posait d’emblée la question des réponses à apporter au sentimentd’insécurité et à l’insécurité d’existence.
Le travail social et l’insertion semblaient depuis quelques années se reconstruire autour de nouveaux modèles mettant en avant la participation des individus à lareconstruction du lien social. La politique urbaine était devenue la “gouvernance urbaine”, celle du partenariat et du “développement social des quartiers”.Aujourd’hui en Belgique, nombre d’observateurs semblent cependant indiquer que sur le terrain, l’action publique prend plutôt la direction d’un retour dusécuritaire et de la normalisation des “cas sociaux” issus des “classes dangereuses” paupérisées. C’est un autre modèle, plus traditionnel,qui serait en fait dominant. Les deux modèles sont généralement vus comme opposés. Au niveau des discours, tous deux se côtoient et tentent même de secompléter, notamment en s’appuyant sur le consensus autour de la “participation” ou de l’ “empowerment”. Quatre exemples.
1. ULg : l’exclusion et l’insécurité d’existence en milieu urbain, et les réponses de la culture
Un sondage récent a voulu mettre en évidence la part de responsabilité individuelle et celle de l’État dans les phénomènes d’exclusion. Il estétonnant de constater que quand une personne est exclue du système sa responsabilité individuelle n’est placée qu’en dixième position, par contre en cequi concerne la manière de sortir cette personne de l’exclusion sa responsabilité est placée en deuxième position. L’opposition entre la responsabilitéindividuelle et collective est manifeste. Le ministre Detienne rétorque « qu’il y a en effet un besoin d’actions plus fortes mais que les budgets sont pour le moment allouésd’une telle manière que cela n’est pas possible pour l’instant ».
C’est un des éléments qui a balisé les débats du colloque qui se tenait à l’université de Liège, les 11 et 12 octobre, surl’exclusion, l’insécurité en milieu urbain et les problèmes qui en découlent1 : les jeunes (immigrés ou désœuvrés), les quartierssensibles et les déclassés. Il en ressort que le problème de l’insécurité et de l’exclusion urbaine sont intimement liés. Monsieur Vanwallendael,échevin des affaires sociales de la Ville d’Anvers, insiste sur le fait « que la population qui vit dans un quartier sensible est une population en danger et non dangereuse carl’insécurité d’existence mène à l’exclusion. Les personnes se sentant en danger ont tendance à se replier sur elles-mêmes et à couperles liens sociaux ». On a evnvie de parler de réclusion plus que d’exclusion.
Par contre, le ministre wallon des Affaires sociales et de la Santé Thierry Detienne, et Claude Emonts, président du CPAS de Liège, refusent de confirmer qu’il y aeffondrement ou atténuation des normes et des références en milieu urbain. « Les normes ont changé et évolué mais pas disparu, ce sont les circonstances quifont chuter les normes et ont réduit à peau de chagrin les aspirations personnelles des citadins ». Un ensemble d’indices montre que ces habitants expriment différemmentleurs normes car la réduction des possibles, le manque de confiance en eux font qu’ils ne croient plus en leur avenir ni à celui de leurs enfants et qu’ils leur transmettentune sorte de découragement fataliste.
Face à cela, les politiques d’insertion misent sur le retour dans l’emploi et la formation. Or ces gens, jeunes ou plus âgés, auraient d’abord besoin derecréer un lien social et de se sentir en sécurité dans leurs quartiers. Leur demander de se réintégrer rapidement sans chercher à comprendre leursdérives ne fait qu’augmenter la pression sur leurs épaules. Claude Emonts regrette que « la quasi totalité du budget des affaires sociales soit réservéeà l’emploi car les actions que j’ai mis sur pied telles que l’ouverture d’une maison de la citoyenneté dans un quartier difficile ou l’article 27 quipermet aux minimexés de se rendre au cinéma, théâtre et expo pour la somme de 50 francs ne reçoivent quasiment pas de subvention. Nous devons utiliser lesystème D et organiser des soirées pour financer ces projets ». Le ministre Detienne rétorque « qu’il est très difficile à l’heure actuelle de financertous les projets de réinsertion. L’exclusion culturelle est une exclusion peu mise en avant mais pourtant réelle, les classes sociales défavorisées ont une imagedévalorisée de leur potentiel et ne savent pas se vendre à cause de leur accent, leur mauvaise syntaxe française… »
2. Forum SécurCités Partenariats : sécurisation des villes et lutte contre l’exclusion sociale
Une conférence, organisée par le Forum européen pour la Sécurité Urbaine2 à Bruxelles ces 4 et 5 octobre, rassemblait une série d’acteurseuropéens, émanant essentiellement du secteur public, impliqués dans des contrats visant la sécurité urbaine.
