La loi du 25 mai 2002 oblige les centres d’aide sociale à accepter la domiciliation des personnes sans domicile fixe au CPAS et à leur octroyer le revenud’intégration sociale (RIS). Après une entorse législative « volontaire, explique Jean Dumont, directeur de l’inspection de l’aide sociale àLiège, car le public ne sait pas gérer son pécule », le CPAS de Liège1 versait, lui, une aide sociale hebdomadaire de 34,71 euros et des colis alimentaires aux 300SDF liégeois. Le centre d’aide sociale a aujourd’hui fait marche arrière : les SDF bénéficient depuis le mois de mai (après domiciliation au CPAS etautres mises en règle administratives) du RI cohabitant (396 euros par mois), distribué en trois tranches mensuelles avec obligation de souscrire à un contrat d’insertionpersonnalisé. Le Front commun des SDF2 qui exigeait depuis longtemps du CPAS de Liège l’application de la loi, réclame quant à lui le RI isolé.
Pression ?
Pourquoi ce revirement ? Le CPAS a-t-il subi la pression du Front commun ? « Oui », répond le représentant du Front Jean Peeters. Réponse plus évasive deJean Dumont : « Nous les avons rencontrés, ils connaissent bien le texte légal. Nous avons comparé notre procédure avec la pratique des autres CPAS. Le dialogue aété un déclencheur pour prendre du recul et pour une analyse approfondie de la situation. » Jean Peeters affirme avoir envoyé un courrier « au CPAS, aubourgmestre, au commissaire de police, aux Affaires sociales de Namur et au ministère de l’Intégration à Bruxelles ». Le texte, titré « le CPAS deLiège hors la loi » aurait, selon le Front commun, « touché la corde sensible » : le CPAS a dès lors rédigé un règlement d’ordreintérieur acceptant la domiciliation des SDF sous condition d’une volonté de chercher un logement. Résultat ? « Positif, répond Jean Peeters, exceptéque le conseil communal de Liège a approuvé le RI cohabitant au lieu du RI isolé (595 euros par mois). La vie à la rue coûte cher : les personnes boivent uncafé le matin au bistrot et sont obligés de recourir àdes restaurants, même peu coûteux. De toute façon, la définition d’un isolé estlégale : une personne à la rue ne partage pas une cuisine commune ». Jean Dumont rétorque que « le RI cohabitant correspond au mode de vie en collectivité etau revenu octroyé par de nombreux CPAS : les SDF ne paient pas de loyer ni charges d’habitation ».
Plainte en justice
Plus de 50 % des SDF francophones reçoivent effectivement le RI cohabitant. Les pratiques divergent selon les villes : dans la commune de Bruxelles, près de 50 % des SDFbénéficient du RI isolé et les autres du RI cohabitant – « ce sont les alcooliques et les toxicomanes », précise Jean Peeters. Et d’insister :« J’encourage les SDF liégeois à porter plainte contre le CPAS au tribunal du travail ». Le CPAS d’Anvers refuse la domiciliation des SDF et leur octroie 50euros par semaine : selon le Front commun, « une personne sans domicile fixe a préparé un arsenal juridique pour obtenir la domiciliation et le RI isolé. Une association nepeut pas interjeter une plainte, mais je promets fortes mobilisation et publicité ». Il tempère toutefois ses propos : « Le 21 juin, le tribunal du travail a condamnéle CPAS d’Anvers à octroyer le RI à un SDF avec paiement rétroactif de cinq mois. Ce qui a été fait. Mais le centre d’aide sociale a imposé laprésence journalière de la personne à 12 heures piles pour lui payer le RI… par tranche quotidienne ! Persécution morale ? En tout cas, le SDF est aujourd’huiexclu du CPAS car il a refusé une visite du médecin de l’aide sociale ». Pour Liège, le paiement rétroactif « avec dommages et intérêts dedeux ans d’injustice », paraît « illusoire » au Front commun. Et pour Jean Dumont « c’est hors de question. La législation sur le RI, trèscomplexe, sera d’ailleurs encore modifiée : nous ne nous arrêtons pas sur une loi figée ».
Période probatoire
Un premier bilan depuis le mois de mai ? Jean Dumont parle d’une « période probatoire. Il est trop tôt. Nous tirerons des conclusions à la fin del’année. Le CPAS considère maintenant le droit au revenu, mais il n’est pas un MisterCash : les SDF ont des droits et des devoirs. Je note que le contrat d’insertion(un processus long !) motive les SDF. Ce contrat se poursuivra après obtention d’un logement : un toit sur la tête n’est qu’une première étaped’intégration vers l’emploi ». En soulignant que le CPAS « s’oppose à l’insertion dans une habitation non conforme », il prévoit «forcément une mauvaise volonté de certains SDF pour lesquels nous reviendrons d’ailleurs à l’octroi de 34,71 euros par semaine ».
Jean Peeters a obtenu « la promesse verbale » que l’évaluation sera réalisée en collaboration avec le Front commun. Quid de la violence souventattribuée aux personnes sans revenus ? Pour le Front commun, « il est forcément logique que l’octroi du RI diminue les agressions ». Aucune statistique n’atoutefois encore été réalisée. Jean Dumont refuse l’amalgame SDF violence, mais ne note « actuellement pas de différence. D’ailleurs, lestoxicomanes ou alcooliques dépensent directement le RI et demandent ensuite une aide d’urgence, donc cela ne change rien ». Jean Peeters remarque par ailleurs « unediminution des agressions et une régression de la violence verbale à l’entrée du CPAS (parallèle au bâtiment place St-Jacques) réservée aux SDF :ils ont compris que la radiation d’une commune est indispensable pour être domicilié à Liège ». Mais le CPAS déplore de devenir, « via la structurede la ville et le nombre de logements inoccupés, le réceptacle des SDF des autres communes ».
1. CPAS de Liège, place Saint-Jacques, 13 à 4000 Liège – tél. : 04 220 58 11.
2. Front commun des SDF, rue d’Aarschot 56 à 1030 Bruxelles – GSM : 0479 686 020 – fax : 02 218 20 97- courriel : frontcommunsdf@hotmail.com.