« Le « régime sec » imposé aux États-Unis est sérieusement battu en brèche (…). L’on ne s’est jamais tant empoisonné par des alcools variés, des stupéfiants empruntés à la pharmacopée moderne depuis la mise en vigueur de la Prohibition. C’était fatal : quand on délaisse le vin, voire même la bière pour se soumettre au régime de l’eau, fût-elle minérale, le goût et les fonctions vitales exigent des excitants infiniment plus dangereux. Il y a quelques mois, le Conseil fédéral des églises protestantes accusait le « régime sec » de provoquer le mépris de la loi – de toutes les lois – et d’encourager l’ivrognerie, particulièrement chez les jeunes gens (…) » Cet extrait du journal Le Bien public, mettant en cause la politique américaine de prohibition de l’alcool, date du 14 février 1926.
Alors que certains aficionados de bibine et autres breuvages grisants célébraient au mois de décembre dernier le 80e anniversaire de la fin de la Prohibition, le débat sur la légalisation du cannabis et sur la décriminalisation de la possession de drogues dures est revenu à plusieurs reprises sous les feux de l’actualité. Après la sortie des jeunes Ecolo en septembre 2013, il y a quelques jours à peine, ce sont les Jeunes Réformateurs qui se sont déclarés favorables à la légalisation de la Marie-Jeanne et à la dépénalisation des drogues dures. La polarisation gauche-droite en la matière ne semble donc plus de mise. Une affaire de générations alors ? Dans les deux cas, la jeunesse s’est fait désavouer par sa structure « mère »…
En novembre dernier, trois universitaires de disciplines et d’universités diverses (le criminologue Tom Decorte, Université de Gand, l’économiste Paul De Grauwe, Université catholique de Louvain et London School of Economics, et le toxicologue Jan Tytgat de l’Université catholique de Louvain) ont dénoncé l’échec de la politique belge en matière de cannabis. Que ce soit en termes de diminution du nombre de personnes dépendantes, de diminution des dommages physiques et psychologiques résultant de l’abus du cannabis ou de la diminution des effets négatifs du phénomène pour la société, la politique belge n’a pas atteint ses objectifs, démontrent-ils en substance. Ils appellent donc à étudier sérieusement l’option d’un marché réglementé.
Gardons un œil sur ce qui est en train de se dérouler ailleurs dans le monde. Des États-Unis (États de Washington et du Colorado) à la Nouvelle-Zélande, en passant par l’Uruguay, le marché des stupéfiants jusqu’ici réservé aux organisations criminelles est en train de s’ouvrir à des acteurs légaux. Parmi les enjeux de la légalisation : la disparition d’un marché criminel, le contrôle de la qualité des produits, la sortie de l’ombre des usagers de drogues jusqu’ici assimilés à des délinquants. La levée d’impôts sur les produits sortis de la clandestinité pourrait en outre permettre le financement des politiques de prévention, de réduction des risques, et l’accompagnement et le traitement des consommations problématiques. Que celles-ci soient de drogues licites ou illicites, de drogues dites douces ou dures.
Alors, prohiber ou ne pas prohiber ? En attendant de trouver réponse à cette question, nous vous proposons une petite dose de réflexion, à consommer sans modération (« Willy Demeyer : une approche pragmatique de la toxicomanie » p.12 et « Médibus roule pour les sans-abri et les toxicomanes » p.26).