2.1. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion pour couper les racines de l’insécurité
Au cours de son intervention, Charles Picqué, ministre de la Politique des Grandes Villes, a mis à son tour l’accent sur l’articulation qu’il y a entre politiques desécurité et lutte contre l’exclusion sociale : “L’insécurité germe sur le terreau de l’exclusion sociale.” D’où,l’importance pour lui d’agir sur l’ensemble des facteurs qui jouent sur le social et de développer des politiques énergiques en matière d’emploi-formationet de réhabilitation du lien social.
Le Ministre insiste en outre sur l’importance de revaloriser l’enseignement fondamental, et de valoriser la coopération entre établissements et entre réseaux, surl’éducation des parents concernant les conditions favorisant de bons apprentissages, sur l’importance d’investir dans l’immobilier scolaire et sur l’adaptation del’enseignement au marché. “Mais, ajoute-t-il, il s’agit là d’une approche qui doit viser l’intégration et s’inscrire dans la durée pourrécolter des effets, ce qui demande des moyens importants.”
La bourgmestre de la Ville d’Anvers, présidente d’honneur du Forum, a mis l’accent sur l’éducation comme facteur de lutte contre les inégalités.Elle plaide pour que ce problème soit trait&e
acute; en priorité et que des moyens y soient accordés.
Quant à l’intervention de monsieur Franzer, représentant de la Communauté européenne, DG Emploi et Affaires Sociales, il abonde dans le même sens : ledéfi majeur est de rendre les villes plus sûres et de lutter contre l’exclusion sociale. Le problème de la pauvreté est important puisque c’est un risque quitouche environ 18% de la population européenne (soit 16 millions de personnes). Le défi réside essentiellement dans les villes “en déclin” où lapopulation cumule une série de risques qui interagissent et mènent à des situations de pauvreté et d’insécurité. Parmi les facteurs de risques,Monsieur Franzer, épingle le chômage de longue durée, le fait de vivre longtemps sur base d’un faible salaire, la précarité de l’emploi, le faible niveaude formation, les problèmes de santé et de toxicomanies, d’alcoolisme, le fait d’être sans abri, le risque lié à la culture d’origine et auracisme, etc.
2.2. Reconstruire un vivre ensemble en partant de la ville telle qu’on la trouve
Un chercheur du CNRS qui suit le programme “SécurCités Partenariats”, Claude Jacquier, a fait une intervention dont nous épinglerons différentes idées.Resituant la gouvernance des villes dans l’histoire, il distingue le “Faire la ville” du ”Faire avec la ville”. Par le premier, il entend l’urbanisation de sitesvierges, dans le second, il entend la construction d’un nouvel urbanisme qui nécessite de “faire avec” ce qui existe. On passe d’un urbanisme basé sur laconstruction matérielle (“hard”) à la construction d’un vivre ensemble (“Soft”). Caractérisant chacune des deux positions qui impliquent desapproches différentes, le chercheur met l’accent sur la dialectique projet-territoire qui caractériserait le “Faire avec la ville”. Il souligne lanécessité de partager entre acteurs et attire l’attention sur la dimension anthropologique des diagnostics.
Il pose aussi la question des nouvelles frontières de la ville et des institutions. “Qui est dans et qui est hors de la gouvernance ?, s’interroge-t-il. Jusqu’il y a peu, lagouvernance et la ville étaient construites autour d’un centre, souvent commun d’ailleurs, visant la sécurité des frontières du territoire.” Avecl’évolution des villes et de la société, comment gouverne-t-on aujourd’hui ? Il distingue deux objectifs majeurs : d’une part, maîtriser la fragmentationsociale et urbaine qui sont cause d’insécurité ; d’autre part, adapter le système de gouvernance.
2.3. Partenariats : aléas et potentiels de la participation et de l’évaluation
Outre une série d’aspects plus généraux, cette conférence visait à rendre compte des partenariats mis en place, de la participation des citoyens et del’évaluation des contrats passés. Une série de points délicats pour lesquels chacun semble chercher des sources d’inspiration pour améliorer sespratiques.
