Les années 90 ont vu éclore plusieurs humoristes issus de l’immigration qui sillonnent toujours nos scènes, faisant rire un large public, et ouvrant la voie à une nouvelle génération désireuse d’exprimer une appartenance à ses racines comme à la Belgique.
L’humour ouvre des portes de dialogue. L’Espace Magh
L’Espace Magh, lieu culturel dédié aux cultures du Maghreb, de la Méditerranée et du Sud, se devait de célébrer les cinquante ans de l’immigration marocaine en Belgique en coordonnant une série d’activités en Fédération Wallonie-Bruxelles. L’endroit voit défiler de multiples talents et les humoristes y ont leur place. « L’humour a toujours guidé l’humanité, il est transfrontalier et contourne l’histoire tout en l’accompagnant, commente Najib Ghallale, le directeur. L’humour est contagieux, car il ouvre des portes de dialogue, bien mieux que tous les courants idéologiques. Mais il ne peut pas permettre de dire et faire n’importe quoi, car il doit défendre des valeurs d’humanisme et de fraternité. L’actualité nous montre malheureusement, en ce moment, certaines dérives regrettables… »
Affirmer une identité, une culture… De plus en plus de jeunes se tournent vers l’humour, le stand up, les sketches, les vidéos. L’Espace Magh soutient ces artistes émergents tels BX Stand Up, une troupe créée il y a deux ans. Il existe une émulation, encore faut-il trouver des espaces qui ouvrent leurs portes à ces jeunes humoristes. Pour quelques figures incontournables, beaucoup ont du mal. La vague des étoiles montantes du rire ne doit pas faire oublier le moteur premier de chaque talent : passion et apprentissage. « Fellag, un des plus grands humoristes de langue française, a été à l’école de comédiens d’Alger. Faire rire, c’est du travail ! Les écoles de comédiens en Belgique sont très sélectives et les jeunes issus de l’immigration n’ont pas souvent suivi le parcours qui leur permet d’y accéder. Ateliers et résidences d’artistes proposent une voie alternative. » Fellag va justement donner un spectacle avec des jeunes comédiens en résidence. Tous les Marocains sont des mécaniciens sera spécialement adapté pour ces talents bruxellois. Quant à une troupe comme la Cie des Voyageurs sans bagages, qui entame une tournée au Maroc, elle est un exemple frappant de jeunes qui remportent beaucoup de succès grâce à leur finesse et leur humour.
Je n’ai pas envie d’enfermer l’humour dans des castes. Zidani
L’humour est arrivé assez tôt dans la vie de Sandra Zidani. « J’avais neuf ans quand je suis montée sur scène et je me suis vite rendu compte que je faisais rire les gens. Savoir ce que l’on veut vraiment dire prend du temps, j’avais besoin de me nourrir l’esprit et de pouvoir me situer. »
D’origine kabyle, elle se refuse à s’enfermer dans un humour identitaire : « Je n’ai jamais utilisé dans mes spectacles le thème de l’immigration en priorité. Je préfère parler de l’humain dans son entièreté. » Mais longtemps, Zidani a ressenti comme un vide qu’elle n’arrivait pas à combler, il lui manquait une pièce du puzzle : « Je ne suis allée en Algérie qu’en 2010 et là j’ai eu envie de raconter mon histoire dans mon spectacle Retour en Algérie. Mon père, décédé aujourd’hui, a traversé la mer pour venir travailler en Belgique et fuir un environnement colonialiste. Ma mère est belge avec des origines françaises, italiennes et flamandes. J’ai enfin compris ma double identité, quels étaient mes manques, comment m’en nourrir. À quarante ans, j’étais prête. »
