Publié le 2 juin au Moniteur, le décret wallon dit Resa ter (pour : relance économique et simplification administrative, 3e exercice du nom) emporteune série de réformes qui modifient fortement la façon dont l’aménagement du territoire sera désormais géré en Wallonie. Avec desconséquences tant en termes de gouvernance que de paysages, mais aussi d’équilibres des rapports de forces entre les acteurs économiques et les autres.
Pour le ministre wallon du développement territorial André Antoine1 (CDH), cette dernière réforme s’inscrit dans une philosophie en quatre idées: « mettre fin à la stérilisation du territoire, réduire les délais de permis pour les particuliers et les entreprises, accélérer la mise enœuvre des zones d’activité économique, encadrer ou soutenir les communes dans leurs relations avec les promoteurs. »
Une quinzaine de changements majeurs peuvent être pointés. Parmi ceux-ci, la définition d’une base décrétale pour la Cellule de développementterritorial (composée de fonctionnaires détachés auprès du ministre de l’Aménagement du territoire afin de traiter plus promptement certains dossiersprioritaires – mais que ses détracteurs accusent de concurrencer l’administration sans toujours être plus rapide) et la création d’une délégationgénérale aux recours.
Au niveau des instruments de planification, l’utilisation du rapport urbanistique environnemental (RUE), qui permettait jusqu’ici la mise en œuvre des seules zonesd’aménagement différé (réserves foncières), est généralisée à l’ensemble des zones du plan de secteur. Le contenu du plancommunal d’aménagement (PCA) est modifié et il permet désormais de réviser les dispositions réglementaires du plan de secteur.
L’autonomie communale est étendue puisque les collèges retrouvent leur compétence en matière d’autorisations urbanistiques dans les sites Natura 2000, certesassortie de l’avis du fonctionnaire délégué. Les communes pourront en outre délivrer un plus grand nombre de permis sans l’avis préalable du fonctionnairedélégué et deviennent compétentes pour octroyer certaines dérogations.
Retenons enfin que le permis d’urbanisation remplace le permis de lotir, abrogé.
Le Conseil d’État n’avait pas été tendre avec l’avant-projet, dans son avis de février dernier. Le texte avait tellement d’implicationslégistiques que le Conseil d’État s’était obligé à se concentrer sur la plupart des aspects les plus importants, dénonçant son singulier« manque de clarté, de précision et de rigueur […] », certaines dispositions étant « rédigées en des termes très approximatifs, oumême parfois dénuées de sens. » Il pointait notamment le non-respect de la hiérarchie des normes dans le cas du PCA « révisionnel » des plans desecteur.
Plus (+) maître chez soi
Pour l’Union des villes et communes de Wallonie2 (UVCW), la réforme Resa ter comprenait de nombreux éléments à amender. Son conseild’administration était allé jusqu’à demander au ministre une suspension de la procédure d’adoption de l’avant-projet, dénonçant« un texte qui semble plus aller dans le sens d’une dérégulation que d’une réelle simplification administrative. » Si elle en comprenait les motivations,elle estimait que les dispositions alors reprises faisaient preuve d’une « absence de clarté quant à la hiérarchie des outils de planification » et tendaientvers « la privatisation de l’aménagement du territoire, la création non maîtrisée de « lotissements », le risque de mitage du territoire wallon, la confiscationdes compétences des communes en matière de voirie et leur cantonnement à un rôle subsidiaire […]. »
La pression fut en partie payante puisque des contacts plus étroits furent entrepris entre le cabinet et l’Union, permettant à celle-ci d’engranger une séried’avancées. Toutefois, l’Union regrette toujours le maintien de la possibilité de réviser un plan de secteur par le biais des plans communauxd’aménagement (PCA), même avec une portée limitée. Elle se réjouit par contre de ce que le collège communal retrouve sa compétence enmatière d’autorisation dans les sites Natura 2000, moyennant l’avis conforme du fonctionnaire délégué, censé garantir l’intérêtgénéral supra-communal.
Enfin, face à l’ampleur des changements pour les administrations communales, l’Union a obtenu que l’entrée en vigueur des dispositions relatives au permisd’urbanisation – qui remplace le permis de lotir – soit différée à janvier 2010 ; le temps de mettre au point et d’organiser des formations àdestination de tous ses membres.
Une chatte y retrouverait-elle ses jeunes ?