De l’expérience menée dans la Ville d’Edimbourg (UK), le Chef du “Partenariat pour l’inclusion sociale” de la Ville tire différents constats : lesobjectifs et la cible doivent être clairement définis dans le contrat afin que les responsabilités des partenaires dans le projet soient elles aussi clairementdéterminées. Il conseille que le gouvernement ait un agenda clair et qu’il s’y tienne.
Du côté de la Ville de Rennes, où les priorités absolues sont l’éducation et la culture, on note que l’impact des politiques reste difficile àvoir et que des indicateurs restent à construire.
Monsieur Gobreau, adjoint au Maire chargé de la Solidarité de la Ville de Poitiers en France, évoquait la difficulté de mobiliser les gens qui ne sont ni exclus, ni inclusmais qui vivent reclus dans leur HLM, alors que la politique des Contrats de Villes, initiée là-bas depuis 1994, s’est clairement positionnée pour “faire avec leshabitants”. Par ailleurs, en termes de partenariat, Monsieur Gobreau exprimait que “Ce n’est pas naturel que des policiers et des éducateurs travaillent ensembles tout commedes chefs d’entreprise et des élus”. Il précise qu’il est essentiel pour ces partenaires de développer un diagnostic commun, la définition des objectifset une méthode d’évaluation. Une idée forte qu’il a exprimée est qu’il faut développer des “partenariatsd’intérêt”.
Le directeur du Partenariat sécurité de la Ville de Brent (UK) exprimait un peu plus tard au cours de l’événement son appui à l’idée departenariats d’intérêt dans lesquels les collaborations ne se tissent qu’avec ceux qui ont un intérêt à participer au projet.
Pour le chef de cabinet des contrats de sécurité et de société de la Ville de Mons, certaines associations s’inscrivent dans les Contrats dans une simple logique desurvie de leur service. Suite à une interpellation du public, il a précisé, quant à la coýtractualisation avec tous les partenaires, dont les habitants,qu’elle passe par un Comité de pilotage et des Commissions. À ces réunions, il accorde que les habitants qui sont présents sont considérés comme lesreprésentants des habitants alors qu’ils sont présents sans mandat mais bien en tant qu’habitants. Dans cette situation, poursuit-il, le danger est bien sûr de ne pasretrouver les leaders d’opinion dans les réunions.
Au niveau de la Grande-Bretagne, les services qui reçoivent des subsides pour mener leur tâche à bien reçoivent des fonds supplémentaires s’ils prouventqu’ils impliquent le citoyen. Afin de pouvoir utiliser les ressources de la communauté, il est important de former des citoyens.
Un intervenant précisait qu’un partenariat équilibré est un partenariat dont les cultures professionnelles des partenaires sont respectées. Il est important aussi depurger les débats (s’exprimer jusqu’au bout sinon le risque est de vouloir faire la même chose avec des objectifs trop différents).
Un autre intervenant précisait qu’en Belgique, il faut déjà qu’il y ait une cohérence entre les partenaires de l’État. Il est important dereconstruire une cohérence entre les différents niveaux de pouvoir.
3. Conférence européenne “Participation citoyenne et politique urbaine”, enjeux et recommandations issus de projets
La conférence européenne “Participation citoyenne et politique urbaine » s’est tenue les 8 et 9 octobre à Bruxelles, au Musée de la Bande dessinée. Aveccomme cadre général la Présidence belge de l’UE, son propos était d’échanger des expériences diverses, d’UE et d’ailleurs (Prague,Porto Alegre, Budapest), quant à une application de formes de démocratie
directe et de participation citoyenne dans les enjeux et les décisions de politique urbaine. Objectif :à partir de 17 expériences et de deux réseaux (Four Cities et Hacer1) présentés, tirer des conclusions opérationnelles. Des conclusionsprésentées l’après-midi même, par une délégation restreinte, sous la forme de recommandations, au Conseil interministériel européeninformel présidé par Charles Picqué.
Six « coins des histoires » regroupaient les expériences en six thématiques : « partenariat public-privé », « groupes cibles », « développement urbain », « méthodologiesnovatrices », « initiatives citoyennes » et pour finir « développement de stratégies ». Des rapporteurs présentaient une synthèse des expériences ainsi que de futuresrecommandations ou remarques. Morceaux choisis.