Même si elle a toujours compris la force de son humour, elle n’a jamais pensé l’utiliser gratuitement. Comédienne, théologienne, historienne de l’art, peintre, sa pensée est au service d’un engagement citoyen et féministe. Son spectacle avec Ben Hamidou Moudawana Forever parlait des droits et du code de la famille au Maroc. Une façon de dire que les droits de l’homme sont soumis à des frontières… et que ceux des femmes sont souvent bafoués. « Je suis une humoriste qui a envie de parler de la société en mouvement. Nous avons joué ce spectacle à Boitsfort plutôt qu’à Saint-Josse ou à Schaerbeek pour casser les clichés des publics et… on nous l’a beaucoup reproché. Pourtant j’ai le souvenir d’une salle où deux communautés riaient ensemble. Nous avons joué aussi dans les écoles, dossier pédagogique à l’appui, et c’était parfois compliqué avec certains jeunes qui avaient le sentiment d’être trahis par rapport à certaines prises de position quant au voile et au statut de la femme. Je n’ai pas envie d’enfermer l’humour dans des castes, la nationalité m’importe peu. C’est très bien de marquer le coup, en ce moment, par rapport aux cinquante ans de l’immigration, mais il faut arrêter de différencier les gens. »
Le spectacle Retour en Algérie se donne le 08/03 à Perwez, le 19/03 à Bruxelles, le 25/04 à Binche, le 26/04 à Tournai, le 21/05 à Seraing. Site : http://www.zidani.be
« Si tu critiques ta propre communauté, tu vas perdre des spectateurs, mais… » Ben Hamidou
Après avoir joué énormément pour des associations, le Brocoli Théâtre et la pièce Gembloux poussent Ben Hamidou vers d’autres scènes. Ouverture et engagement sont ses credo, sur scène comme dans les nombreux ateliers qu’il anime. Si humour identitaire il y a, il faut pouvoir rire de soi-même, de sa propre culture et de ses travers. « Quand on commence, on parle toujours de ce qu’on connaît et de ce qui nous constitue. Certains reprochent aux nouveaux jeunes humoristes un repli identitaire, mais rien n’est fait pour eux dans les théâtres. Je suis d’une génération qui adore Molière et Shakespeare, mais la nouvelle génération n’a pas ces codes. Si des jeunes viennent me voir sur scène, je leur parle de moi, d’eux, pour ensuite les emmener ailleurs. Avec un spectacle comme Sainte Fatima de Molem je parle de Molenbeek, de l’immigration, des voisins… »
Faire rire et bousculer au risque de fâcher ? Comment jouer avec les susceptibilités ? Les incompréhensions ? Ben Hamidou le sait, il ne sert à rien de freiner sa création : « Par rapport à Sam Touzani, qui se déclare athée, je suis un gentil pour le public de ma communauté ! Mais mes prises de position ont déjà provoqué des remarques violentes. Et alors ? C’est le fait d’une minorité. Comme dirait Fellag, si tu critiques ta propre communauté, tu vas perdre des spectateurs, mais… tu vas en gagner d’autres. Comme dans mon prochain spectacle j’interprète un islamiste qui tombe amoureux d’une prostituée, je suis prêt ! J’ai la chance d’avoir un public qui me suit, notamment à travers les différents ateliers que j’anime, avec des jeunes, avec des femmes… Je ne suis pas un comédien dans sa tour d’ivoire, j’évolue dans mon terreau. C’est bien de montrer que dans des quartiers populaires, des femmes issues de l’immigration, voilées ou pas, peuvent monter sur scène et ont des choses à dire. Auprès des jeunes, j’insiste sur la formation de l’esprit, la tchatche ne suffit pas. Il faut arrêter avec ‘la merguez brillante’, gagner de l’argent, avoir du succès, de quoi se casser la figure. Avec Jamel Debbouze, tout a l’air facile, mais il bosse énormément. La passion doit être le premier des moteurs. » Lui il s’est nourri d’artistes moins médiatisés des années 80, mais des grands : Hamid Chakir, Jaoued Deggouj, Yahya Lotfi, Rachid Ben Bouchta…
Brocoli Théâtre asbl : rue de la Charité, 37 à 1210 Bruxelles, tél. : 02 539 36 87 – courriel : brocoli@skynet.be – site : http://www.brocolitheatre.be