Même préoccupation pour Inter-Environnement3, parmi bien d’autres inquiétudes. La fédération environnementale relève la pertinence decertaines intentions, tout en pointant les limites de leur mise en œuvre. Ainsi de la généralisation du rapport urbanistique et environnemental (RUE) en tant qu’instrumentde mise en œuvre, non plus seulement des zones d’aménagement différé (les réserves foncières du plan de secteur) mais de l’ensemble des zonesdudit plan. « L’intention est louable, le RUE étant mieux adapté lorsqu’il s’agit d’envisager l’aménagement d’un ou plusieurs quartiersalors que les PCA s’appliquent à un site donné, relève Sophie Dawance, chargée de projets aménagement du territoire à IEW. Mais si le décret lesrend applicables à toutes les zones du plan de secteur, il n’en adapte pas la nomenclature ; de plus, les RUE ne disposent pas de volet planologique : difficile d’envisager la miseen œuvre d’une zone sur de simples orientations textuelles ! »
IEW se dit préoccupé par la mise en cause de la hiérarchie des plans et schémas, bousculée par le décret. La confusion ou l’empiètement desuns sur les autres provoque un manque de clarté susceptible de créer énormément d’insécurité juridique, tant pour les opérateurséconomiques que pour les particuliers.
Surtout, IEW s’inquiète de la « privatisation de l’espace » à travers cette réforme. En effet, au nom du développement économique, Resater prévoit que des PCA révisionnels, d&e
acute;rogeant aux affectations prévues par les plans de secteur, puissent être initiés par des acteurs privés.Ce serait contraire aux fondamentaux mêmes du Code wallon de l’aménagement du territoire, qui stipule que le territoire wallon est le patrimoine commun de ses habitants, rappelaitJeanine Kievits, alors chargée de projet aménagement du territoire pour IEW, en octobre 2008. « Pourquoi jeter le bébé avec l’eau du bain ? demande SophieDawance. La procédure existante de révision des plans de secteur, bien menée, peut aboutir en deux ans. Le gouvernement a fait l’impasse sur l’analyse des facteurs delenteur et des risques de blocage de cette procédure, qui aurait pu mener à son aménagement, préférant lui en substituer une autre [NDLR : le PCArévisionnel] qui a le désavantage de ne pas s’inscrire dans une vision stratégique globale. »
L’Union wallonne des entreprises4 (UWE) s’est réjouie de l’introduction d’un plan communal d’aménagement (PCA) révisionnel des plansde secteur : il s’agit pour elle « d’un outil d’aménagement adapté pour des enjeux économiques locaux ». En offrant la possibilité pour ces PCA dedéroger aux plans de secteur (norme réglementaire pourtant hiérarchiquement supérieure), le décret Resa ter entend faciliter l’extension de zonesd’activités économiques à la demande des intercommunales de développement. Plus encore, le décret Resa ter ouvre « aux privés lapossibilité de devenir opérateurs pour peu qu’ils soient désignés par le gouvernement ». À l’UWE, on n’y voit pas malice : «L’esprit, c’est que quiconque qui y aurait intérêt puisse initier une révision de plan de secteur ou un PCA révisionnel. Les pouvoirs publics restent de toutefaçon maîtres et garants des procédures, de l’équité de traitement et de l’intérêt général », souligne Samuel Saelens,conseiller au département Aménagement du territoire de l’UWE. Celle-ci plaide toutefois (à l’instar d’IEW) pour plus de précisions dans lesmodalités (périodicité, renouvellement, critères, etc.) de création et de gestion de la liste des PCA « révisionnels » voulues par ledécret. Et reste préoccupée par l’instabilité du cadre juridique – « quel qu’il soit » – en matière d’aménagement du territoire, malperçue par les entreprises.
1. André Antoine, ministre wallon du Développement territorial :
– adresse : rue d’Harscamp, 22 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 38 11
– courriel : andre.antoine@gov.wallonie.be
– site : http://antoine.wallonie.be
2. Union des villes et des communes de Wallonie (UVCW) :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 11
– courriel : commune@uvcw.be
– site : www.uvcw.be
3. Inter Environnement Wallonie (IEW):
– adresse : bd du Nord, 6 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 52 80
– courriel : iew@iewonline.be
– site : www.iewonline.be
4. Union wallonne des entreprises (UWE) :
– chemin du Stockoy, 3 à 1300 Wavre
– tél. : 010 47 19 40
– courriel : info@uwe.be
– site : www.uwe.be