Pour les « méthodologies novatrices », on évoqua le Contrat de quartier des places Bossuet et Houwaert à Saint-Josse. À ce propos, deux “conseilsintéressants”, exprime la porte-parole. D’une part la nécessité de “former les citoyens à discuter avec des services qui, eux-mêmes, programmentleur plan urbain de manière complètement hétérogène et sans coopération entre services (…). Il y a des contradictions à différenteséchelles de territoires : entre ville et région” ; d’autre part, à propos des outils exploités pour médiatiser leur discours, en l’occurrence lacaméra. Sur ce point, est-il exprimé, “la vidéo, comme support technique, n’est jamais neutre. Attention, ça peut devenir un instrument de marketing. Donc, nesoyez pas naïfs ! Néanmoins le regard critique qu’elle permet, pour parler des choses qui ne vont pas, peut être utile pour la co-production de la ville par tous lesacteurs”.
Étoffant ces propos, le groupe de Arnhem (Pays-Bas), quant à lui utilisateur de l’appareil photo, assure que “les supports techniques redonnent un droit àl’expression, un droit à l’image et un droit à la représentation du territoire par les habitants”.
Sous l’angle des “initiatives citoyennes” ensuite, citons le cas particulier de Marsh Farm (Luton, Angleterre). Un groupe de chômeurs et de sans-abri établi encomité de quartier a redynamisé une friche dans son quartier (dix mille habitants). Un des jalons du processus : l’organisation, par exemple, d’un festival de dance gratuit,auquel s’est au départ opposée la police locale. Un parcours construit sur un laps de temps long. Pour ce qui est des résultats globaux du projet, suite à un combatnon-violent, de l’habitat autogéré et un centre communautaire ont vu le jour. Une réussite, car la démarche finit par être reconnue par l’ »Unitéd’exclusion sociale » de la ville. Et la porte-parole d’insister sur le rôle de « facilitateur » des élus, également sur le concept d’empowerment », traduit comme le »partage de pouvoir dans lequel ils reçoivent quelque chose en échange » notait la rapporteuse. En sorte que cette expérience « permet aux élus d’acquérir unelégitimité directe ».
Avant de boucler les discussions visant à finaliser les recommandations, qui constituaient une synthèse consensuelle de travaux tirée de conceptions multiples, l’ultimedébat vit fuser remarques et contre-propositions. Aussi, l’on biffa et reformula. Une suggestion p. ex. concernait l’éducation et la formation non tant des citoyens quecelle des élus et des techniciens : « la formation devrait leur permettre de concevoir la participation et l’égale légitimité des autres partenaires ». Concernant lesmoyens il fut aussi question des budgets. Certains les jugeaient inutiles dans un premier temps, voyant dans la motivation à s’associer et à construire ensemble une impulsionsuffisante, d’autres entendaient disposer de fonds européens afin de mener à bien les démarches.
4. Conclusions du conseil informel
Les ministres européens chargés de la politique urbaine se réunissaient pour la deuxième fois. La première était un conseil informel à Lille il y a unan où fut mis en place un large programme de coopération entre eux.
En plus de faire le point sur ce programme et sur la prise en compte des problématiques urbaines dans les initiatives du Conseil et de la Commission, les ministres se sont principalementpenchés sur la question du partenariat public-privé et sur celle de la participation.
> Partenariat : différentes questions vont être étudiées : la constitution d’une expertise au niveau européen, la clarification des incertitudes juridiques,ou encore l’appui aux investissements.
> Participation : les ministres, ayant pris connaissances des recommandations élaborés le matin, ont “convenu de favoriser la participation citoyenne dansl’élaboration et la mise en œuvre des politiques urbaines”.
1 ULg Info/presse, tél. : 04 366 31 66, e-mail : r.rodriguez@ulg.ac.be
2 Forum européen pour la Sécurité urbaine, rue de Liancourt 38 à 75014 Paris (France) – Tél. : 00 33 (0)1 40 64 49 00 – Fax : 00 33 (0)1 40 64 49 10– courriel : fesu@urbansecurity.org – Site : http//www.urbansecurity.org – Contact : Jean-Paul Buffat (buffat@urbansecurity.org)
3 Cabinet : square de Meeus 23 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 506 51 11, fax : 02 514 46 83. Voir le site : http://www.politiquesurbaines.be
Archives
"Rendre les villes plus sûres et lutter contre l'exclusion : trois rencontres pour la participation e"
Astrid
22-10-2001
Alter Échos n° 107
Astrid
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